Plus vertueuse que la fission nucléaire, la fusion nucléaire pourrait devenir une source d'énergie infinie. Un instrument unique conçu à Nancy va sans doute accélérer la maîtrise de cette technique pleine de promesses.

L'Institut Jean Lamour est une fierté de la Métropole du Grand Nancy et plus généralement de la région Grand Est. Ce laboratoire de recherche de l'Université de Lorraine consacré aux matériaux est un lieu d'excellence reconnu sur le plan international. Et si le proket SPEKTRE qu'il abrite remplit ses promesses, l'IJL va faire l'histoire en matière de défi énergétique.

Partout sur la planète, des chercheurs s'escriment à trouver des alternatives aux énergies fossiles pour notamment déjouer le dérèglement climatique. Parmi les pistes exploitées - hydrogène, éolien, algues... - la fusion nucléaire constitue l'une des plus prometteuses. Pour la résumer simplement, on pourrait dire qu'il s'agit de reproduire ce qu'il se passe dans le soleil.

"À l'intérieur du soleil, explique Frédéric Brochard, directeur de recherche CNRS à l’Institut Jean Lamour, il fait tellement chaud, la pression est tellement forte que les noyaux d'hydrogène vont se coller les uns aux autres jusqu'à fusionner. Et donc en fusionnant, ils forment un noyau plus gros qui est un noyau d'hélium et ça libère beaucoup d'énergie. Donc la réaction de fusion nucléaire, c'est celle qui est à l'œuvre dans toutes les étoiles, c'est cette réaction qui leur fournit leur énergie."

Alimenter New York en électricité pendant cinq mois avec un litre de combustible

Potentiellement, cette énergie est infinie. Les chercheurs travaillent sur la fusion du deutérium et du tritium afin de donner naissance à un noyau d'hélium, un neutron et à un fort dégagement de chaleur. Un réel défi du fait qu'il faut chauffer à 150 millions de degrés, une opération qui nécessite des techniques très longues à développer. Il faut par ailleurs mettre en place ce qu'on appelle un bon confinement pour faire en sorte que la réaction de fusion se produise à distance des parois du réacteur.

"Le deutérium, poursuit Frédéric Brochard, il est présent en quantité illimitée à l’échelle humaine sur terre puisqu'il est présent dans l'eau de mer. Et puis, c'est d'autre part le tritium qui, lui, est un élément radioactif qui n'est pas présent sur terre mais qu'on peut produire sur place dans l'environnement de la centrale. La réaction de fusion nucléaire ne génère pas de déchets radioactifs directement même si les parois du réacteur peuvent être activées mais il s'agit de déchets à beaucoup plus faible durée de vie que ceux générés par une centrale à fission classique et également en moindre quantité.

Diego Cammarano, partentaire de l'Institut Jean Lamour avec sa start-up Renaissance Fusion, récente lauréate du plan national France 2030, partage le même enthousiasme : "Ce qui est différent par rapport aux réacteurs à fission nucléaire, ceux qui sont aujourd’hui en marche, c’est qu’il n’y a pas de risque de réaction en chaîne, donc d’accident catastrophique type Fukushima, Tchernobyl, etc."

Outre son aspect vertueux, la fusion nucléaire offre des perspectives illimitées en matière de ressources, comme le décrit Frédéric Brochard : "C’est une énergie très abondante. Si vous prenez un litre de combustible, de mélange deutérium/tritium, vous allez pouvoir par exemple alimenter New York en électricité pendant 5 mois."

SPEKTRE, ou comment bouleverser le futur... sans l'intervention de Dr. No !

Le projet SPEKTRE n'a rien à voir avec la série James Bond, à part peut-être son côté visionnaire. Il s'agit en fait d'une machine conçue à l’Institut Jean Lamour.

RTL

Frédéric Brochard devant la machine SPEKTRE / © Université de Lorraine / Institut Jean Lamour

"C'est ce qu'on appelle une machine d'appui à la recherche en fusion nucléaire, développe ​​Frédéric Brochard. Donc ce n'est pas une machine qui va produire des réactions de fusion nucléaire, mais qui va reproduire une partie des phénomènes qui sont à l'œuvre dans les réacteurs nucléaires. Et notamment reproduire toute une zone critique qui se trouve entre le cœur du plasma de fusion et la paroi. Et donc, cette zone est déterminante pour bien faire fonctionner les centrales. On va pouvoir reproduire les mêmes mécanismes dans une machine de laboratoire qui va être plus simple à piloter, qui va être beaucoup plus facile à caractériser. Et donc ça va nous permettre de faire à la fois des recherches fondamentales pertinentes pour la fusion et ça va surtout nous permettre de tester des idées nouvelles, des idées qui vont pouvoir donner naissance à des ruptures technologiques à moindre coût et à moindre risque que dans une grande installation."

Avoir en son sein un tel équipement est une fierté pour Christophe Choserot, Vice-président du Grand Nancy délégué à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation : "Ce projet SPEKTRE, il est au sein de l’Institut Jean Lamour, un institut qui est l’un des plus grands laboratoires de recherche dans les matériaux et donc c'est la place de l’Institut Jean Lamour de s'inscrire dans cette dynamique de travail autour de la fusion nucléaire. Je trouve que c'est un beau symbole et un retour de l'histoire. Nous sommes ici en Lorraine, qu'on appelait le Texas lorrain dans les années 70 . On a extrait les énergies du passé à travers le charbon. Eh bien on pourrait revenir avec cette énergie nouvelle." Précisons que le projet bénéficie du soutien de la Métropole du Grand Nancy à hauteur de 150.000 € sur 3 ans.

Et lorsqu'on lui demande si la fusion nucléaire, c'est pour bien tôt, ​​Frédéric Brochard s'en sort avec une pirouette bien connue dans le milieu des scientifiques, qui dit que cette énergie, c'est toujours pour dans 30 ans. Mais après les sourires, le chercheur se veut plus réaliste : "Où est-ce qu'on en est ? La moitié des start-up qui se sont lancées disent qu'il y aura de la fusion commerciale d'ici 2035. La communauté scientifique table plutôt sur une vingtaine d'années. La vérité sera peut-être entre les deux."