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La situation linguistique unique du Luxembourg peut représenter un défi majeur pour les familles d'expatriés.
Le Luxembourg est unique en son genre, étant l'un des rares pays au monde où l'on parle fréquemment quatre langues : le luxembourgeois, le français, l'allemand et l'anglais. Cette richesse linguistique s'explique par la petite taille du pays, la forte proportion d'expatriés et d'immigrés, et les échanges constants avec les pays voisins.
Dans la vie quotidienne, passer d'une langue à l'autre est monnaie courante. Pourtant, malgré cette normalité apparente, beaucoup de personnes éprouvent des difficultés à maîtriser ces multiples langues.
Les enfants luxembourgeois sont plongés dans cet environnement multilingue dès leur plus jeune âge. Cette exposition précoce présente de nombreux avantages, notamment une flexibilité cognitive accrue et une meilleure capacité d'adaptation tant dans la vie personnelle que professionnelle. La maîtrise de plusieurs langues est une véritable clé qui ouvre des portes et offre des opportunités à l'échelle mondiale- le multilinguisme offre des avantages considérables.
Cependant, ce système n'est pas sans inconvénients. L'apprentissage simultané de plusieurs langues peut être particulièrement difficile pour ceux qui éprouvent déjà des difficultés avec une seule langue. Selon l'OECD, au Luxembourg, 60 % des élèves du secondaire ne parviennent pas à terminer leurs études dans le délai prévu de sept ans, une situation qui pourrait être liée à la complexité d'un système éducatif multilingue.
Laura (pseudonyme pour protéger l'anonymat de ses clients, ndlr), orthophoniste spécialisée dans les enfants de 0 à 8 ans, travaille dans le centre et le sud du Luxembourg, où elle observe les effets de ce système sur les jeunes enfants. Les huit premières années de vie sont une période cruciale où les problèmes d'élocution se manifestent souvent. Laura note que, ces quatre dernières années, la quasi-totalité de ses clients proviennent de familles d'expatriés et d'immigrés, avec seulement deux exceptions. Cette observation met en lumière la disparité que rencontrent les non-Luxembourgeois dans le système scolaire du pays. Étant donné que 58,2 % de la population est composée d'expatriés et d'immigrés (selon Research Luxembourg), il est crucial de s'attarder sur ces questions.
Barrières linguistiques
Laura explique que le manque de personnel dans les écoles force les parents à accepter des places dans des crèches potentiellement non adaptées, quelle que soit la langue d'enseignement - cela marque souvent le début de nombreuses difficultés. Les crèches peuvent fonctionner dans une seule langue, qu'il s'agisse du français, de l'allemand, du luxembourgeois ou de l'anglais ; ces langues peuvent souvent différer de la langue parlée à la maison. Lorsque les enfants passent de la crèche à l'école précoce - le luxembourgeois étant principalement utilisé - ils sont souvent confrontés à une nouvelle langue d'enseignement, ce qui entraîne encore d'autres difficultés.
Laura souligne que les enfants issus de familles étrangères peuvent souvent se sentir déstabilisés et éprouver des difficultés à communiquer avec leurs enseignants et camarades en raison des changements linguistiques soudains qu’ils rencontrent. Cette situation peut créer des tensions importantes au sein de la dynamique familiale, les parents eux-mêmes peuvent avoir du mal à communiquer avec leurs enfants. L'isolement social qui en découle peut compliquer l'acquisition de nouvelles langues pour l'enfant, et les conséquences de cet isolement, tant à la maison qu'à l'école, risquent d'entraver l'apprentissage linguistique sur le long terme. Laura plaide pour que les crèches locales adoptent des programmes en luxembourgeois, permettant ainsi une transition plus fluide vers l'école primaire.
Elle souligne également que d'avoir de bonnes bases dans sa langue natale est essentiel, bases qui servent de socle pour l'acquisition d'autres langues. Toutefois, la pression pour assimiler rapidement plusieurs langues conduit souvent les enfants à négliger leur langue d'origine, ce qui peut provoquer des crises d'identité culturelle et des tensions au sein de la famille. Bien que de nombreux parents souhaitent apprendre eux-mêmes ces langues pour mieux accompagner leurs enfants dans leur parcours scolaire et leur développement linguistique, la tâche peut s’avérer ardue, surtout pour ceux qui jonglent déjà avec une vie active chargée.
Une autre conséquence du multilinguisme est que certains enfants développent une langue hybride, un "patchwork" linguistique manquant de structure et de cohérence. Cela peut s’avérer particulièrement déroutant pour leur développement cognitif et pour l’acquisition de compétences en communication. Comme le résume Laura, "On ne peut pas construire une maison sur du sable".
Les expatriés font face à un autre défi majeur : leurs déménagements fréquents d’un pays à un autre compliquent l’accès à un soutien linguistique et médical adéquat.
Neurodiversité et inclusion
La neurodiversité chez les enfants, qui comprend des troubles tels que le trouble du spectre autistique (TSA), le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) et la dyslexie, influence de manière significative leurs compétences linguistiques, bien que les effets puissent varier considérablement. Ces enfants peuvent présenter un retard dans le développement de la parole, des difficultés à comprendre le langage, ainsi que des défis liés aux signaux de communication sociale. Par exemple, les enfants atteints de TDAH ont souvent du mal à se concentrer, organiser leurs pensées, et peuvent être impulsifs, ce qui perturbe le déroulement des conversations.
La neurodiversité se caractérise par un spectre, où les diagnostics courants, tels que TSA et TDAH, peuvent parfois être erronés ou incomplets. Ces erreurs de diagnostic ont un impact direct sur le soutien que reçoivent les enfants pour l'acquisition des langues. Laura observe que la forte demande de diagnostics dans le pays entraîne des processus accélérés pour réduire les périodes d'attente et fournir une aide rapide. Cependant, cette précipitation peut involontairement mener à un soutien inadéquat ou inapproprié.
Il n'existe pas de "profil classique" pour les troubles comme le TSA ou le TDAH, ni pour la neurodiversité en général. Les stéréotypes liés à ces troubles, notamment en matière de comportement, sont particulièrement problématiques. Selon Laura, il est crucial de "laisser de côté" ces stéréotypes, car ils empêchent les personnes qui ont besoin d'un diagnostic de l'obtenir. Reconnaître et accepter les diverses expressions de la neurodiversité permet de déstigmatiser ces conditions, offrant ainsi aux enfants un meilleur soutien sans être limités par des idées préconçues.
Les traumatismes jouent souvent un rôle dans l'aggravation des troubles du langage, rendant leur traitement plus complexe. Pour certains enfants, ces traumatismes peuvent découler d'expériences telles que la guerre, la négligence parentale, l'impact de la COVID-19 ou d'autres circonstances difficiles. Une approche plus globale de l'orthophonie est donc nécessaire pour mieux comprendre les causes sous-jacentes des troubles du langage. Malheureusement, cette approche demande du temps. Flexibilité et ouverture d'esprit sont essentielles, car le chemin vers l'amélioration est rarement linéaire.
Contrairement à certaines croyances populaires, des études montrent que l'apprentissage de plusieurs langues dès un jeune âge ne cause pas de troubles dyslexiques, qui sont souvent d'origine génétique. Cependant, la dyslexie peut considérablement compliquer l'apprentissage de nouvelles langues, rendant le parcours éducatif d'un enfant plus difficile, surtout dans un environnement multilingue comme le Luxembourg.
Laura a également noté un phénomène intrigant : de nombreux enfants autistes avec lesquels elle travaille apprennent souvent l'anglais bien plus rapidement, même après avoir rencontré des difficultés avec d'autres langues. Cette observation ouvre un champ de recherche potentiel sur l'interaction entre l'acquisition de langues spécifiques et la neurodiversité.
Quelques conseils
Laura suggère que pour soutenir les enfants neurodivergents, il est essentiel de se concentrer sur leurs forces plutôt que sur leurs faiblesses. Par exemple, un enfant atteint de TDAH qui a du mal à rester assis peut mieux se concentrer lors d'activités créatives comme le dessin. Cela transforme un comportement perçu comme difficile en une opportunité d'engagement et d'apprentissage.
"Il faut se rappeler que ce n'est pas la faute de l'enfant", explique Laura. "Crier sur un enfant souffrant de TDAH et lui ordonner de s'asseoir est contre-productif ; l'enfant peut réellement éprouver des difficultés à cet égard et ne pas savoir comment répondre à l'attente." Elle encourage les parents et les enseignants à identifier les points forts de l'enfant et à l'encourager dans ces domaines.
Selon Laura, le renforcement positif et une approche éducative douce sont beaucoup plus efficaces, notamment pour l'apprentissage des langues. La patience et la compréhension jouent un rôle clé dans ce processus.
Une intervention précoce est cruciale pour les enfants qui rencontrent des difficultés dans le développement du langage. Laura met en garde contre un excès de temps passé devant les écrans, soulignant que les compétences linguistiques se développent principalement à travers des interactions personnelles. Elle déconseille de compter sur des appareils comme les iPads, téléphones ou tablettes pour occuper les enfants, en particulier ceux qui ont des troubles du langage. À la place, elle recommande de participer à des activités partagées, comme regarder la télévision ensemble plutôt que seul, ce qui offre l'interaction nécessaire au développement efficace des enfants.
L'orthophonie
L'orthophonie peut réellement soutenir la communication verbale et non-verbale, tout en aidant à surmonter l'isolement et les difficultés d'élocution et du langage, quel que soit le nombre de langues parlées par l'enfant.
Au Luxembourg, l'accès aux services orthophonistes varie considérablement en fonction des régions, avec des délais d'attente allant de 6 à 7 mois en ville, et de 10 à 12 mois dans le sud du pays. Laura recommande aux parents d'inscrire leurs enfants dès que possible afin de garantir qu'ils reçoivent les soins nécessaires, car une intervention précoce est essentielle.
Elle insiste également sur l'importance d'une communication étroite entre les orthophonistes et les enseignants et souligne qu'il est crucial de tenir les enseignants informés des progrès de l'enfant et de solliciter leur soutien si nécessaire. Elle conseille aux parents de ne pas hésiter à demander l'aide des enseignants pour maximiser l'efficacité du traitement.
De plus, la participation des parents aux séances d'orthophonie est vivement recommandée. Cela permet aux parents de mieux comprendre les défis auxquels leur enfant est confronté et d'apprendre certaines stratégies efficaces pour soutenir son développement. En participant activement, les parents créent également un environnement plus sûr et confortable dans lequel l'enfant peut apprendre et évoluer.