Un bon médecin généraliste, c'est quoi selon vous? Pour moi, c'est un médecin qui prend encore le temps de vous traiter comme un patient. Quitte à faire râler les impatients!

Mon médecin généraliste n’est pas pressé.

Mieux vaut prévoir deux bonnes heures de marges quand on va le voir. Dans la salle d’attente, une dame pas contente s'impatiente: "Il prend du temps aujourd’hui". Non madame : il prend toujours le temps. Rarement moins d'un quart d'heure par patient. Et souvent beaucoup plus. Donc s'il y a plus de deux personnes devant vous, vous avez intérêt à ne pas avoir oublié votre rôti dans le four.

Ce qui est drôle, c’est que lorsque vient le tour de la dame pas contente, elle se détend aussitôt et oublie les autres malades qui patientent. Sa consultation est terminée depuis belle lurette, et je l'entends bavarder sur la météo capricieuse et la mauvaise éducation des jeunes générations qui bla-bla-bla.

Mon médecin les connait tous, ces malades qui rongent leur frein dans la salle d'attente. Car mon médecin généraliste est un bavard qui a de la mémoire. La preuve: quand vient mon tour, près d'un an après ma dernière visite, il me demande des nouvelles de mon bébé. Ça m'impressionne, car je lui avais annoncé la naissance il y a un an justement, il s'en est souvenu. Donc on bavarde un peu, nous aussi.

Car mon médecin généraliste n’est pas pressé.

D'ABORD, ON AUSCULTE. APRÈS, ON DISCUTE.

Pour que vous compreniez mieux, il faut que je vous raconte comment ça se passe lorsqu'il nous accueille. Vos bobos, vos radios, vos complaintes et vos médocs attendront cinq minutes. Chez lui, une consultation commence toujours par une auscultation. "Asseyez-vous" clame-t-il de sa voix de baryton.

Prise de la tension, coup de marteau à réflexe sur les genoux, palpation des ganglions pour déceler une éventuelle inflammation, scrutation du blanc de l’œil, de l’oreille et du fond de gorge (le calvaire du bâtonnet dans la gorge, eurk), et évidement, stéthoscope. "Respirez" demande-t-il. Je respire. Puis soudain, il ordonne "stop", et je dois arrêter de respirer pendant qu’il cherche un sifflement dans mes poumons. À chaque fois, je me demande si je suis le seul à qui il impose une apnée de 30 secondes, ou s’il a compris que j'aime bien retenir mon souffle.

Ce rituel de l’auscultation générale me replonge en enfance, quand j'allais voir mon médecin de famille pour qui la prévention passait avant la prescription. Hélas, les médecins qui ont suivi étaient beaucoup plus pressés. Notamment un qui passait plus de temps à réclamer ma carte d'assurance maladie qu'à vérifier comment je vais.

Et puis miracle, j’ai retrouvé un médecin généraliste qui est patient avec ses patients.

"J'AI PAS ENVIE, QU'EST-CE QUE JE FOUTRAIS CHEZ MOI?"

Il faut dire que mon médecin généraliste n’est pas pressé.

Mon médecin est plutôt old-school. On sent qu'il n'est pas le genre à changer d'iPhone tous les ans. D'ailleurs, ne lui parlez pas de paiement sans contact, car il n'a même pas de lecteur de carte bleue. Donc gare à vous si vous êtes à sec: il ne prend que du cash. Je me dis que, quand même, ce n’est pas très sûr d’avoir autant de biftons dans un tiroir. Mais je me dis aussi qu’il doit aussi ausculter les délinquants locaux, donc ils ont intérêt à se tenir à carreau.

Dans la salle d’attente, le vieux papier peint est jauni, usé. On voit une sorte de trace sur ce mur, comme une ligne au-dessus des chaises: c’est la marque de frottement des têtes qui se sont posées là depuis des décennies.

C'est que mon médecin généraliste, hé bin il n'est pas pressé.

Il devrait être à la retraite depuis belle lurette. Dans le coin, la légende raconte qu’il vaccinait déjà lorsque Pasteur a découvert le remède contre la rage. Du coup, plusieurs générations se sont succédées chez lui. "C’est lui qui est intervenu lorsque ma mère m’a accouché", m’a confié un jour un patient qui approchait la quarantaine. Donc quand je demande à mon médecin pourquoi il n’a toujours pas raccroché la blouse, il répond en maugréant : "J’ai pas envie, qu’est ce que je foutrais chez moi?".

C’est comme les vacances. Pas le genre à buller sous un cocotier. Depuis quand n’a-t-il pas pris de vacances, hein? Il me répond avec un clin d'oeil. "J’en prendrai quand je serai à la retraite". Car en plus mon médecin généraliste est un marrant.

Bref, mon médecin généraliste n’est peut-être pas pressé. Mais j’espère que, vous aussi, vous avez un médecin qui prend encore le temps... de prendre le temps.