Élections en FranceComment votent les frontaliers ?

Jérôme Didelot
Il n’existe pas de sondages spécifiques sur les votes des travailleurs frontaliers français au Luxembourg. Il est malgré tout possible de tirer quelques enseignements de différentes statistiques.
© Envato

Pas d’essentialisation - un mot à la mode ! - le frontalier n’est pas monolithique. Si les uns et les autres peuvent partager les mêmes problématiques (temps de trajets, qualité de vie, imposition…), il ne s’agit pas d’une population répondant à une catégorie socio-professionnelle bien définie. La vie d’une infirmière ne ressemble pas à celle d’une fiscaliste, le quotidien d’un employé de station-service est sans doute bien différent de celui d’un informaticien.

RTL Infos a quand même cherché à savoir s’il existait un “profil électoral” qu’on pouvait coller à ces actifs un peu particuliers, qui changent de pays pour aller gagner leur salaire. Cela en se concentrant sur les communes affichant le plus grand nombre d’actifs salariés au Grand-Duché, et en comparant les résultats des élections au reste du pays.

Le parti présidentiel relativement préservé à Thionville

Dans la commune mosellane située à une trentaine de kilomètres du Luxembourg, où près de la moitié des actifs travaillent au Luxembourg, les résultats du récent scrutin européen ne sont pas tout à fait à l’image de la tendance nationale. Le candidat du Rassemblement National n’a remporté que 28,6% des voix quand Jordan Bardella affichait 31,37% dans toute la France. Plus éloquent : le parti présidentiel représenté par Valérie Hayer atteignait 18.6%, soit 4 points de plus que sur le plan national. Un score encore plus haut à Hettange-Grande où cette dernière a frôlé les 20%.

En ce sens, le vote à Thionville et ses alentours peut dénoter une certaine confiance préservée au président Emmanuel Macron, que l’on retrouve chez les Français qui ont voté au Luxembourg, faisant arriver Besoin d’Europe en tête à près de 30%. Mais on relève une tendance étonnante chez ces derniers : le cumul des voix pour Jordan Bardella et Marion Maréchal atteint près de 20% des suffrages. Est-il besoin de rappeler que ces personnages représentent des partis historiquement eurosceptiques ?

Il est intéressant de comparer ces résultats à ceux enregistrés dans les départements français voisins de la Suisse, où de nombreux travailleurs sont salariés côté helvète. C’est en Haute-Savoie (près de 70.000) qu’on en trouve le plus, suivie par le Doubs, le Haut-Rhin et l’Ain. En Haute-Savoie, Jordan Bardella a recueilli moins de 30% des voix aux Européennes, alors que Valérie Hayer est presque à 17% et que Raphaël Glucksmann est arrivé 3e. Des résultats très proches de ceux enregistrés à Thionville par exemple.

Le Pays Haut, une exception dans l’exception

Longwy, Mont-Saint-Martin, Audun-le-Tiche et plus encore Villerupt affichent des taux d’actifs frontaliers très élevés, entre 50% et 75%. Pourtant, dans ces communes du Pays Haut (techniquement, Audun-le-Tiche, située au nord de la Moselle, n’en fait pas partie), le parti de la majorité présidentielle s’est avéré plus pénalisé qu’ailleurs en France : sous la barre des 10%, sauf à Longwy, 13,17%. Bien sûr, ces communes sont traditionnellement à gauche et Manon Aubry et Raphaël Glucksmann y ont réalisé de bons scores. Mais le fait le plus marquant concerne La France revient ! (Jordan Bardella et Marine Le Pen), en tête bien sûr, qui a fait mieux que sur l’ensemble de l’Hexagone, autour de 34%. On peut expliquer cette tendance par les difficultés spécifiques que rencontrent ces communes : une plus forte pression immobilière du fait de leur grande proximité avec le Luxembourg, le syndrome des “appartements-dortoirs”, des problèmes de sécurité et un taux de chômage élevé, en général entre 15% et 20%.

Sur cette carte, on voit à gauche les résultats des élections européennes en France en fonction de la densité de la population. À droite, le résultat est affiché par commune, sans tenir compte de la population.

Le mystère des législatives

Les 30 juin et 7 juillet prochains, les Français sont appelés aux urnes pour un scrutin inédit, des législatives anticipées induisant une campagne express pour les partis, sur fond de domination de l’extrême droite. Alors que les sondages, dans la foulée du scrutin européen, donnent le Rassemblement National vainqueur, il est éclairant de se replonger deux ans en arrière dans nos contrées frontalières. À Thionville, par exemple, le deuxième tour avait vu s’affronter Isabelle Rausch (Horizons-Ensemble) et Brigitte Vaïsse (Parti socialiste-Nupes), un duel qui semble hautement improbable en 2024, même si les deux sont à nouveau en lice dans la 9e circonscription de la Moselle.

Dans la 3e circonscription de Meurthe-et-Moselle, celle qui concerne le Pays Haut, c’est la candidate de La France insoumise-Nupes, Martine Etienne, qui l’avait emporté en 2022 au 2e tour face à Xavier Paluszkiewicz (La République en marche-Ensemble). Là encore, on imagine mal que le candidat du Rassemblement National, Frédéric Weber, ne soit pas au second tour après les 34% engrangés par Jordan Bardella aux européennes.

Pour mémoire, les Français qui votent au Luxembourg avaient placé, en 2022, Pieyre-Alexandre Anglade (LREM, ex-Renaissance) en tête des législatives avec 55,15% des voix, face à Cécilia Gondard (PS) dans la 4e circonscription des Français de l’étranger.

En Lorraine, les travailleurs frontaliers, peut-être un peu plus sensibles aux questions européennes et à la libre circulation, feront peut-être pencher légèrement la balance vers le centre-gauche. Mais dans le Grand Est comme ailleurs en France, ces élections législatives anticipées ont le goût un peu désagréable de l’inconnu.

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