
Au Luxembourg, les résidents sont clairement ouverts à la solution du réemploi. Malgré cela 56% d’entre eux privilégiaient l’achat de vêtements neufs révélait une étude TNS-Ilres publiée mi-2021. Et seuls 26% d’entre eux affirmaient acheter des vêtements de seconde main dans une enquête sur le climat publiée par la Banque européenne d’investissement début 2022.
L’achat de vêtements de seconde main n’est clairement pas encore une habitude au Luxembourg -comme cela est déjà le cas en France- mais ne serait-il pas en train de devenir une vraie tendance à Luxembourg-Ville?
C’est en tout cas ce que confirment plusieurs gérants de magasins de seconde main rencontrés par RTL Infos qui -établis de longue date dans la capitale ou depuis quelques mois seulement- relèvent une évolution aussi bien de leur clientèle que dans le comportement de consommateurs plus décomplexés à acheter des vêtements “d’occasion”.
Le commerce de seconde main “c’est pas nouveau”, sourit Thi Thu Ha Nguyen, gérante depuis seize ans du Lena Second Hand Shop qui surfe depuis 32 ans sur le marché de la seconde main de luxe, dans l’avenue de la faïencerie au Limpertsberg. Comme son enseigne concurrente et doyenne du créneau dans la capitale luxembourgeoise, le Royal Second Hand, elle continue d’en vivre en 2024. Et bien.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que derrière son comptoir elle est directement témoin de ce “second souffle” d’intérêt du consommateur à remettre dans la boucle des vêtements, peut-être un peu démodés, mais souvent à peine usés. D’autant plus dans le haut de gamme. Elle est “très contente” de voir que de plus en plus de “jeunes de 18 à 25 ans” poussent la porte de sa boutique et qu’ils sont “conscients” des bienfaits de l’économie circulaire, surtout dans l’industrie textile, secteur des plus polluants pour la planète.
Thi Thu Ha Nguyen, note surtout qu’un “très grand changement intervenu avant Covid” fait son chemin. “Avant les gens qui venaient, étaient discrets (sur la source de leur achat, ndlr). Aujourd’hui ils en parlent à leurs amis et ramènent d’autres clients. Les clients sont fiers d’acheter en seconde main, c’est ça la différence!”
“Il y a certainement une nouvelle manière de consommer”, relève Anne Darin, directrice de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL). Elle fait remarquer qu’”il y a 30 ans dans les grandes villes”, le marché de la seconde main “n’était pas un phénomène massif”, comme c’est le cas aujourd’hui. Et qu’on soit clair, “au Luxembourg, ce n’est pas du tout culturel”, d’acquérir des vêtements occasion.
Son constat en ce printemps 2024 est simple: “Le fait d’avoir autant de boutiques à Luxembourg et que des pop-up stores s’installent, montre que le phénomène s’élargit. Cela signifie également qu’il y a une vraie clientèle pour ce marché”, analyse Anne Darin.

Caroline Poincelot, la gérante de Pardonmycloset, un second-hand store nouvelle génération installé “pour de vrai” avenue Monterey, en sait quelque chose. Après une première expérience dans la finance au Luxembourg dès 2015, cette Française fan de ce mode d’achat depuis son adolescence, a pris le temps d’éprouver le marché du second-hand sur la place luxembourgeoise en le testant grâce à plusieurs expériences “pop-up”.
Elle a vite saisi que le terreau luxembourgeois n’était pas favorable et a décidé de “dépoussiérer l’'image du second-hand à Luxembourg”, en scrutant du côté de Paris “où il y en a un paquet”. En créant un magasin “moderne et actuel qui donne l’impression de retour dans une boutique, comme du neuf” où sont vendus “des pièces de marques tendance, soigneusement sélectionnées”. Avec en plus la convivialité et “une rotation permanente des stocks”, puisqu’il s’agit d’un dépôt-vente.
Caroline Poincelot lit dans l’explosion de la plateforme Vinted au moment du Covid, “un vrai changement dans nos mentalités et une envie de consommer autrement”, reflétée par les médias. Son leitmotiv, auquel adhère sa clientèle -la plupart des femmes dont la majorité dépose et achète des vêtements- est limpide: “Le second-hand, c’est bien pour le porte-monnaie, la planète et parce que ce sont des pièces uniques qui ne se trouvent plus”.
Le porte-monnaie, on y est! “Ça fonctionne bien parce que les prix sont un peu plus réels, plus justes”, insiste la jeune femme, bien consciente des effets de la période inflationniste. Alors quand “tout devient plus cher, l’habillement reste un plus”.
“Je ne sais pas si la crise joue quelque chose là-dedans ou si la société change”, glisse Anne Darin de l’UCVL, mais fait est que depuis quelques petites années “il y a un véritable ‘trend’” de développement du marché de la seconde main, “même s’il n’y a pas encore un nombre énorme de boutiques”.

Dans le business depuis douze ans à son compte, Michaël Lindner, patron de “Trouvailles”, le magasin de seconde main aux “5.000 références” installé rue Fort Neipperg à Luxembourg-Gare fait remarquer que “nous sommes au Luxembourg. Et ici les clients ont des exigences plus élevées qu’en Allemagne ou en France, où l’essentiel est que ce soit des vêtements pas chers”. Il a opté pour l’achat direct sur le grand marché de la seconde main où il choisit des “habits de qualité” pour présenter “un grand choix de pièces uniques”.
Depuis 2018, date-il le phénomène du “second souffle”, “on a plus de clients, mais il y en a toujours des nouveaux”. Des clients qu’il partage en trois catégories: “Ceux qui ne veulent pas payer beaucoup pour de bons habits. Ceux, les plus jeunes, qui viennent par conviction écologique et qui demandent immédiatement si je vends de la vraie seconde main. Et (depuis moins longtemps) des dames de 50 à 70 ans qui n’auraient pas besoin de venir ici, mais qui se disent: ‘Pourquoi dépenser plus d’argent?’”
Si la grande majorité des magasins sont bien plus orientées vers une clientèle féminine, de nouveaux-venus fleurissent depuis quelques mois dans la capitale. Avec des concepts de niche cette fois, tournés vers une clientèle masculine.
C’est le cas du pop-up store Fomeaux, rue Philippe II dans l’hypercentre. Pour l’anecdote, le nom de la boutique est un terme français inventé par son jeune gérant Léo Weis, qui s’est inspiré du “fomo” anglais, abréviation de “fear of missing out” (traduisez par “peur de rater quelque chose”). Son créneau: “Les habits vintage portés entre 1990 et début 2000 essentiellement”. “Ce sont des sportwears et streetwears unisexes mais essentiellement pour les hommes”, explique Léo Weis. Et il ne cache pas que “la résonance est immense”.
Pour deux grandes raisons. Le créneau était à prendre “à Luxembourg-Ville où il y avait un déficit complet” de ce type d’offre. Notamment pour une clientèle de “13 à 28 ans”, note le jeune gérant. Il sait trop bien qu’il y a “un méga trend à la fois cool et avec une patine” pour la seconde main d’il y a plus de vingt ans. Autrement dit, pour les habits portés par leurs parents.
L’autre raison c’est que la demande est portée par une demande d’exclusivité: “Ils veulent ce genre de vêtements car c’est unique. Personne d’autre n’en portera un pareil dans la rue. C’est ça qui est cool!”

C’est sur cette même demande que se déplace Kevin Grisez, mais avec une toute autre fibre. Son pop-up store baptisé The Vintage Store se trouve à l’arrière de Lëtz Refashion, situé rue Genistre en hypercentre. Son offre est plus “select” et plus militaire aussi, mais entièrement axée sur l’authenticité des pièces dénichées.
Une belle expérience de vendeur chez Gucci “en poche”, le jeune homme passionné par le bel habit confesse volontiers “mettre en avant l’histoire de la pièce et le savoir-faire” requis pour la fabriquer. Ce sont des clients nostalgiques du “beau vêtement de qualité irréprochables” qui passent la porte.
Une clientèle “qui démarre à 30 ans” peut se laisser séduire par un pantalon de l’armée américaine conçu en 1940 (et l’étiquette l’atteste) ou un blouson de pilote en cuir d’un ancien pilote d’Oklahoma City daté de 1969. Et question prix? “Le marché du vintage s’apparente à celui des voiture de collection: plus c’est rare, plus les prix montent”, sourit Kevin Grisez qui connaît l’histoire expliquant la patine de ses raretés.
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