Si la réforme annoncée par le gouvernement lance un message fort aux grands propriétaires terriens du Luxembourg, elle n'aura pas d'effet immédiat sur le marché du logement. Les problèmes d'aujourd'hui resteront d'actualité. Débat autour de la question avec le directeur de l'Observatoire de l'Habitat et un économiste auteur de plusieurs ouvrages sur le logement au Grand-Duché.

Avec le projet de réforme présenté au mois de juillet, le gouvernement réaffirme son intention de faire bouger les choses sur le marché du logement luxembourgeois. Et si c'est la réforme de l'impôt foncier (IFON) qui a souvent retenu l'attention des médias, "ce n'est pas le nerf de la guerre", affirme Antoine Paccoud, directeur de l'Observatoire de l'habitat, dans l'émission "La Bulle Immo". En effet, le Luxembourg fait partie des pays de l'UE qui récoltent le moins de recettes via son impôt foncier, malgré le niveau des prix de l'immobilier. "Une anomalie" qui avait déjà été relevée par la Commission européenne et le FMI. Et ça ne risque pas de changer de sitôt.

43. L'impôt foncier "n'est pas le nerf de la guerre"

En effet, le but de la réforme n'est pas de faire augmenter les recettes de l'Etat mais plutôt de rendre l'imposition plus équitable. "Une erreur", estime Michel Edouard Ruben, économiste et auteur de plusieurs ouvrages sur la question du logement au Luxembourg. "Quelqu'un peut habiter dans une maison libre des quatre côtés, sur un terrain de 6 ares à Mersch et il est prévu dans cette réforme que cette personne pourrait être redevable de 50 à 140 euros d'impôt et tout le monde trouve ça normal", commente-t-il. L'imposition foncière restera "rikiki" même après la réforme, affirme l'économiste.

C'est dans l'impôt à la mobilisation de terrains (IMOB) que réside le potentiel de cette réforme. "C'est la première fois que l'on propose de mettre les propriétaires de foncier sous pression", souligne Antoine Paccoud. Un changement de paradigme pour un pays qui a longtemps préservé les acquis des grands propriétaires terriens. "Passer sans entrave toute propriété, tout terrain, à ses enfants sans payer d'impôt de succession et sans payer d'impôt foncier conséquent à ses enfants, c'est dans l'ADN du pays", commente le directeur de l'Observatoire de l'habitat.

Le problème reste cependant toujours le même: si l'IMOB est introduit, on n'en verra vraisemblablement pas les effets avant 2034. Pourtant, le Luxembourg a besoin de construire immédiatement s'il ne veut pas voir son attractivité être remise en question. Et c'est sans parler de la crise que traverse le secteur de la construction, toujours miné par le manque de demande sur la VEFA. Autant dire que la pénurie de logements risque de perdurer. Une aubaine pour ceux qui détiennent du foncier puisqu'ils ne risquent pas de se voir imposer davantage avant la prochaine décennie.

Quid des logements vides? 

On ne pourra pas compter sur les 10.000 à 20.000 logements vacants que compterait le parc immobilier luxembourgeois non plus. Tout d'abord parce que l'imposition des logements non-occupés (INOL) a été remise à plus tard, faute de registre national. Ensuite, parce que leur existence est régulièrement remise en question. "Cette histoire selon laquelle il resterait ou existerait 10.000 à 20.000 logements vacants est une fable... À un moment, quand on ne sait pas, il faut dire qu'on ne sait pas", lâche Michel-Edouard Ruben. Le directeur de l'Observatoire de l'habitat va même plus loin en affirmant "qu'on ne sait pas combien il y a de logements tout court" au Luxembourg.

D'où le besoin d'un registre national des bâtiments et des logements. Dans ce domaine, "le Luxembourg a des décennies de retard sur la plupart des autres pays européens", souligne M. Paccoud. Et le projet s'annonce "pharaonique", d'après lui. En effet, si certaines communes du sud ont été très consciencieuses en enregistrant les logements et les résidents, ce n'est pas le cas des autres. Le directeur de l'Observatoire de l'habitat évoque un "délaissement" en la matière et cela va forcément compliquer la tâche au moment d'établir une base de donnée fiable. Et sans base de données, l'impôt des logements non-occupés pourra difficilement être prélevé. 

Autrement dit, cette réforme sera un travail de longue haleine et ne répondra donc pas aux exigences du marché actuel. Rappelons d'ailleurs que le projet de loi concerné doit encore passer par toute la procédure législative. Le gouvernement luxembourgeois table sur une entrée en vigueur de l'IFON et de l'IMOB en 2028 "au plus tard". Une année test est ensuite prévue. Il faudra donc trouver d'autres solutions pour "construire plus" dans les mois à venir sans quoi, le Grand-Duché pourrait connaître un nouvel épisode de crise inédit.

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