Trop souvent, des déchets luxembourgeois passent la frontière pour se retrouver dans des centres de collecte français. Certaines entreprises auraient en effet trouvé la "combine" pour éviter les prix plus élevés au Grand-Duché. Reportage aux déchetteries d'Aumetz et de Villers-la-Montagne.

"L'autre fois, j'ai vu un type se garer juste devant la déchetterie. Il est descendu de son camion, et il a remplacé sa plaque luxembourgeoise par une plaque française, et puis il est venu pour jeter ses déchets. Comme on a repéré son petit manège, on lui a fait gentiment comprendre qu'il devait faire demi-tour. Le mec a commencé à se chauffer ! Il a fallu qu'on menace d'appeler la gendarmerie pour qu'il s'en aille" nous raconte Jérôme.

Ce genre d'énergumène, Jérôme commence à les connaître. Il en a croisé beaucoup depuis qu'il travaille à la déchetterie d'Aumetz. Située à deux pas du Luxembourg, la déchetterie du Pays-Haut Val d'Alzette a vu pendant des années des déchets luxembourgeois affluer. Principalement des déchets de construction : gravats, bois, ferraille, bidons et autres, dont le traitement coûterait plus cher au Luxembourg (lire plus bas). Jérôme se souvient même avoir vu une personne ramener "un carton rempli de bidons de mercure", un liquide très toxique...

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Face à ces abus, la déchetterie a décidé de sévir. "Avant, je demandais la carte d'identité et je notais ça dans mon petit calepin. Donc ca ne dissuadait pas grand monde. J’ai vu passer des plaques luxembourgeoises, belges, allemandes, hollandaises, roumaines… ça venait de partout" se souvient Jérôme. Désormais, il faut montrer patte blanche. Pour obtenir le badge qui ouvre la barrière, "les particuliers doivent fournir une pièce d'identité et une attestation de domicile pour prouver qu'ils habitent bien dans les communes autorisées" nous explique Maxime Ramdani, responsable adjoint de la déchetterie. Le badge permet de faire 25 voyages par an dans la déchetterie (au-delà, c'est 4€ ttc par passage).

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Les tarifs pour les professionnels dans la déchetterie d'Aumetz. / © Aumetz

Pour les professionnels, ils doivent aussi fournir des attestations professionnelles et de résidence. "En revanche, lorsqu'ils viennent déverser, le gardien va venir contrôler. C'est à dire qu'il va venir estimer le m3 des déchets afin de facturer au plus près". Selon Maxime Ramdani, il existe ainsi une dizaine de professionnels réguliers à la déchetterie, qui déboursent au total 18.000 € par an.

"50 euros pour aller jeter des déchets de leurs employeurs chez nous"

Les déchets luxembourgeois ne sont donc plus la bienvenue dans cette déchetterie. "Depuis qu'on a le badge, et surtout depuis qu'on a interdit les camionnettes avec des plaques étrangères, ça c'est calmé" constate Maxime Ramdani. Les voitures avec des plaques luxembourgeoises, en revanche, peuvent venir, "tant que la personne a un badge qui prouve qu'elle réside bien en France".

Evidemment, l'interdiction des camionnettes avec des plaques étrangères fait grincer des dents. Certains frustrés décident hélas d'abandonner les déchets dans la nature. Un vrai fléau dans le secteur. 

Mais il y a aussi des petits malins qui ont trouvé des combines pour continuer d'amener leurs déchets luxembourgeois à Aumetz. "Des résidents prêtent parfois leurs badges à des connaissance venus d'ailleurs", et comme l'identité n'est pas contrôlée à l'accueil, le tour est joué. "Ce serait du flicage, et ce n'est pas notre rôle" déplore Jérôme.

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Jérôme doit estimer le volume de déchets des professionnels, pour facturer au plus près.

Autre magouille, "des entreprises luxembourgeoises profitent que leurs d'employés habitent en France pour leur demander de vider leurs déchets dans notre déchetterie. Des cas comme ça, on en croise souvent" constate Jérôme. Maxime confirme : "Demain, si un patron luxembourgeois demande à son employé qui vit en France d'embarquer deux chauffe-eau pour les balancer dans notre déchetterie, en échange d'un billet de 50 euros, il le fera, et nous on pourra rien y faire".

Dans un précédent reportage, nous avions rappelé que la présence massive de camionnettes luxembourgeoises dans les communes frontalières n'était pas un hasard : le stationnement étant souvent payant et rare au Grand-Duché, beaucoup d'entreprises luxembourgeoises confient leurs véhicules à leurs employés pour qu'ils les garent en France. Et si l'employé peut se débarrasser au passage de quelques déchets encombrants, tant mieux !

Bien sûr, la déchetterie peut renvoyer les magouilleurs les plus flagrants. "Des fois ça se passe bien, des fois ça se passe mal. On leur explique gentiment qu'ils ne peuvent pas décharger ici parce qu'ils sont immatriculés au Luxembourg, ou que ce sont des déchets luxembourgeois, que c'est la loi. Certains acceptent, d'autres non. Il est déjà arrivé qu'une personne insiste pour entrer, qu'on soit obligé de fermer le portail et de bloquer toute la déchetterie, alors que des gens attendaient" se souvient Maxime. "On en est même déjà arrivés aux mains" déplore Jérôme.

A Villers la Montagne, on est "plus souple" avec les plaques jaunes

Un peu plus loin, à Villers la Montagne, la stratégie de la déchetterie est plus souple avec les plaques jaunes : "À Aumetz, ils sont partis du principe que tout ce qui avait une plaque luxembourgeoise était interdit. Sauf que globalement, il y a des habitants qui n'ont pas d'autres véhicules que des véhicules luxembourgeois. Donc à un moment, moi, interdire un service à quelqu'un qui le paie avec ses impôts, juste parce qu’il a une plaque étrangère, j'ai un peu plus de mal" nous confie Brigitte Niclot, la directrice financière.

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La déchetterie de Villers-la-Montagne. Au premier plan, une camionnette... luxembourgeoise ! / © Romain Van Dyck

Elle préfère juger au cas par cas. "Je vais vous donner un exemple tout bête. Si c'est une camionnette avec à l'intérieur un canapé, une télé et des cartons, je me dis que c'est bien du déchet d'un particulier. Si c'est une camionnette qui vient avec 25 lavabos, alors là c'est clair : soit elle prend une carte professionnelle, soit elle repart. Donc on essaye de ne pas pénaliser les gens qui jouent le jeu pour les gens qui ne le jouent pas.  D'autant plus que des fois, ils nous les déposent 50 mètres plus loin. Donc ça coûte plus cher de les ramasser dans la nature que d'essayer d'être un petit peu souple."

Et puis "on a la chance d'être une petite déchetterie qui a toujours le même gardien depuis 15 ans. Il connaît à peu près tous les usagers réguliers. Donc quand on remarque qu’il commence à y avoir un trafic inhabituel, je lui donne l'ordre que pendant 2-3 mois, on redemande toutes les cartes d'identité à l'entrée, en plus du badge. Ceux qui avaient l'intention de tricher, ils viennent moins, ou ils vont voir ailleurs."

Niveaux tarifs pour les particuliers, les conditions sont les mêmes qu'à Aumetz (25 passages gratuits et 4€/passage au-delà). Pour les professionnels, comme chaque collectivité fixe ses prix en fonction de ses charges propres, "on a des tarifs qui sont moins attractifs, car on a une déchetterie qui au départ est destinée à des ménages. Le professionnel qui veut vraiment optimiser, à mon avis il peut payer moins cher en passant directement par des filières spécifiques, comme celles destinées au secteur du bâtiment".

Bref, à Villers la Montagne, la déchetterie se préoccupe plutôt des déchets sauvages et des problèmes avec les professionnels français. Notamment le fait qu’on a "de plus en plus d'entreprises individuelles, des camionnettes non-sérigraphiées, non floquées, Donc au moins, l'avantage avec les luxembourgeoises, c'est qu'on les voit arriver et qu'on peut les contrôler."

Se débarrasser de ses déchets coûte plus cher au Luxembourg

Transporter des déchets d'un pays à l'autre est interdit. Les douanes françaises mènent fréquemment des contrôles, et les prises ne sont pas rares. Dans un reportage, France 2 montre ainsi un entrepreneur luxembourgeois qui l'apprend à ses dépens. Dans sa camionnette, les douaniers découvrent huit sacs-poubelle remplis de vieux câbles électriques et de gaines. L'entrepreneur affirme qu'il compte se rendre à la déchetterie de Sanem, mais les douaniers ne sont pas dupes, et il écope de 150 euros d'amende.

@le20hfrancetelevisions Le long de la frontière franco-luxembourgeoise on peut voir des tonnes de déchets abandonnés au bord des routes et sur des terrains communaux. Des déchets qui viennent du Luxembourg. Les douanes soupçonnent un véritable trafic et renforcent leurs contrôles. ##jt20h #sinformersurtiktok #actualités #dechets #poubelles #luxembourg #france #douane ♬ son original - le20hfrancetelevisions

Un trafic transfrontalier de déchets qui pourrait s'expliquer par "le manque d’infrastructures au Luxembourg" note la journaliste. "Conséquence: le pays affiche en moyenne des prix plus élevés pour traiter les déchets, près de 50 euros de plus la tonne".

Quant aux déchets sauvages, le reportage de France 2 rapporte un autre chiffre édifiant : chaque année en Moselle, les agents ramassent en moyenne 70 kg de déchets par kilomètre de route... sauf à la frontière luxembourgeoise, où c'est 120 kg! Pratiquement le double. Décidément, le nord de la Lorraine mérite bien son surnom de "poubelle de la Grande Région"...

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