Luxembourg & frontières"15€ pour une pizza, c'est quand même énorme"

Raphaël Ferber
Plat des pauvres il y a deux siècles, la pizza ne cesse de voir son prix augmenter, une conséquence notamment de l'inflation. Si en Lorraine, on se rapproche souvent des 15€, au Luxembourg, des pizzas "de luxe" dépassent les 30€.
© Raphaël Ferber / RTL

Huit francs luxembourgeois pour une Margherita. Inutile de chercher, vous ne trouverez plus une pizza à ce tarif au ras des pâquerettes, correspondant à peine à 20 centimes d’euros. C’était le prix de la pizza aux couleurs de l’Italie Chez Toni à Schifflange, en... 1972. Depuis, le coût de la vie a augmenté, avec une dernière inflation liée notamment à la crise du covid et à la guerre en Ukraine, qui rebat les cartes depuis plusieurs mois. “Mais même en Italie, la pizza à 7€, c’est fini” nous répond Déborah Ceccacci, la fille de Luigi et Sylvie, les gérants de la pizzeria.

Depuis le mois de février, toutes les pizzas du restaurant ont augmenté de 1€. Cela va de la Margherita à 12,50€ à la pizza scampis en fricassée à 21€. En moyenne, une pizza de Chez Toni tourne autour des 16€.

Des tarifs corrects au Luxembourg, où il n’est pas rare de trouver des pizzas dépassant allègrement cette moyenne. Un petit tour des cartes suffit à se faire une idée des tarifs pratiqués dans certaines pizzerias du pays, qui se veulent parfois haut de gamme.

À Oggi e Domani à Alzingen, par exemple, la Marguerita (tomate Marzano, bufala, datterini, basilic et pecorino) est affichée à 15,90€. En moyenne, une pizza y dépasse les 19€. Au Strogoff, à Luxembourg-ville, la Marguerita (sauce tomate, mozzarella fior di latte, huile EVO, basilic) est à 15€. La pizza la plus onéreuse est affichée à 31€, c’est la Tartufata (crème de truffe, mozzarella fior di latte, stracciatella, coeur d’artichauds, truffe noire d’Ombrie et basilic). En moyenne, une pizza y coûte près de 22€. Au Bella Ciao, place d’Armes, les prix vont de 12€ pour la Marguerita à 29€ pour la “King Truffle” (crème de truffe maison, mozzarella, truffe râpée, basilic, huile d’olive vierge extra). Le prix moyen d’une pizza y est de 18,30€.

Ce genre de comparaison a ses limites: tout dépend de la qualité des produits utilisés pour confectionner chaque pizza.

Chez Toni, pizzeria de Schifflange tenue par Déborah Ceccacci et ses parents Luigi et Sylvie, le prix moyen d'une pizza tourne autour de 16€.
Chez Toni, pizzeria de Schifflange tenue par Déborah Ceccacci et ses parents Luigi et Sylvie, le prix moyen d’une pizza tourne autour de 16€.
© Raphaël Ferber / RTL

D’ailleurs, Chez Toni aussi, on s’est mis à proposer des pizzas “Gourmet”, dont les prix varient de 21€ à 32€ pour la pizza “Mare & Monti” (mozzarella, scampis, tagliata de boeuf, champignons, spinaci). Il s’agit d’une offre éphémère “qui fonctionne très bien.”

“On sent les effets de l’inflation depuis le début de l’année” répond Déborah Ceccacci. “En gros, les matières premières nous coûtent environ 30% de plus qu’avant. Nos commandes à 25.000€ par mois sont passées à 36.000€.” Selon elle, les huiles et la farine arrivent en tête des produits les plus touchés par l’inflation. Suivent la viande et le poisson: c’est pour cela que les autres plats ont également augmenté. Les produits italiens sont légèrement moins impactés que les produits luxembourgeois souligne-t-elle.

Les clients nous font quelques remarques sur les prix mais la plupart reviennent. On remarque qu’ils consomment un peu moins ou différemment (Déborah Ceccacci, Chez Toni, à Schifflange)

Impossible néanmoins de répercuter en totalité la hausse des prix des fournisseurs sur le prix des pizzas. “Ce serait la catastrophe” nous répond-t-on Chez Toni. Ni de lésiner sur la qualité des produits, “ce serait contre-productif.” “Les clients nous font quelques remarques sur les prix mais la plupart reviennent. Tout le monde est impacté, eux et nous. On n’a pas augmenté de gaieté de cœur... On remarque qu’ils consomment un peu moins ou différemment.”

La situation est d’autant plus tendue pour les gérants que les salaires des employés augmentent via le mécanisme des index, au même titre que les intérêts bancaires. “On a tous encore la crise du covid dans le ventre” ajoute-t-on.

La pizzeria de Schifflange, qui compte 19 employés dont deux pizzaïolos, doit donc se résoudre à voir ses marges diminuer malgré l’augmentation de ses tarifs. “Chaque jour, on espère que les clients vont continuer à venir” conclut Déborah Ceccacci.

De quelques centimes à 1,50€ de plus sur les pizzas

Constatant que ses marges
Constatant que ses marges
© Raphaël Ferber / RTL

“L’augmentation des pizzas était nécessaire pour continuer à vivre.”À Metz, Stéphane Carissimi est à son compte depuis 32 ans. Il a créé deux pizzerias à Woippy et à Devant-lès-Ponts, qui ne font que de la livraison et de l’emporter, gérées aujourd’hui par sa femme et un de ses fils. À 52 ans, Stéphane gère le restaurant situé En Fournirue avec sept employés, quasi tous de la famille. Depuis le début de l’année, il a dû augmenter tous ses tarifs lui-aussi. À l’écouter, il a même tardé à réagir à l’inflation.

À la sortie du covid, on n’a pas eu le temps de réfléchir. L’ouverture des restaurants avait provoqué une euphorie. On n’avait plus 5 minutes pour nous” raconte-t-il. Pourtant les matières premières avaient déjà augmenté. “Au bout d’un an, fin juin, quand j’ai clôturé mon bilan, ma comptable m’a fait remarquer que mes marges n’étaient plus bonnes malgré un bon chiffre d’affaires” explique-t-il.

On a aussi augmenté le prix de nos viandes. Peut-être qu’au lieu d’en manger une fois par semaine, le client va en manger une fois par mois. Mais je ne peux pas travailler à perte (Stéphane Carissimi, pizzerias Carissimi, Metz, Woippy et Devant-lès-Ponts)

Alors, Stéphane Carissimi a vérifié la liste de ses achats et il a, d’après ses dires, “halluciné”. “Tout avait pris 30, 40%”, raconte-t-il. “Cela a commencé avec l’huile et la farine, et après, tout. Même les boissons, les emballages, les produits d’hygiène... On n’avait pas suffisamment fait attention à tout ça.” Comme beaucoup de restaurateurs du Luxembourg et des frontières, le chef passe “les trois quarts” de ses commandes à La Provençale au Luxembourg, le “Rungis du Grand Duché”.

“On a commencé à répercuter l’inflation sur nos pizzas, entre 1€ et 1,50€ de plus, parfois seulement quelques centimes” avoue-t-il. La formule moitié pizza / moitié salade tomate mozzarella est passée de 14,30€ à 16,90€, soit 2,60€ de plus. L’augmentation a été légèrement moins forte dans ses deux autres pizzeria à emporter: “les charges y sont moins lourdes.”

En marge des pizzas, le prix des viandes a également bondi: de 21,90€, notre escalope Involtini est passée à 28,90€ par exemple. On a aussi augmenté notre entrecôte de bœuf à 29,90€. Des clients ont “tilté”, certains ont moins les moyens que d’autres... Mais au Luxembourg, 30€ pour une entrecôte, c’est le minimum. Peut-être qu’au lieu d’en manger une fois par semaine, le client va en manger une fois par mois. Mais je ne peux pas travailler à perte. On verra au prochain bilan comptable, mais je sais qu’on est déjà mieux.”

Et si les matières premières continuent d’augmenter, les prix de certaines pizzas peuvent-ils dépasser les 20€, comme au Luxembourg? “Bien sûr” répond Stéphane Carissimi. “Le prix du saumon, par exemple, a explosé. On ne pourra pas faire autrement.”

Il s’attaque au marché luxembourgeois avec des tarifs “mosellans”

À Thionville, l’inflation aura eu la peau d’Acro Pizza. Cette petite pizzeria située sous les arcades du boulevard Foch proposait des plats à livrer ou à emporter depuis environ trois ans. Elle a baissé son rideau très récemment. Cette pizzeria a également existé sous la forme d’un restaurant, plus loin du centre-ville, de 2015 à 2020. Son avantage: des pizzas goûteuses et vendues à des tarifs très corrects.

En début d’année, le patron avait d’abord dû mettre fin à la livraison gratuite, à cause de la flambée des prix des carburants. Dès lors, il fallait compter 2€ minimum pour une course.

Dans la pizza depuis de nombreuses années dans le secteur de Thionville, Emmanuel Piccioli compte séduire la clientèle luxembourgeoise avec des tarifs attractifs.
Dans la pizza depuis de nombreuses années dans le secteur de Thionville, Emmanuel Piccioli compte séduire la clientèle luxembourgeoise avec des tarifs attractifs.
© Raphaël Ferber/RTL

En même temps, il a augmenté les tarifs de ses pizzas de quelques centimes voire de plus d’un euro dans certains cas. De 7€, la Marguerite était passée à 8€. La plus onéreuse était la Buffala Campana, à 13,80€. La plupart des pizzas étaient vendues moins de 11€. Quant aux “méga” pizzas, de diamètre 38, certaines avaient augmenté de plus de 2€. La plupart étaient vendues entre 17€ et 18€. “On n’était pas assez cher” explique le gérant de la pizzeria, qui a démarré ses activités dans la Vallée de la Fensch en 1996. Mais il reste attaché à l’idée de vendre ses pizzas à un tarif raisonnable: “15€ pour une pizza, c’est quand même énorme” nous lance-t-il, lorsqu’on évoque les tarifs de la concurrence.

S’il explique “avoir d’abord tapé dans les réserves”, Acro Pizza a bien vite été rattrapé par l’inflation. La mozzarella, que l’on payait 4,80€ le kilo, est quasiment montée à 9€, transport compris” explique-t-il. Une palette à 1.600€, on la touche à 2.400€ maintenant détaille-t-il. Sauce tomate, champignons, artichauts, lardons... “Tout a augmenté.”

Aujourd’hui au Luxembourg, quand vous vendez vos pizzas à moins de 15€, les gens se méfient et croient qu’elles ne sont pas bonnes! (Emmanuel Piccioli, gérant de Pizza Club à Fameck et de Italiadiffusion.lu)

Emmanuel Piccioli a senti le vent tourner “il y a une petite année”, alors que son affaire fonctionnait plutôt bien à son lancement. “Au début, le téléphone sonnait sans arrêt. On a commencé avec deux voitures de livraison, puis on a vite doublé” raconte-t-il. Mais dernièrement, “c’est comme si on loupait la moitié des appels des clients. On faisait environ 40% de chiffres d’affaire en moins affirme-t-il. La forte concurrence à Thionville n’a pas aidé, “on y ouvre une pizzeria aussi vite qu’une boulangerie”.

L’aventure dans la pizza est néanmoins loin d’être finie pour Emmanuel Piccioli. Il va rouvrir son restaurant Pizza Club à Fameck vers la mi-mai, après l’avoir laissé à l’abandon pendant huit ans. Et il s’est lancé dans l’e-commerce depuis la fin de l’année dernière avec le Luxembourg en ligne de mire. Via la plateforme “Italiadiffusion.lu”, ses pizzas partent précuites depuis Fameck jusqu’au Grand-Duché, à condition de les commander la veille. “Pour le moment, on livre dans un rayon de 50 km autour de Dudelange” précise-t-il.

À partir de 15€, la livraison est gratuite et un petit four électrique est laissé gratuitement aux entreprises durant un mois. Le prix des pizzas est un peu plus élevé qu’en Moselle: jusqu’à 2€ de plus. Mais aucune ne dépasse les 15€.

Convaincre la clientèle luxembourgeoise en maintenant des tarifs “mosellans” est d’ailleurs un défi qui a pris une tournure insolite pour Emmanuel Piccioli: “aujourd’hui au Luxembourg, quand vous vendez vos pizzas à moins de 15€, les gens se méfient et croient qu’elles ne sont pas bonnes! C’est dommage.”

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