Ouvert depuis près de trois ans au centre-ville de Luxembourg, le bar "Flûte Alors !" est le seul du pays à servir quasi exclusivement du champagne. Entre avantages et inconvénients: le gérant Sébastien Rouillaux nous livre son expérience.
Le mono-produit est à la mode. Burger, donut, cookie, guimauve, salade et même madeleine (difficile de ne pas évoquer celles de la cheffe luxembourgeoise Léa Linster), les enseignes misant sur un seul produit pullulent un peu partout dans le monde et rejoignent ainsi les rangs de leurs ancêtres: les pizzeria et autres friteries. En France, des chefs reconnus s'y sont mis également, à l'image de Philippe Etchebest et de son restaurant bordelais consacré à la raviole. Le but est autant de se démarquer que de pousser à fond l'expertise sur un produit phare. Le Grand-Duché ne fait pas figure d'exception.
L'avantage: de l'expertise, des bouteilles plus rares
À Luxembourg-Ville, Sébastien Rouillaux s'est lancé dans un domaine qu'il connaît bien: le champagne. Cet importateur français de champagnes produits par des vignerons indépendants a rallié le Luxembourg en 2016 avec sa femme, Agnès. Ils ont d'abord crée la société Craft et Compagnie. Depuis 2022, on les retrouve chez "Flûte Alors !", un bar de la Grand-Rue qui, comme son nom le laisse supposer, ne sert (quasi) que... du champagne.
"Le Luxembourg est un endroit amoureux du champagne, mais avant tout des marques. Notre travail est de mettre en avant le travail de vignerons indépendants" avance Sébastien Rouillaux. Comme l'explique Amaury Brunstein, élu sommelier de l'année 2025 par le guide Gault&Millau - tout comme son acolyte Olivier Chocq - , "il y a beaucoup de facettes dans un même produit." C'est l'avantage de ce concept: se spécialiser pour proposer des produits rares voire inédits.
Dans ce bar pas tout à fait comme les autres, la carte des champagnes s'étend sur plus de 20 pages. Environ 300 bouteilles y sont référencées. Comme le dit la formule, il y en a pour tous les goûts. Même pour ceux qu'on ignore: les sommeliers sont là autant pour accompagner les connaisseurs que les novices du champagne et les aider à développer leur palais. Il suffit de franchir le seuil de ce bar pour se rendre compte que leur passion pour ce vin de luxe n'est pas feinte: armés d'une carte de la région champenoise, ils ont une histoire à raconter sur chaque bouteille. "Il me faudrait trois vies pour être incollable sur le vin" affirme Olivier Chocq, "alors que le champagne est un sujet qu'on peut maîtriser."
Mais prendre le pari du mono-produit n'est pas sans risque. "Ça implique que si votre produit est challengé; pas ou plus apprécié dans un lieu, vous êtes potentiellement plus en danger que si vous avez un spectre plus large. Ça, c 'est une certitude" reconnaît Sébastien Rouillaux. À vrai dire, le pari du tout champagne n'est pas tenu à 100% chez "Flûte Alors !". À la carte, si les cocktails et le crémant sont exclus, on trouve quand même des vins blancs, des vins rouges, quelques vins rosés, des digestifs et même un saké ! "On ne peut pas forcer les gens à aimer le champagne. Certains ont pu avoir une mauvaise expérience. On peut les interpeller via un champagne un peu vineux ou un peu bariqué... Mais il faut que ça vienne d'eux" justifie Olivier Chocq.
La maison est aussi devenue plus ambitieuse au niveau gastronomique. Elle sert désormais quelques plats végétaux (velouté, tataki de céleri rave confit, risotto), de la terre (lapin en croûte, joue de boeuf, pièce de viande), de la mer (lieu noir, turbot, crevette blue), des assiettes à partager (huîtres, foie gras, tartare de boeuf, gravlax de saumon...) et des desserts (tarte tatin, tartelette poire et amande, cake marbré, chou au café). Si le champagne reste une boisson de fête, il ne se limite pas qu'aux apéros. "On peut tout associer", prétend Amaury Brunstein. "Il y a sept cépages en Champagne qui ont tous une saveur différente et leurs arômes diffèrent aussi selon les terroirs. Que ce soit pour accompagner une entrée, une viande, un poisson ou un dessert, tout est possible. Le champagne n'est plus seulement qu'un produit festif, c'est avant tout un alcool mis au service de la gastronomie."
En revanche, il demeure un vin de luxe. Ce qui n'est pas prêt de changer pour une raison toute simple: "de par sa zone géographique, la Champagne ne peut produire que 300 millions de bouteilles par an dans le monde entier. Ce qui est très peu par rapports aux autres vins effervescents, dix fois plus nombreux. La région compte environ 4.000 producteurs" explique Sébastien Rouillaux. Son processus de fabrication est aussi particulièrement long et technique. Chez "Flûte Alors !", la coupe va de 14€ à 25€ pour les champagnes dits "accessibles". "À prix d'achat, on peut trouver une excellente bouteille entre 35 et 40€" ajoute le sommelier Olivier Chocq. "Pour ce prix, on prend vraiment un grand plaisir."