
© Fauzan Saari / Unsplash
Dur dur d'aimer le foot. Surtout quand chaque Coupe du monde ressemble à un concours du grand n'importe quoi. En la matière, l'édition 2022 fait très fort.
Ils n'ont rien demandé mais vont quand même devoir jongler entre leur conscience et leur amour pour leur sport préféré. "Ils", ce sont les supporters de football, qui ne s'attendaient pas à ce que ce soit aussi "sportif" de soutenir leur équipe favorite pendant le Mondial 2022, joué au Qatar.
Une édition très polémique, sur fond de soupçons de corruption, de drames humains et de décisions incompréhensibles.
Certains fans pourront d'ailleurs se sentir un peu pris en otage par une fédération dont le terrain de jeu est davantage politique que sportif. Laissés de côté tout du long, mais invités à applaudir bien fort pendant un mois, ils se demanderont alors s'il faut aller jusqu'à boycotter son poste de télévision ou regarder les matches en fermant les yeux sur l'extra-sportif.
L'ART DU CONTRE-PIED
De son attribution douteuse, à son organisation humainement et écologiquement déplorable, en passant par les lois qataries en vigueur (les relations homosexuelles y sont illégales, les droits des femmes sont limités), tout semble tourner de travers avec cette Coupe du monde. À commencer par les droits humains.
Depuis un an, plusieurs ONG affirment que les chantiers des infrastructures du Mondial auraient causé la mort de "plusieurs milliers" d'ouvriers. Un bilan certes contesté mais qui met en lumière les conditions de vie et de travail des étrangers recrutés pour bâtir, dans la fournaise, les immenses stades qui accueillent la compétition.
C'est sans compter encore sur la Fifa, qui maîtrise parfaitement l'art du contre-pied. Capable de dire haut et fort que "la discrimination n’a pas sa place dans le football" - oui, c'est écrit sur son site - elle a quand même réussi à offrir sa compétition phare à un pays qui criminalise l'homosexualité et enferme les femmes dans un système de tutelle.
Et quand quelques joueurs s'en mêlent, promettant par exemple de porter un brassard de soutien à la communauté LGBT, on leur propose de le troquer contre des œillères*. "S'il vous plaît, concentrons-nous maintenant sur le football" a timidement demandé la Fifa, toute heureuse il y a douze ans d'annoncer ce premier Mondial joué en pays musulman.
Le Qatar a anticipé, en promettant tolérance et sécurité en échange de la "discrétion" des supporters concernés. Mais au final, il n'y a que sur les terrains que les accolades entre hommes seront bien vues.
LA CLIM' EN PLEIN DÉSERT
Déjà incompréhensible lors de l'attribution de la compétition en 2010, où la candidature américaine partait favorite, l'organisation du Mondial est rapidement devenue une des plus belles absurdités du sport moderne. Car pour permettre de jouer 90 minutes en plein désert sans mettre les joueurs et le public en danger, les immenses stades à ciel ouvert sont... climatisés.
Derrière la prouesse d'ingénierie réalisée par le Qatar, qui n'a pas de problèmes d'approvisionnement énergétique, on pourra tout de même se demander comment le comité exécutif de la Fifa a jugé bon d'organiser une compétition dans un pays où il fait encore 30°C à la mi-novembre. Avec une production électrique rendue possible par les ressources gazières du sous-sol, les promesses de Coupe du monde "neutre en carbone" sont elles bien refroidies.
La politique, c'est l'autre discipline importante d'un Mondial. À condition qu'elle reste invisible. "Mais s'il vous plaît, ne laissez pas le football être entraîné dans chaque bataille idéologique ou politique" disaient justement Gianni Infantino et Fatma Samoura, respectivement président et secrétaire générale de la Fifa.
La "fédé" en sait quelque chose: après le Brésil (qui avait plutôt besoin de financer ses programmes sociaux), après la Russie (à qui il faudra plus qu'un autre Mondial pour se racheter une image), voilà une autre Coupe du monde organisée dans des conditions loin d'être idéales.
Autant dire que près des dunes qatariennes, les supporters devront creuser profond pour retrouver la beauté et la simplicité d'un sport qui n'en demandait pas tant.
* La Fifa a finalement menacé les joueurs qui portaient le brassard inclusif de sanction sportive, poussant plusieurs nations à renoncer à ce geste symbolique.