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Collaborateur de notre série "Je confine donc je suis", Cyril Tarquinio, psychologue et professeur à l'Université de Lorraine, signe un texte quelque part entre Freud et Brassens. À lire pour mourir moins c.. !
Disons qu’un con reste un "con"… je ne sais pas si on peut en parler "finement"! Quand on parle d’un "con", c’est malheureusement toujours grossièrement. Il est difficile et complexe de définir ce qu’est un "con". La chose est d’autant plus délicate que nous sommes tous le "con" de quelqu’un et ce n’est peut-être pas totalement faux.
Regardez ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Les cons sont partout, n’est-ce-pas? Ils relaient sans vergogne les plus grosses inepties. Parler de "con"neries serait ici particulièrement adapté. On évoque la théorie du complot, on prétend pourvoir soigner le coronavirus avec des plantes, certains, même, envisagent d’euthanasier leurs animaux domestiques car ils pourraient être porteurs du coronavirus.
On nous conseille, pour faire face à la crise et au confinement, de ne pas oublier de respirer, car cela pourrait nous faire du bien (la science confirme ce dernier point, cessez de respirer pendant quelques minutes et vous vous rendrez alors compte que cela devrait mal se passer!). On nous dit que Macron se frotte les mains de la situation car cela permet de faire passer au second plan le mécontentement lié aux réformes qu’il a engagées…
Les cons, c’est nous, c’est eux...! Les rayons des supermarchés ne se sont pas vidés tout seuls! Les centaines de PV dressés aux personnes qui étaient dehors alors qu’il conviendrait, en ces périodes difficiles, d’être chez soi pour limiter la diffusion du virus, c’est nous, c’est eux! On n’aime pas les cons, mais quand on parle des cons, forcément, c’est de nous dont on parle!
C’est comme lorsque l’on prend sa voiture. On traite de con celui qui vient de faire une erreur de conduite, qui a loupé une priorité ou n’a pas mis son clignotant. On le regarde avec colère et parfois l’envie de le tuer. Mais s’il nous demande pardon pour l’erreur commise quelques minutes auparavant, on l’absout d’un geste magnanime, d’un petit geste de la tête ou de la main. Et dans la minute qui suit, c’est souvent nous qui commettons la même erreur de conduite, la même maladresse, la même "con"nerie . C’est à nous alors que l’on montre le poing ou à qui on fait un doigt d’honneur plein de rage. Nous voilà alors confondus en plates excuses. Le "con", en une fraction de seconde, s’est transformé et il s’est insinué à l’intérieur de nous. Brutalement et sans prévenir, nous voilà devenus "un con"!
Alors parler du "con" finement et avec délicatesse est une chose difficile voire impossible. Cependant, lorsque l’on parle de l’autre, que l’on considère à un moment ou un autre comme un "con", on cesse d’être un humain. Dire de l’autre qu’il est "con", c’est ne plus ressentir la moindre empathie envers cet autre. L’autre à cet instant ne mérite plus la moindre considération, le moindre intérêt, le moindre respect, plus la moindre bienveillance, ni compréhension.
Le "con" devient celui qu’il faut détruire, anéantir, sans qui le monde serait bien meilleur. Le "con", c’est le virus qu’il faut éradiquer. Pas de quartier! Or, en empruntant ce chemin, on se coupe de ce qui fait notre spécificité sur cette terre, cette capacité qui nous a conduits au vivre ensemble, cette aptitude qui nous permet de respecter l’autre, de l’aimer, de l’aider, de l’accepter ou tout simplement de le tolérer.
L’histoire nous a appris ce qu’il advenait de nous lorsque nous n’étions plus capables de ressentir la moindre empathie vis-à-vis de l’autre. Quand les autres deviennent des "cons", lorsqu’ils deviennent entités négligeables ou au contraire des gêneurs ou des dangers potentiels, c’est un pas de plus vers l’indifférence et l’anesthésie à la souffrance de cet autre qui, hier encore, était un voisin, un collègue, un ami.
Au fond, quand nous traitons l’autre de "con", c’est de nous-mêmes que nous apprenons des choses. De nos peurs, de notre sentiment d’insécurité, de notre volonté d’hégémonie, de notre besoin de nous différencier de l’autre et surtout de notre volonté de chercher des personnes qui pensent comme nous. Plus on voit de "cons" partout, plus quelque chose en nous se transforme et ce n’est pas bon signe pour l’humanité. Plus on voit des "cons" partout, plus cela signifie que l’on se sent en insécurité, que l’environnement et les autres nous deviennent étrangers, on ne les comprend plus, on ne les saisit plus… sans doute parce que ceux que l’on juge comme "cons" sont dans les mêmes dispositions mentales. Plus on voit de "cons", plus notre société se fragilise.
Alors, le « con » finement c’est pas simple, c’est « com » plexe ! Le « con » finement mérite un peu plus que quelques conseils simplistes tels qu’on les entend dans les médias. Pour faire face au « con » finement, il faut bien manger, ne pas trop dormir, ne pas boire, garder un rythme, faire du sport, parler à ses proches, méditer, respirer… Cette problématique du « con » finement est bien plus essentielle, mais on n’en parle pas. Elle nous interroge plus que jamais sur notre place dans le monde, notre rapport à nous-mêmes et notre rapport aux autres... et ça, c’est « com » pliqué… beaucoup plus que respirer, manger ou se laver….
Alors ne pensons pas confinement dans son sens étymologique. A l’inverse pensons-le comme un « avec » et un « tous et ensemble »! Comme une possibilité unique qui nous est donnée de révéler le meilleur de nous-mêmes dans un des pires moments de notre histoire. À l’image de toutes les manifestations de solidarités à l’échelle humaine et mondiale! Encourageons ce qu’il y a de meilleur en nous…