Mes reportages m'ont souvent mené à la rencontre de frontaliers. Certains travaillent au Luxembourg depuis longtemps. D'autres l'ont quitté. Mais plusieurs m'ont parlé de l'effet de la "prison dorée". Un phénomène qu'ils décrivent tous de la même manière.

Prison dorée. Difficile de trouver une appellation moins flatteuse pour le Luxembourg. Pour un pays ouvert, au cœur de l'UE, dont il abrite plusieurs institutions, on comprend mal un qualificatif si péjoratif. Pourtant, c'est ainsi que de nombreux frontaliers nomment leur pays de travail.

Non pas que le Grand-Duché soit ceint de barreaux. Pas plus qu'il ait fait quelque chose de mal. L'expression fait surtout référence au train de vie que le Luxembourg permet, bien malgré lui, grâce à ses salaires élevés. En particulier chez les travailleurs frontaliers.

Loin d'eux l'envie de dénigrer le pays. Non non. C'est plutôt leur manière de reconnaître que ce train de vie luxembourgeois les a rattrapés... Pour les faire prisonniers.

Car les frontaliers sont nombreux à avoir calqué leurs dépenses sur leur salaire luxembourgeois. Une paie confortable, souvent bien supérieure à celle proposée pour un poste identique occupé de l'autre côté de la frontière. Mais ce salaire se mérite et implique de supporter un quotidien parfois difficile : longs trajets, temps de travail important, fatigue et stress.

"Je suis coincé", "je n'ai pas le choix"

Ce salaire auquel certains s'habituent vite finit par devenir indispensable au maintien de leur niveau de vie. Un crédit immobilier pour une maison, un emprunt pour une voiture, des sorties fréquentes, des responsabilités parentales à assumer... Ces dépenses, qu'elles soient indispensables ou accessoires, s'additionnent, s'accumulent, pour former les barreaux de notre fameuse "prison dorée". Dont il coûte de s'échapper. "Je suis coincé", "je n'ai pas le choix", "je dois m'accrocher encore quelques années" concèderont certains pour justifier une vie de frontalier qu'ils prolongent sans envie.

Les prisonniers se retrouvent ainsi confrontés à un choix difficile : scier les barreaux ou prolonger volontairement leur peine. Dit autrement, ils peuvent soit tailler dans leurs dépenses (donc faire des choix difficiles, des sacrifices et renoncer à un certain confort) et quitter le Grand-Duché, ou continuer à travailler au Luxembourg pour assumer ce train de vie exigeant (même si le cœur n'y est plus).

Un conseil donc aux futurs frontaliers : si vous venez travailler au Luxembourg, prenez garde à ne pas en faire une prison dorée. "Ne flambez pas" prévenait sur notre site Julien Dauer, directeur de l'association Frontaliers Grand Est. Et si c'est déjà le cas, il ne tiendra qu'à vous de trouver la force et la volonté de cisailler les barreaux.

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