Face au fléau des no shows, ces réservations non honorées par les clients, plusieurs grands chefs du Luxembourg ont décidé de ne valider une table qu'à une condition: le dépôt d'une empreinte bancaire.
La colère gronde chez les restaurateurs du Luxembourg. En cause, les no shows, ces "lapins" posés par les clients qui laissent un trou parfois béant dans le chiffre d'affaires des restaurants. Le phénomène s'est répandu depuis quelques années de l'autre côté des frontières et serait de plus en plus fréquent au Grand-Duché. Récemment, les gérants de la Brasserie l'Authentique, située au Limpertsberg à Luxembourg-ville, ont poussé un coup de gueule sur les réseaux sociaux après avoir perdu 11 couverts en une seule soirée.
Si l'on part d'un ticket moyen de 60 euros par personne, on mesure assez vite les conséquences pour les restaurateurs de ces réservations non honorées. Qu'en est-il dans les restaurants gastronomiques, où le ticket peut vite doubler, voire tripler ? Forcément, chaque no show pèse encore plus lourd.
"Si vous comptez trois ou quatre no shows par semaine, ça représente facilement un billet de 1.000, 1.200, 1.400 euros... Sur un mois, ça fait 5.000, 6.000 euros. Sur un an, on arrive vite à 50.000 euros. C'est énorme" répond le chef Julien Lucas, de La Villa de Camille et Julien, restaurant gastronomique de Luxembourg-ville qui a décroché l'étoile Michelin l'an dernier.
"En 2012, quand je travaillais à Paris, c'était un sport national" complète Camille Tardif, sa compagne. "Les gens réservaient des brunchs dans trois, quatre restaurants différents et se décidaient à la dernière minute. Au Luxembourg, j'ai le sentiment que les restaurants étaient relativement épargnés par ce phénomène et globalement, à notre niveau, on trouve les gens assez respectueux. Mais force est de constater que les no shows sont devenus plus fréquents, même ici."
Simple oubli, empêchement de dernière minute ou vrai mépris de la part des clients pour les restaurateurs ? Un peu de tout ça. "Ça m'est arrivé que des clients soient coincés plus d'une heure dans des bouchons sur une autoroute luxembourgeoise, mais au moins ils ont appelé pour annuler" répond Renato Favaro, chef du Cômo, à Esch.
Or, on parle surtout de no show quand le restaurateur n'est pas prévenu du tout. "C'est par vague" estime-t-il. "Parfois, j'ai plusieurs no shows en une semaine et ensuite, plus aucun pendant un mois." Mais le chef italien n'est pas avare en anecdotes. "Un jour, un couple m'a réservé deux tables. Ni l'homme ni la femme ne s'étaient concertés. Résultat, une table est restée vide."
UNE ARME
ANTI-NO SHOW?
Afin de contrer les no shows, plusieurs restaurateurs du Luxembourg ont pris une décision radicale: demander une empreinte bancaire, en général via un logiciel de gestion comme Zenchef. Celui-ci permet notamment d'identifier un client ayant déjà réservé une table dans un autre restaurant, au même moment, ou s'étant déjà rendu coupable d'un no show quelque part.
Arnaud Magnier, le chef du Clairefontaine, avait déjà tenté le coup "il y a cinq, six ans". "On perdait presque une table par jour et on est ouvert 240 jours par an. C'était dramatique." Mais la clientèle luxembourgeoise n'était pas encore prête à communiquer les numéros de sa carte bancaire au moment de réserver une table. "Les gens n'acceptaient pas du tout, on perdait beaucoup de clients."
Aujourd'hui au Luxembourg, ça rentre -très doucement- dans les habitudes. Désormais, au Clairefontaine, "ce sont 70 euros débités le midi et 100 euros le soir, par personne, quand on est victime de no show" indique Arnaud Magnier. "On n'est pas là pour ponctionner de l'argent sur le dos des clients, ce n'est pas un pré-paiement. C'est juste une garantie pour nous. On peut aussi se montrer compréhensif dans certains cas."
À La Villa de Camille et Julien, ces nouvelles règles n'ont pas été acceptées tout de suite par tout le monde. "Au début, on s'est fait engueuler par des clients! Certains ont hurlé: 'pour qui vous vous prenez?' 'On peut vous poursuivre en justice, c'est scandaleux!'" garde en mémoire Julien Lucas. "Mais en un an, les choses ont bien évolué. Au final, ça ne nous est arrivé qu'une seule fois de débiter des clients pour un no show. C'était 100 euros par personne et on n'a eu aucune réaction de leur part" s'étonne-t-il.

Arnaud Magnier, le chef du Clairefontaine à Luxembourg-ville: "demander une empreinte bancaire à nos clients a permis de quasiment régler le problème des no shows dans notre restaurant." / © Raphaël Ferber/RTL 5minutes
D'autres chefs tentent de limiter la casse en utilisant les réseaux sociaux. "X places viennent de se libérer, téléphonez-nous!" peut-on lire par exemple dans de nombreuses stories, sur les pages des restaurants du pays. On pense par exemple à Eden Rose à Kayl, ou à Ryodo, à Luxembourg-ville, fraîchement étoilé Michelin.
À la Distillerie à Bourglinster, le chef René Mathieu préfère pour le moment s'en remettre à sa secrétaire, qui appelle chaque semaine des clients qui ont réservé leur dîner au château, après l'envoi d'un mail de rappel. "Notre cas est peut-être un peu particulier car il faut attendre plusieurs mois avant d'avoir une table chez nous. Alors un client qui fait un no show, c'est un client qui va devoir attendre encore plus longtemps avant de pouvoir venir manger. On a très peu de gens sur notre liste noire" explique le chef belge, qui hésite à "punir tout le monde" en demandant une empreinte bancaire à cause d'un pourcentage "infime" de no shows dans son restaurant. "Mais il y a deux, trois ans, nous aussi on gérait les réservations de semaine en semaine et là oui, les no shows étaient plus fréquents. Donc je comprends le recours aux empreintes bancaires dans certains restaurants."
En tout cas, l'utilisation d'un logiciel de réservation a réglé les problèmes du Clairefontaine. "Le souvenir du dernier no show est assez loin, admet Arnaud Magnier. Je ne sais même pas si on en a eu un cette année..."