Habiter à l’étranger, c’est bien plus qu’un déménagement: c’est un voyage qui transforme !

Que l’on s’expatrie par choix ou par nécessité, vivre à l’étranger est une aventure faite de défis, de découvertes, et de remises en question. Pour explorer les dimensions psychologiques de cette expérience souvent méconnue, nos collègues de RTL Today se sont entretenus avec le Dr Valeria Giannuzzi, psychologue et entrepreneuse, spécialisée dans la santé mentale des expatriés. Ensemble, ils ont abordé les complexités émotionnelles liées à la migration et la notion profondément intime de ce que signifie appeler un lieu "chez soi".

Originaire de Rome, en Italie, Valeria Giannuzzi a toujours ressenti une fascination pour le monde au-delà de ses frontières. Enfant, elle confiait déjà à sa mère son rêve de vivre "loin". Ce rêve s’est concrétisé lorsqu’elle a eu l’opportunité de partir étudier à l’étranger dans le cadre du programme Erasmus. "C’est un moment qui a bouleversé ma vie. Je me suis dit : waouh, c’est incroyable. Le monde est vaste !" raconte-t-elle. Depuis, son parcours l’a menée en Espagne, aux Pays-Bas, au Mexique, et aujourd’hui au Royaume-Uni, où elle réside.

Au Luxembourg, près de la moitié des habitants – 47,3 % en janvier 2024 – sont nés à l’étranger. Un chiffre impressionnant, mais qui soulève une question de fond : comment nommer cette diversité humaine ? Faut-il parler de migrants, d’expatriés, de ressortissants étrangers ?

Le Dr Giannuzzi distingue d’abord les termes administratifs : demandeur d’asile, réfugié, titulaire d’un permis de travail, conjoint ou étudiant international. Dans la recherche universitaire, le mot "migrant" est souvent privilégié, car il désigne le mouvement lui-même – qu’il soit temporaire ou permanent – plutôt que son point de départ ou d’arrivée.

Mais les mots ne sont jamais neutres. Et selon elle, les représentations associées à ces termes varient fortement selon le contexte – notamment en ligne. Une simple recherche sur le mot « migrant » fait souvent apparaître des images de personnes en situation précaire, généralement non blanches, fuyant des conflits ou des catastrophes. "À l’inverse, le terme “expat” renvoie à des images beaucoup plus positives : des personnes blanches, souriantes, dans des cafés lumineux, en train de travailler sur un ordinateur portable."

Ces contrastes soulignent une réalité troublante : les étiquettes que nous utilisons pour parler des migrations ne reflètent pas la diversité des expériences vécues. Elles sont souvent chargées de stéréotypes et d’implicites culturels. "Je pense que nous n’avons pas encore trouvé le bon mot, celui qui puisse rendre justice à la singularité de chaque parcours", conclut-elle.

Les défis auxquels font face les familles d’expatriés

Au Luxembourg, le terme "expat" est couramment utilisé pour désigner les nombreux professionnels venus de l’étranger, souvent attirés par des opportunités d’emploi ou d’études. Ces migrants économiques s’installent fréquemment en famille, avec conjoints et enfants à leurs côtés. Mais derrière l’image lisse de l’expatriation se cachent des défis bien réels.

Le Dr Valeria Giannuzzi souligne que les difficultés apparaissent à chaque étape du parcours, et varient selon des facteurs tels que l’âge, le genre, la situation familiale ou encore la raison du déménagement. La personne qui a obtenu un emploi à l’étranger doit souvent gérer une série de démarches complexes avant même de partir : préparer les documents, organiser le déménagement, planifier l’installation. Une charge mentale importante, souvent accompagnée d’un stress considérable.

Pendant ce temps, son ou sa partenaire peut vivre une réalité très différente — surtout s’il ou elle n’a pas d’emploi garanti à l’arrivée, ou rencontre des obstacles pour obtenir un visa de travail. Ce décalage peut entraîner un sentiment d’incertitude, voire de perte d’identité. Les enfants, eux, peuvent avoir du mal à accepter un changement de vie sur lequel ils n’ont aucun contrôle. Dire au revoir à leurs amis, à leur famille, à leurs repères peut être une source de tristesse ou de confusion.

Et qu’en est-il des personnes qui n’ont pas eu le choix de partir ? "Certaines personnes n’ont pas la possibilité de préparer leur départ", explique le Dr Giannuzzi. "Elles doivent fuir en urgence à cause d’une guerre ou d’une catastrophe. Elles quittent leur foyer sans avoir le temps de dire au revoir ou d’emporter leurs affaires personnelles." Ce type de migration, contraint et précipité, tend à être particulièrement traumatisant.

La réalité de l’arrivée

Lorsqu’on s’installe dans un nouveau pays, le début de l’expérience peut prendre des formes très différentes. Le Dr Valeria Giannuzzi explique que certaines personnes vivent une véritable "lune de miel" : l’excitation de la découverte, la joie d’avoir concrétisé un rêve, l’enthousiasme face à une culture nouvelle. Tout semble fascinant, stimulant, plein de promesses.

Mais pour d’autres, c’est le choc culturel qui domine. Les barrières linguistiques, les différences dans les systèmes administratifs ou scolaires, ou encore les normes sociales peuvent vite devenir accablantes. Et même lorsque la migration a été bien préparée, l’arrivée ne se passe pas toujours comme prévu.

De nombreux conjoints prennent malgré eux le rôle de "suiveur" – une position souvent sous-estimée – et doivent s’adapter sans avoir de projet personnel défini. Les enfants, quant à eux, peuvent peiner à trouver leur place dans une nouvelle école ou à se faire des amis. Si le travail tant espéré déçoit, ou si le nouvel environnement semble froid ou hostile, la désillusion peut s’installer rapidement.

Dans cette phase initiale, le deuil joue un rôle central. On parle ici d’un deuil symbolique : celui de tout ce qui a été laissé derrière soi. Le mal du pays peut s’exprimer à travers la solitude, la mélancolie, voire une dépression. "Il y a des choses qui vous manqueront évidemment : vos amis, votre ancien appartement, votre café préféré du dimanche", explique le Dr Giannuzzi. "Mais ce sont parfois les petits détails qui provoquent les plus grands élans de nostalgie. Ces choses qui, sans qu’on s’en rende compte, font partie intégrante de notre identité."  Elle sourit en se rappelant une anecdote personnelle : "Quand je vivais au Mexique, ce qui m’a le plus manqué, c’était la burrata italienne. Et croyez-moi, j’ai cherché des alternatives sud-américaines !"

Au fil du temps, une autre dimension apparaît : celle de l’identité. Après quelques années, certaines personnes se retrouvent dans un entre-deux. "Il y a une période où l’on ne se sent plus complètement chez soi nulle part", confie-t-elle. Ni tout à fait d’ici, ni totalement de là-bas. Ce flou identitaire peut être déroutant, mais aussi révélateur.

Le Dr Giannuzzi appelle cela la "porosité identitaire". Certains s’adaptent pleinement au pays d’accueil : ils adoptent les coutumes locales, ajustent leurs horaires de repas, leur façon de socialiser, leur humour. D’autres préfèrent conserver leurs habitudes culturelles, maintenir les repères de leur pays d’origine et recréer un cocon familier. "Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de vivre l’acculturation", insiste-t-elle. "Mais chaque choix influence la manière dont on s’intègre, et la relation qu’on entretient avec sa nouvelle vie."

Du nouvel arrivant au migrant expérimenté

Selon le Dr Valeria Giannuzzi, il faut en moyenne cinq ans pour qu’un expatrié se transforme en ce qu’elle appelle un « migrant expérimenté ». C’est-à-dire une personne qui a trouvé son rythme, qui connaît bien son pays d’accueil, en parle souvent la langue, et s’est familiarisée avec les codes de la vie locale.

Mais cette installation progressive ne signifie pas pour autant la fin des défis. "Les questions liées aux visas, à la nationalité ou à la citoyenneté peuvent être particulièrement sensibles", explique-t-elle. Dans certains pays, l’impossibilité de conserver une double nationalité oblige les individus à faire un choix difficile, parfois douloureux, entre deux identités.

D’autres préoccupations émergent avec le temps : comment prendre soin de parents âgés restés dans le pays d’origine ? Que se passera-t-il en cas d’urgence familiale ? Ce genre de questionnements s’intensifie à mesure que l’on avance en âge et qu’un retour temporaire devient plus compliqué à organiser.

Les moments manqués peuvent aussi peser lourd : les mariages, les naissances, les célébrations. Même après des années, l’absence à ces événements peut provoquer une tristesse profonde ou une forme de culpabilité. "Un migrant expérimenté sait que la vie continue sans lui, mais cela ne rend pas les choses plus faciles", note le Dr Giannuzzi.

À ce stade, trois trajectoires principales se dessinent : certains choisissent de s’installer définitivement dans leur pays d’accueil – une migration dite "à sens unique ". D’autres préfèrent rentrer chez eux après un certain temps – on parle alors de "migration circulaire". Enfin, une troisième catégorie poursuit l’aventure ailleurs, entamant une nouvelle vie dans un nouveau pays – c’est la « migration multiple".

Pour les enfants, ce cheminement est encore plus singulier. Ceux qu’on appelle les "enfants de la troisième culture" (Third Culture Kids, ou TCK) grandissent à l’intersection de plusieurs mondes culturels. "Je pense que ces enfants développent une sensibilité particulière, une façon unique de percevoir la réalité", explique le Dr Giannuzzi. "Ils sont à la fois dedans et dehors, observateurs et participants. Ils voient souvent ce que d’autres ne perçoivent pas."

Elle insiste sur l’importance de valoriser cette richesse. "Mon approche du multiculturalisme et du multilinguisme, c’est toujours d’ajouter, jamais d’enlever." Bien sûr, maintenir vivantes les langues et traditions familiales demande un effort. Mais, pour elle, le jeu en vaut largement la chandelle. "Les enfants TCK ont accès à des trésors culturels incomparables. Et les récompenses sont immenses."

Une nouvelle entreprise qui a pour but la guérison

Forte de son expérience auprès de migrants venus des quatre coins du monde, le Dr Valeria Giannuzzi a récemment lancé sa propre entreprise : The Magic Stork ("La Cigogne Magique"). Pourquoi ce projet ? "La santé mentale est de plus en plus prise au sérieux, mais il reste encore énormément à faire", explique-t-elle. "Il faut changer le récit dominant, et adopter une approche plus préventive."

Avec The Magic Stork, le Dr Giannuzzi propose des ateliers et des programmes de soutien autour de la relocalisation et du bien-être psychologique, ainsi que des séances de thérapie individuelles en ligne, accessibles notamment aux résidents luxembourgeois. Ces accompagnements ciblent des moments spécifiques de la vie migratoire, souvent empreints de transition, de remise en question, ou de vulnérabilité.

"L'un des principaux objectifs de la thérapie est de trouver l'acceptation ou la paix. Il n'est pas nécessaire d'avoir un diagnostic de dépression ou d'anxiété pour prendre soin de sa santé mentale. Vous pouvez simplement être curieux et vous poser des questions telles que : comment puis-je mieux vivre avec moi-même, accepter qui je suis, où je suis, ce que je fais ? Comment puis-je améliorer mes relations ? Comment puis-je atteindre mes objectifs ?"

Quel que soit votre parcours d'expatrié, le Dr Giannuzzi nous encourage tous à communiquer et à parler ouvertement de nos histoires.  "Il y a de la beauté dans chaque expérience migratoire. Lorsque vous êtes un migrant, vous devenez un "enfant culturel" (d'où la référence à la cigogne, traditionnellement associée à l'accouchement). Il faut tout réapprendre. Je veux encourager votre curiosité et apporter une étincelle magique à votre voyage !"