"On a aussi bien des ouvriers d'usine que des profs, des banquiers, etc. Et tout ces gens, en déposant leurs vêtements, laissent aussi de côté leur statut social" explique Armand Ceolin. / © Image d'illustration / AFP
Les 25 et 26 mai, le seul club naturiste du Luxembourg organise une journée "portes ouvertes" sur son terrain privé (et secret) près de la capitale. Tabou de la nudité au Luxembourg, règles et valeurs du naturisme : on discute des dessous de cette philosophie de vie avec le secrétaire de l'association.
"Tout nu et tout bronzé"... La chanson de Carlos nous replonge à l'époque où Armand Ceolin a été initié au naturisme, dans le sud de la France : "La première fois où j'ai rencontré la famille de mon épouse, ils nous ont emmené directement dans une plage naturiste. Et bien je dois vous dire que j'ai trouvé ça formidable ! J'étais peut-être gêné les premières minutes, mais après, j'ai ressenti une telle liberté. C'était la délivrance d'un tabou qui m'avait été inculqué par mon éducation au Luxembourg, par l'église, l'école... J'ai pu abandonner tout ça."
Aujourd'hui, Armand Ceolin approche les 70 ans, et désormais c'est lui qui initie au naturisme, en tant que secrétaire de l'asbl "Sports et Loisirs Naturistes, Luxembourg" (SLNL). Ce club dispose d'un terrain de 4 hectares, situé à proximité de Luxembourg-Ville. C'est le seul du pays où les naturistes peuvent laisser leurs vêtements aux vestiaires, et se détendre ou faire du sport dans le plus simple appareil. Armand ne précise pas la localisation exacte "pour ne pas attirer les curieux". En revanche, les non-membres pourront, les 25 et 26 mai prochains, accéder à cet espace réservé lors d'un week-end portes-ouvertes, via une réservation préalable (lire à la fin de l'article).
"Les gens vont pouvoir découvrir notre terrain, où on peut y bronzer tant qu'on veut, faire de la pétanque, du volley-ball, du badminton, du tir à l'arc... On a aussi une piscine" détaille Armand. Et s'ils deviennent membres de l'association, ils pourront alors venir toute l'année. "Tous nos membres ont le code d'accès pour ouvrir le portail. Bien évidemment, c'est plus intéressant au printemps et en été, mais on a aussi des courageux qui viennent en hiver". Le site est sous surveillance, "car on a eu quand même dans le passé des actes de vandalisme". Du vandalisme pur, "sans lien avec nos activités", précise-t-il.
Une règle d'or : des sexes nus, mais "pas de sexe"
Le naturisme suscite beaucoup de fantasmes. La nudité appellerait à la débauche... Armand Ceolin balaie ces idées-reçues : "Tous les attouchements à caractère sexuel sont strictement prohibés et entraînent une exclusion immédiate de l'association". Il insiste : "Ici, le sexe est interdit, tout comme le harcèlement." On a le droit de regarder mais pas de toucher ? "On a le droit de voir, mais on ne dévisage pas" nuance-t-il. De toute façon, "dès que vous êtes sur le terrain, vous réalisez vite qu'il n'y a rien à voir. C'est-à-dire qu'il y a des gens normaux, qui quand ils se parlent, se regardent dans les yeux, pas les parties intimes. Et ça devient une réaction très naturelle".
Parlons de ces gens, justement. L'association compte environ 300 membres, "ce qui est relativement peu pour le Luxembourg, car on estime qu'on compte dix fois plus de résidents qui pratiquent le naturisme ailleurs, en vacances à l'étranger, etc." C'est le seul club naturiste au Luxembourg : "Oui, malheureusement. Mais il y a d'autres endroits pour le pratiquer, comme les campings naturistes Reenert à Heiderscheid et Bleesbruck près de Diekirch".
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Et puis il y aurait d'autres endroits plus confidentiels, comme des étangs où, parait-il, des naturistes se réunissent sans toujours respecter les panneaux d'interdiction... Et qu'en est-il des thermes et saunas, comme à Mondorf-les-Bains ? "En général, dans les saunas au Luxembourg, la nudité est obligatoire. À Mondorf, de moins en moins". Ce serait lié à la clientèle française, estime-t-il : "Car même si la France est le pays avec le plus grand nombre de campings et associations naturistes en Europe, les Français restent en général moins ouverts au naturisme. Mondorf, comme ils sont proches de la frontière, ils ne veulent pas perdre ces clients et n'insistent pas sur la nudité, donc il y a un mélange un peu malsain entre personnes nues et habillées."
"Je plains les jeunes d'aujourd'hui, ils sont extrêmement pudiques !"
Le melting-pot luxembourgeois se retrouve évidemment parmi les membres du club naturiste : "On a des résidents d'origines très diverses, et aussi des non-résidents qui viennent d'Allemagne, de France et de Belgique. Car on a une position un peu unique dans la Grande Région, je crois que les autres associations naturistes les plus proches en France sont à Nancy, près de Sarrebruck en Allemagne et de Liège en Belgique."
Des membres qui viennent aussi de tous les milieux sociaux : "C'est ce qui rend notre club très intéressant. On a aussi bien des ouvriers d'usine que des profs, des banquiers, etc. Et tout ces gens, en enlevant leurs vêtements, laissent aussi de côté leur statut social".
Le club fédère aussi beaucoup de familles... enfants compris. "On a tous les âges, on a des mamans qui viennent avec leurs bébés, on a des adultes, des vieux comme moi ou encore plus âgés que moi... Mais oui, les enfants font partie de la famille, donc ils peuvent bien sûr venir. On a une place de jeux où ils peuvent s'amuser comme ils veulent, sans danger car il n'y a pas de trafic automobile autour. Et puis pour les enfants, la nudité, c'est naturel !" Pour les adultes aussi, "une fois qu'ils se sont rendus compte qu'il n'y a rien de spécial à être nu, qu'ils n'ont pas de raisons d'être fiers ou honteux, une fois qu'ils s'acceptent tels qu'ils sont, la nudité ne pose plus de problème."
Une femme et deux enfants marchent nus sur la plage naturiste de Port Leucate. / © Photo d'archives / AFP
Est-ce que les personnes âgées sont plus à l'aise avec la nudité ? "Exactement ! Et c'est d'ailleurs un phénomène que je ne m'explique pas, les jeunes d'aujourd'hui sont extrêmement pudiques. Beaucoup plus que durant ma jeunesse, dans les années 70, où on se libérait de vieux tabous. Les pauvres jeunes aujourd'hui, je les plains, ils sont soumis à cette pudibonderie hypocrite qui vient des Etats-Unis."
Quelle différence entre naturisme, nudisme et exhibitionnisme ?
Il faut d'ailleurs rappeler d'où vient le naturisme. Si la pratique remonte à des temps ancestraux, c'est un Belge, Antoine Planchon, qui invente le terme en 1778. Le mouvement se développe en Allemagne autour des villes d’eaux et de cures, valorisant le culte du corps nu. En France, il faut attendre 1920 pour qu'un aristocrate breton crée le premier camp naturiste de l'Hexagone, pays aujourd'hui réputé première destination au monde pour les adeptes de la tenue d'Ève. Mais l'Allemagne n'est pas en reste, berceau dans les années 20 du FKK, la "FreiKörperKultur" (en Français, culture du corps libre).
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Hélas, aujourd'hui ce terme évoque davantage la pornographie : "La FreiKörperKultur est un mot qui me plait énormément, même davantage que naturisme, mais il a été récupéré en Allemagne par l'industrie du sexe, les clubs échangistes, etc. Nous, on rappelle qu'on n'est pas de ceux-là, on est affilié à une fédération internationale du naturisme qui garantit une éthique par rapport à ça." Mais alors quelle est la différence entre "naturisme" et "nudisme" ou "exhibitionnisme" ? "Chez les naturistes, le voyeurisme n'existe pas. Un voyeur se sent très mal à l'aise chez nous, car il se sent vu lui aussi, il doit s'exposer. On les reconnait au premier coup d'œil et on leur demande de partir. On a aussi des membres dans notre club qui sont plus nudistes que naturistes. Un nudiste aime la nudité, partout, chez lui, à la piscine, etc. Dans le naturisme, il y a une philosophie supplémentaire qui se greffe à ça, celle du respect de soi et des autres, mais aussi de la nature, d'où le nom 'naturisme'."
Un naturiste va par exemple trier ses déchets, surveiller sa consommation d'eau, ne pas arracher de plantes inutilement, explique-t-il. Sur le terrain du club luxembourgeois, "vous n'avez pas le droit de dégrader la nature, vous devez rapporter vos déchets chez vous car nous n'avons pas de poubelle..." Du coup, on risque de trouver plus de membres de Déi Gréng (les Verts) dans son association? Il rit : "Il y a une vieille règle : chez les naturistes, on ne parle pas de politique, car c'est un facteur de dispute."
"Avec l'âge, on prend du poids, les seins tombent... et les enfants apprennent très tôt à tolérer ça"
Le Luxembourg est-il un pays comme un autre pour pratiquer le naturisme ? "Il faut rappeler que la séparation entre l'Etat et l'Eglise est encore très récente au Luxembourg (NDLR : en 2016). Comme d'autres, j'ai grandi sous cette influence, avec la condamnation de la nudité, la culpabilisation, alors que dans l'absolu, c'est être habillé qui n'est pas naturel. D'ailleurs, si vous trouvez dans le Nouveau Testament un endroit où la nudité est condamnée, je vous offre une bière" rit-il.
Nudité qui pourrait faire tomber encore à notre époque de nombreuses barrières, comme celles entre les femmes et les hommes : "Le naturisme prône le respect de soi-même et des autres. Donc hommes et femmes sont sur un pied d'égalité. Aujourd'hui, les femmes souffrent énormément de la pression médiatique qui leur dit à quoi doit ressembler leur corps. Dans les publicités des magasines, on ne voit que des mannequins et presque jamais des femmes de tous les jours. Le naturisme est justement une formidable éducation pour les enfants, car ils voient des gens de tout âge. Et ils voient que l'âge change les gens, on prend du poids, les seins tombent, on a de la cellulite, etc. Avec le naturisme, les enfants apprennent très tôt à tolérer ça, et ne pas s'en moquer."
Infos pratiques
L'association naturiste luxembourgeoise organise donc un week-end portes ouvertes les 25 et 26 mai.
Pour obtenir une invitation, il suffit d’écrire un courriel à slnl.relpub@pt.lu. Plus de détails sur l’association sur le site www.naturisme.lu ou par tél. au +352.691.639.250. Pour info, la cotisation pour une famille, enfants de moins de 18 ans inclus, est de 80 euros par an.
Cet article a été initialement publié le 17 mai 2024.
