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De plus de plus de frontaliers français chercheraient une porte de sortie après avoir mené une partie de leur carrière au Luxembourg. Explications avec le directeur de l'association Frontaliers Grand Est.
Un écart de salaire réduit. Des trajets trop longs. Un manque d'épanouissement au travail... Ces difficultés vont-elles conduire à un point de bascule pour les frontaliers français?
Alors que leur nombre continue d'augmenter, dépassant les 123.000 personnes fin 2023, un bruit de fond se fait entendre: des frontaliers décident de quitter le Luxembourg. Un mouvement encore discret mais qui prend de l'ampleur.
"Il y a un vrai questionnement sur l'attractivité du Luxembourg" confirme Julien Dauer, directeur de Frontaliers Grand Est, qui reçoit de plus en plus de travailleurs français qui se questionnent sur leur avenir professionnel.
Il faut dire que les incitations à quitter son emploi au Luxembourg se multiplient. Après le passage du coronavirus, qui a remis en avant l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle, l'envolée des prix de l'énergie touche désormais les frontaliers les moins bien payés, dont les Français font justement partie. "Le diesel n'est plus à 0,90€, il est à 1,50€. En cumulant ça avec le temps de trajet, le coût du périscolaire, ou le télétravail qui a un peu reculé, on peut commencer à se poser des questions" détaille-t-il. Sans oublier l'augmentation d'impôt pour les frontaliers qui ont des revenus en France et au Luxembourg.
Alors que le Luxembourg pouvait, il y a peu, compter sur ses salaires nettement plus avantageux, l'écart est désormais "moins intéressant" avance Julien Dauer."Le Luxembourg a des atouts, mais il ne représente pas une opportunité miracle." Notamment dans des secteurs où les frontaliers français sont très présents, comme l'horeca ou le commerce.
De plus en plus de frontaliers envisagent un retour en France

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L'association Frontaliers Grand Est, dont la mission est d'informer les frontaliers installés en France, reçoit régulièrement des employés qui envisagent sérieusement ce retour professionnel.
"Il y a de nombreux profils" commente le directeur. "Notamment des frontaliers qui ont fini de rembourser un emprunt immobilier ou qui veulent se reconvertir et concrétiser un rêve. À côté, il y a beaucoup de gens qui sont arrivés au "burnout" ou au "bore out" (l'épuisement professionnel, ndlr). Cette absence d'épanouissement au travail peut venir du fait que les emplois sont plus "normés" au Luxembourg, avec des missions bien définies. Certains finissent par en faire le tour" explique-t-il, lui qui a également été frontalier.
"Ras-le-bol du Luxembourg, je rentre !" titrait justement Frontaliers Grand Est dans une vidéo explicative parue ce mois d'avril.
Il y a, finalement, une nouvelle génération qui arrive sur le marché du travail mais qui est moins encline à consentir d'importants sacrifices personnels pour réussir sa carrière. Pour protéger leur temps libre, certains sont prêts à gagner moins en restant en France.
Le Luxembourg et l'effet de la "prison dorée"
L'association a renforcé son travail de prévention auprès des travailleurs qui envisagent un passage au Luxembourg. "Les salaires restent très attractifs dans certains secteurs et la présence de grands groupes est toujours un plus pour le Grand-Duché." À condition ne pas laisser son train de vie devenir insoutenable. "La première chose qu'on dit aux frontaliers, c'est "Ne flambez pas!"" prévient Julien Dauer.
Calculer une mensualité importante, comme un crédit immobilier, sur un salaire luxembourgeois, c'est s'exposer à des difficultés s'il y a un changement professionnel, fait remarquer le directeur.
Le risque étant de se retrouver pris dans une impasse. C'est la fameuse "prison dorée", un terme employé par de nombreux frontaliers pour évoquer des choix de vie les contraignant à poursuivre une carrière très bien rémunérée mais aussi très contraignante au Luxembourg.
Côté français, les entreprises ont un coup à jouer sur ce retour au pays des travailleurs. De nombreux secteurs manquent de bras et recrutent (santé, éducation...). Même s'il y a un sacrifice financier à consentir pour le frontalier, il peut aussi y avoir du mieux en terme de qualité de vie. "Pour les entreprises, la clé du retour en France, c'est le management. Elles devront jouer sur l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle" prédit Julien Dauer.