
© Vasilis Caravitis / Unsplash
Fatigués, taxés davantage pour certains et confrontés à des trajets difficiles, les frontaliers tirent sur la corde. Et celle-ci pourrait finir par rompre. Certains commencent à quitter le pays. En France, ils sont de plus en plus nombreux à céder face à une "fatigue" devenue trop importante.
Coût du déplacement, longs trajets, salaires insuffisants pour compenser la perte de temps sur sa vie privée... Est-ce que ça vaut encore le coup d'être frontalier ? C'est l'une des questions qui doit inquiéter le plus l'État luxembourgeois.
Face aux incertitudes qui s'accumulent, et aux désagréments du quotidien, de plus en plus de frontaliers témoignent d'une "fatigue" très importante. C'est le constat fait par Julien Dauer, directeur de Frontaliers Grand Est.
L'association, qui vient de fêter ses 30 ans, aide gratuitement les frontaliers qui ont des questions sur le Luxembourg, la Belgique, l'Allemagne et la Suisse. Elle est bien placée pour constater que les frontaliers tirent la langue.
À lire également - Travailler au Luxembourg: vers un ras-le-bol des frontaliers français?
"Pour le public proche de la frontière, le Luxembourg est inévitable. Mais plus on s'éloigne au sud de Thionville, plus la fatigue est présente" analyse Julien Dauer. "Il y a une vraie fatigue, un sentiment de lassitude, ce "encore nous" face aux coups durs qui s'accumulent."La hausse des impôts attendue en 2025 pour de nombreux frontaliers français, et la polémique sur leurs indemnités de chômage, ont usé un peu plus leur volonté.
Avec la fatigue s'invite une vraie interrogation sur l'intérêt du travail frontalier. Notamment dans les métiers non-qualifiés. Quand bien même ces derniers ne seront plus imposables en 2025. "Pour le cadre supérieur, et d'autres métiers qualifiés, il y aura toujours un intérêt. Mais pour les autres, en comptant le coût du déplacement, le temps de travail, la différence de salaire, beaucoup se disent "Est-ce que ça vaut le coup ?". Aujourd'hui, des restaurateurs de la zone frontalière française arrive à récupérer d'anciens employés du Luxembourg en leur proposant un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie personnelle."
Cet équilibre a été remis en lumière par l'épidémie de coronavirus. Quatre ans après, les travailleurs sont plus nombreux à sauter le pas. "On dit que le Covid a changé les priorités, et aujourd'hui, ces questions sont arrivées à maturité. On passe des paroles aux actes" remarque Julien Dauer.
À lire également - Ces secteurs où le salaire minimum est la norme au Luxembourg
Oui, l'attractivité du Luxembourg est en danger
S'y ajoutent les inquiétudes sur la retraite et l'incertitude sur le chômage côté français. "Ce qui va se jouer, c'est l'attractivité du Luxembourg" prédit le directeur de Frontaliers Grand Est.
Un point de bascule s'annonce justement du côté des frontaliers de la première heure, dont la fin de carrière arrive. "Les anciens disent qu'ils n'ont "pas le choix" de finir leur carrière au Luxembourg, mais ils disent aussi "Je ne referais pas les mêmes choix de carrière". Et chez les jeunes, il n'y a plus de tabou sur l'emploi au Luxembourg, qui s'envisage aussi à court terme" et non plus comme une opportunité à ne pas rater. Pour cette génération qui ne mise pas tout sur le salaire, le travail en France n'est plus un repoussoir.
Pour le Luxembourg, il est temps de s'inquiéter. Car les problématiques des frontaliers français s'appliquent aussi aux Belges et Allemands... dont le nombre stagne déjà.
S'il n'attire plus suffisamment de frontaliers, le Luxembourg aura des difficultés. Son marché du travail est gourmand, et les seuls résidents du pays ne suffisent pas à le soutenir.
Pour Julien Dauer, le Luxembourg et ses voisins ont tout intérêt à coopérer davantage. "Il ne s'agit pas de réagir au coup par coup, mais d'avoir une vraie vision sur l'avenir du travail frontalier."
À lire également - Frontaliers français: Ce qu'il faut savoir pour quitter son emploi au Luxembourg