Prolonger les réacteurs au-delà de 40 ans, sûreté de la centrale, possibilité d'y implanter deux réacteurs de nouvelle génération à l'avenir... Jérôme Le Saint, directeur de la centrale de Cattenom, répond sans détour, aux questions de RTL Infos.

Alors que c'est un point de friction depuis des décennies entre le Luxembourg et la France, la centrale nucléaire de Cattenom ne va pas s'éteindre de si tôt. L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a donné à EDF, début juillet, l'autorisation de prolonger au-delà de 40 ans ses vingt réacteurs nucléaires de 1.300 MW, dont les quatre de la centrale de Cattenom. S'ils passent la visite décennale, ils fonctionneront 50 ans. Mais EDF voit déjà beaucoup plus loin, révèle Jérôme Le Saint, le directeur de la centrale.

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu'est un réacteur EPR2 de nouvelle génération ?

Jérôme Le Saint: C'est un réacteur de troisième génération. Les réacteurs de Cattenom sont des réacteurs de deuxième génération. L'EPR et l'EPR2 sont des réacteurs de troisième génération de conception française, conception EDF notamment. Le principe de fonctionnement est le même que pour les réacteurs à eau pressurisée du parc français, mais avec des circuits de sécurité supplémentaires et en plus grand nombre. C'est un peu plus gros parce que sur un réacteur de type EPR, il y quatre voies de sûreté. On a doublé les circuits de secours.

Ça apporte quoi de construire ce nouveau type de réacteur ?

Une centrale nucléaire n'émet pas de CO2 quand elle fonctionne. Donc c'est un bon moyen de décarboner de l'énergie. Et en se projetant avec le véhicule électrique, la mise en place des pompes à chaleur, etc., on voit une baisse de consommation des énergies fossiles, mais une augmentation de consommation d'électricité. Et pour répondre à cette demande, et bien il faudra des nouveaux moyens de production. Les réacteurs EPR pourraient en être.

Est-il techniquement possible d'installer deux réacteurs EPR2 à Cattenom ?

Il faut plusieurs critères pour installer un nouveau site nucléaire à un endroit. Et Cattenom en remplit un certain nombre. Il faut de l'eau. La Moselle est un cours d'eau dans lequel il y a quand même pas mal d'eau. Et en plus, on dispose du lac de Pierre-Percée qui permet de compenser les débits en période d'étiage ou l'été s'il fait sec.

Il faut de l'espace, à peu près une centaine d'hectares. À Cattenom, il y a de l'espace autour de la centrale. Un certain nombre de ces terrains appartiennent déjà à EDF. Il faut aussi un site qui s'y prête bien: une sismicité qui soit relativement faible, des risques naturels qui soient relativement peu élevés. Ici, on dispose d'un lieu où il y a peu de séismes, où il y a peu de risques d'inondation non plus. On est plus de 20 mètres au-dessus de la Moselle. La mer est encore très loin. Donc on n 'imagine pas de tsunami à Cattenom. Donc autant d'atouts pour Cattenom par accueillir de nouveaux réacteurs.

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© Maurice Fick / RTL

Quelle est la puissance de la centrale actuellement ?

Un réacteur de Cattenom actuellement c'est 1.300 MW. Un réacteur de type EPR2 produit à une puissance d'environ 1.650 MW. Avec ses 5.200 MW, la centrale de Cattenom est la deuxième plus puissante en France, et la deuxième plus puissante d'Europe de l'Ouest.

Avec deux réacteurs supplémentaires Cattenom pourrait devenir une très grosse centrale à l'avenir...

Alors ça, je ne sais pas dire. Pour l'instant, rien n'est décidé sur des EPR2 à Cattenom. S'ils devaient être construits, il faudrait aussi voir quand. Est-ce que ça viendra en lieu et place des réacteurs numéro 1 et 2 ? Ou en supplément? Rien n'est défini.

Si le gouvernement français devait décider de mettre en place des EPR2, est-ce que le Luxembourg serait préalablement concerté ? 

Comme pour toute évolution, c'est le cas pour nos visites décennales, la quatrième visite décennale aussi, on demande l'avis à nos parties prenantes. Il y a une enquête publique qui est réalisée, et elle prend en compte tous les riverains. Les conventions d'Espoo sont aussi là pour ça, fait que le Luxembourg et l'Allemagne sont aussi consultés. Donc ce sera le cas pour le passage des 40 ans du réacteur n°1 et des suivants. Si on devait construire des réacteurs de type EPR2, ce serait le cas également.

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Le réacteur n°1 aura 40 ans en 2026. La centrale nucléaire de Cattenom, est-elle sûre?

La centrale est sûre et plus sûre que jamais à l'aube de ses 40 ans. Parce qu'en fait, il n 'y a pas de durée de fonctionnement limite pour une centrale nucléaire en France. C'est ce que veut la réglementation. Elle nous impose tous les dix ans -pour avoir une autorisation de fonctionner dix années supplémentaires- de faire des modifications qui permettent de renforcer le niveau de sûreté.

Ce qui fait que le réacteur n°1, qui va avoir ses 40 ans, a déjà subi trois visites décennales, donc trois rehaussements du niveau de sûreté depuis sa conception. En 2027, nous allons réaliser la quatrième visite décennale, pendant laquelle nous ferons 250 modifications pour augmenter le niveau de sûreté.

Concrètement que faites-vous pour que le matériel dure de manière sûre ?

On fait des contrôles de conformité pour nous assurer que le matériel est tel qu'il était prévu. Nous faisons de la maintenance préventive. On a des programmes de maintenance, un peu comme pour le contrôle technique sur votre voiture, pour vous assurer que tout fonctionne bien. Et on réalise des modifications pour augmenter le niveau de sûreté.

Un exemple: En cas d'accident on a un circuit qui permet d'asperger l'intérieur de l'enceinte, une espèce de grande douche qui permet de faire baisser la pression et d'éviter qu'on ait une cocotte minute qui soit générée dans le bâtiment réacteur. Il y a deux voies, deux circuits qui permettent de faire cette aspersion. Ils sont indépendants et disposent de leurs propres ressources en eau. Nous allons rajouter un troisième circuit avec un nouvel échangeur. Plusieurs kilomètres de tuyauteries vont être rajoutés, une nouvelle pompe, etc. C'est ce qui va être fait avant la visite décennale.

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Si après ces modifications l'ASNR donne son feu vert, le réacteur n°1 -puis les trois autres- pourront continuer de "turbiner" dix ans de plus. Quelle est la limite d'âge d'un réacteur ?

Il n'y a pas de limite. Techniquement, pour l'instant, on n'a pas vu de limite. Aux États-Unis par exemple, des réacteurs à eau pressurisée comme à Cattenom, ont l'autorisation de fonctionner jusqu'à 80 ans. Je crois que 11 réacteurs ont cette autorisation.

C'est donc la question qu'on se pose aussi sur le parc nucléaire d'EDF. Est-ce qu'il est possible d'aller jusqu'à 60 ans? Et au-delà de 60 ans ? Techniquement, il n 'y a rien qui s'y oppose. Il faut faire un certain nombre de vérifications et démontrer la capacité du matériel à tenir dans la durée jusqu'à cet âge-là.

Le 4e réacteur, le plus jeune, pourrait donc fonctionner jusqu'en 2043. Vous prévoyez quoi ensuite ?

Nous sommes déjà en train de réfléchir à la façon d'obtenir l'autorisation de fonctionner jusqu'à 60 ans. Pour aller de 50 à 60 ans, il y a un enjeu particulier autour du réchauffement climatique. C'est un enjeu très fort, avec notamment le sujet de la ressource en eau.

Comment la centrale se prépare-t-elle au réchauffement climatique ?

Nous réalisons des études prospectives pour regarder notamment quelles seront les quantités d'eau à horizon 2050-2060. Des études climatologiques sont réalisées par nos équipes et montrent que globalement il devrait y avoir autant d'eau qu'aujourd'hui, mais plus en hiver, moins en été.

Se pose donc la question du stockage. Nous sommes en train de chercher actuellement où nous pourrions récupérer de l'eau et où elle pourrait être stockée. Il y a des anciennes mines en Moselle qui pourraient être des endroits où on pourrait récupérer de l'eau en été. La question de faire un deuxième réservoir dans les Vosges se pose également. L'autre enjeu, c'est de consommer moins d'eau. On est en train de regarder comment récupérer de l'eau de pluie. Et comment évaporer moins d'eau aussi.

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