
Selon une version préliminaire consultée par l’AFP, l’autorité européenne des marchés financiers Esma, une agence ayant un rôle de coordination, verrait ses pouvoirs renforcés au détriment des régulateurs nationaux.
C’est un premier pas vers la création d’un marché des capitaux européen unifié, mieux à même de rivaliser avec les autres grandes puissances financières mondiales. Mais certains pays s’opposent à un transfert de souveraineté vers cette institution basée à Paris.
Le sujet est sensible dans un contexte de plongeon du bitcoin de 30% depuis deux mois et d’inquiétudes croissantes sur une bulle tech: Bruxelles envisage de transférer à l’Esma la supervision et l’octroi des licences pour les prestataires de services liés aux cryptoactifs.
Depuis une réglementation entrée en vigueur en fin d’année dernière, ce rôle revient aux autorités nationales. Mais certains Etats sont accusés d’être trop laxistes.
L’Esma a par exemple relevé des manquements à Malte, où de nombreuses sociétés du secteur ont élu domicile et qui s’oppose logiquement à une centralisation.
Celle-ci est motivée par “une approche pas seulement technique, mais aussi par des considérations politiques”, assure à l’AFP Kenneth Farrugia, directeur général de l’autorité de régulation des marchés de l’archipel. Il pense que l’Esma manquera de moyens pour mener ces missions.
Il y “un danger potentiel” pour le secteur, abonde Giovanni Cunti, qui dirige la plateforme Gate, licenciée à Malte, et craint de ne plus trouver d’interlocuteurs en cas de besoin.
Plus largement, le projet prévoit que l’Esma régule directement toutes les infrastructures de marchés, un peu sur le modèle de ce que fait la SEC, le puissant gendarme des marchés aux Etats-Unis.
Cela concernerait les places boursières, mais aussi d’autres acteurs comme les chambres de compensation qui servent d’intermédiaire pour sécuriser et réaliser des transactions, ou les dépositaires centraux qui les enregistrent.
Parmi les rares acteurs à lui échapper: les banques, qui resteraient sous l’ombrelle de la BCE et de l’Autorité bancaire européenne, et les assurances, qui ont leur propre régulateur.
Pour assurer ces missions, l’Esma, qui aujourd’hui réunit les autorités nationales avec un rôle surtout consultatif, serait dotée d’un nouvel exécutif indépendant, avec des pouvoirs renforcés. Elle pourrait même suspendre les permis européens des fonds en cas de manquements graves de leur gestionnaire et d’inaction des autorités nationales.
La supervision unique est vue comme une étape vers l’Union de l’épargne et de l’investissement, avec laquelle la Commission entend “relier efficacement l’épargne aux besoins d’investissements” en Europe.
Selon le rapport Draghi, qui prônait l’an dernier des réformes radicales pour maintenir la compétitivité européenne, l’UE a besoin de “750 à 800 milliards d’euros d’investissement annuels”. Or, l’épargne des Européens dort à 70% dans des livrets bancaires, qui financent peu les entreprises, a fortiori dans d’autres pays.
“Un organe national est incité à prendre des décisions conformes à l’intérêt du marché local. Une instance européenne aiderait à créer ce marché commun”, explique à l’AFP Nicolas Veron, économiste du cercle de réflexion européen Bruegel.
Si la France pousse depuis longtemps pour le projet, le Luxembourg, première place européenne de la gestion d’actifs, tient à conserver une régulation nationale adaptée aux demandes locales.
L’Esma n’a pas “la connaissance des spécificités de chaque marché” et “manque de ressources”, contrairement aux autorités nationales, affirme à l’AFP Serge Weyland, directeur général de l’association Alfi qui réunit les fonds d’investissement du pays.
D’autres Etats membres refusent une centralisation qu’ils considèrent comme une perte d’influence face à Paris.
L’Allemagne, qui cherche à préserver la place de Francfort, se dit ainsi favorable “à un renforcement de la convergence”, mais insiste sur la nécessité que cela “apporte une valeur ajoutée”, a indiqué son ministère des Finances à l’AFP.