Devenir autosuffisant en tant qu'artiste au Luxembourg, tel était le rêve de l'iranien Alborz Teymoorzadeh, qui ne se réalisera pas. Son permis de séjour n'a pas été renouvelé, pour des motifs "économiques". La scène culturelle crie au scandale.

Sur ordre des autorités compétentes, Alborz Teymoorzadeh a dû quitter le Grand-Duché dans les plus brefs délais, après avoir été informé que son titre de séjour ne serait pas renouvelé.

Alborz Teymoorzadeh est arrivé au Grand-Duché il y a cinq ans. Il est venu en tant qu'étudiant et a fait son master en architecture à l'Uni.lu. Interrogé par RTL, il déclare avoir choisi le Luxembourg parce que le programme était intéressant et parce que c'était la seule université où les cours étaient en anglais.

Il voulait obtenir son master en 2021, mais un mois avant qu'il ne l'ait terminé, son père est décédé et il a dû prolonger ses études d'un an. Pendant ce temps, Alborz Teymoorzadeh s'est non seulement occupé de ses études, mais il a également travaillé à la la médiathèque de l'université et également dans un bureau d'architecte.
 
Dans ce bureau, il s'est très vite rendu compte que ce métier n'était pas pour lui, explique-t-il, et il parle même d'une terrible expérience. Il manquait de créativité: difficile de trouver la motivation pendant des journées de travail de 12 à 14 heures.
 
Alborz Teymoorzadeh a alors décidé de devenir indépendant. Son rêve a de toute façon toujours été de créer quelque-chose d'unique en tant qu'artiste indépendant, plutôt que de faire de la production à la chaîne. Pour cela, il lui fallait obtenir une autorisation de séjour "en vue d’une activité indépendante", mais il ne l'a pas reçue.

Pourquoi n'a-t-il pas obtenu d'"autorisation de séjour 'en vue d’une activité indépendante'"?

Une commission consultative, composée de représentants du ministère des Affaires intérieures ainsi que des ministères de la Sécurité sociale, de l'Économie et de l'Éducation, a conclu qu'Alborz Teymoorzadeh ne méritait pas le renouvellement de son permis de séjour. 
 
"Ils n'ont vu aucune valeur économique à mon activité. Cependant, ils n’ont pas non plus expliqué quelle doit être la valeur économique d’un travail artistique. Il faut au moins en avoir une idée."
 
Le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, a précisé dans un communiqué de presse, que selon la loi, toute personne arrivant au Luxembourg en provenance d'un pays tiers doit pouvoir prouver qu'elle dispose des ressources personnelles nécessaires pour y vivre.
 
L'artiste a reçu le soutien de nombreux acteurs de la scène culturelle luxembourgeoise, notamment des Rotondes, de l'Abtei Neimënster et de la Kulturfabrik, qui lui a même fourni un emploi, selon le directeur de la Kufa, René Penning:
 
"La situation avec son titre de séjour devenant plus critique, nous avons décidé de lui proposer un contrat à durée déterminée de 20 heures sur six mois. En outre, il était candidat à une résidence d'artiste du ministère de la Culture à Bourglinster. Je pense que la combinaison de notre contrat avec Bourglinster était parfaite pour construire une carrière."
 
Dans l'annexe du château de Bourglinster, des ateliers sont en effet loués à des artistes, au prix de trois euros le mètre carré. Les jeunes artistes qui souhaitent se bâtir une carrière, font partie de ceux qui bénéficient d’un traitement prioritaire.
 
Alborz Teymoorzadeh aurait dû payer 150 euros par mois pour son atelier. Pour signer le contrat, il lui manquait l'autorisation de séjour, mais le jury, composé de représentants de diverses institutions culturelles et du ministère de la Culture, était prêt à attendre, car ses membres avaient trouvé son travail artistique très intéressant. 
 
Ensuite à la mi-septembre, l'artiste a été convoqué au ministère de l'Immigration et, finalement l'optimisme de l'artiste et de son entourage a été douché.  
 
"Ils m'ont informé que je devais quitter le pays, car j'avais dépassé les 30 jours, qu'ils m'avaient donnés. La personne qui m'a informé, m'a encore donné jusqu'au 6 octobre et ensuite, je suis parti. J'ai déguerpi le plus vite possible."
 
Pour le directeur de la Kulturfabrik c’est une manière froide et inhumaine de traiter les gens. L'intéressé lui-même était également choqué, mais en tant qu'Iranien, il est habitué à de telles choses.
 
"Il faut regarder vers l'avant dans la vie. J'ai contacté l'avocate pour voir quelles sont les options juridiques. Elle m'a dit que nous pouvions aller au tribunal, qu'elle pouvait se battre pour moi, mais que je perdrais mon argent car, à sa connaissance, de tels cas ne l'emportent pas devant les tribunaux."
 
L’artiste iranien trouve magnifique qu’autant de personnes soient derrière lui. Il n’attend cependant rien du gouvernement luxembourgeois. Il faudrait voir quelles sont les possibilités qui existent – ou pas.
 
"Dans un pays où le ministre de la Culture, le ministre des Affaires intérieures et le ministre de l'Économie n'ont pas de plan sur ce qu'est l'activité des artistes et où il n'y a aucun contact entre eux, c'est une situation chaotique."
 
Une situation que lui et ses soutiens ne peuvent pas résoudre. Le gouvernement doit savoir lui-même quel est le rôle d'un artiste. Il doit s'informer là-dessus et s'y intéresser. 

Le refus du ministre Gloden provoquent l'incompréhension

Dimanche matin, le directeur de la Kulturfabrik, René Penning, a annoncé sur les réseaux sociaux qu'Alborz Teymoorzadeh avait quitté le pays. Il ne peut pas accepter l'argumentation évoquée par la commission consultative. "L’argument sur la valeur économique de l’art ne tient pas la route. Dans ce cas, nous pouvons supprimer le théâtre, la musique, la littérature, les musées, le patrimoine luxembourgeois. Cela ne tourne pas tout seul."

 
L'un des nombreux qui ont pris la parole ces derniers jours est Enrico Lunghi. À l'Université du Luxembourg, il était le professeur d'histoire de l'art d'Alborz Teymoorzadeh. Dans une lettre ouverte, il atteste du talent et de l'énergie de son ancien élève.
 
Enrico Lunghi écrit, qu'il est convaincu que le jeune homme suivra son chemin quelque part ailleurs et il rappelle que dans l'histoire de l'art, il existe de nombreux exemples d'artistes qui ont été "rejetés". Un peu plus tard, ils ont rendu leurs détracteurs et leurs critiques rouges de honte.
 
Karolina Markiewicz est auteure et réalisatrice, mais aussi enseignante. Elle souligne que la décision concernant Alborz Teymoorzadeh est symptomatique du mépris de l'humain, et pas seulement de la culture et de l'art. Il est choquant et triste pour elle que l’Europe continue de se transformer en forteresse. Nous adoptons simplement la rhétorique des extrêmes.
 
Elle est convaincue qu'une personne formée et intégrée ici aurait pu contribuer à notre société. À ses yeux, une erreur a été commise. "J'espère qu'elle est temporaire. Notre démographie et les problèmes qui y sont liés, ne s'améliorerons pas, si nous renvoyons toujours de cette manière des gens - Alborz et de nombreux autres jeunes - que nous avons formés ici pendant plusieurs années, et donc en qui nous avons investi - et avec lesquels j'ai affaire depuis des années. [Une attitude] maintenant, d'une manière ou d'une autre, davantage soulignée publiquement par un vocabulaire plus dur."