LuxembourgDeux ans après la régularisation du cannabis, le bilan est mitigé

Céline Spithoven
traduit pour RTL Infos
La consommation de cannabis à domicile est autorisée depuis 2023 au Luxembourg. Deux ans plus tard, le bilan reste mitigé, entre soulagement, incertitude et risques personnels.
© LittleIvan/ Envato

Depuis juillet 2023, au Luxembourg, les adultes sont autorisés à cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis à domicile, à condition qu’ils soient issus de graines. La consommation à domicile du cannabis issu de ces plants est également autorisée depuis cette date. Il s’agissait d’une étape majeure de la réforme du gouvernement visant à dépénaliser la consommation.

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Le ministère de la Justice précise qu’il s’agit d’une régularisation, pas d’une légalisation complète du cannabis. Le transport, l’achat et la vente restent illégaux. La réglementation vise à réduire les risques liés au marché noir, mais de nombreuses personnes l’interprètent mal. Steve Goedert, chef du service Prévention et Instruction routière de la police, explique : “Par exemple, j’organise une fête chez moi, j’invite plein de gens, et tout le monde commence à consommer chez moi. C’est faux. Ce n’est pas autorisé. Cela signifie que seule la personne qui habite là peut consommer, et les autres, non.” Et les conséquences de la consommation de cannabis ne sont pas connues non plus de tous.

Cannabis et circulation routière

Un point important souvent sous-estimé : la consommation à domicile peut avoir des conséquences néfastes sur la route. La police distingue deux situations :

  • conduire sous l’influence du cannabis
  • conduire malgré la présence de traces de THC dans l’organisme

Le THC, ou tétrahydrocannabinol, est une substance psychoactive présente dans le chanvre et principale responsable des effets du cannabis. La seconde situation est la plus dangereuse. Contrairement à l’alcool, le THC reste beaucoup plus longtemps dans l’organisme. Steve Goedert met en garde : “Le THC reste dans le corps pendant trois à quatre semaines. Une consommation le week-end peut être suivie d’un accident le mercredi. Vous n’êtes plus sous l’emprise du cannabis, mais vous êtes toujours positif à une substance illégale. Cela peut vous coûter votre permis de conduire et avoir un impact sur le procès-verbal et la décision du tribunal.”
En fonction des circonstances de l’accident, une analyse de sang et d’urine peut être effectuée. Dès lors que du THC est détecté, la consommation légale à domicile n’a plus d’importance. Les plants cultivés à domicile présentant des teneurs en THC très variables, une analyse précise s’avère complexe. “Ce n’est pas comme pour l’alcool, où l’on connaît la quantité éliminée par heure.” La responsabilité légale du conducteur est donc nettement accrue. La réglementation relative à la consommation à domicile ne modifie en rien la tolérance zéro au volant.

Une législation claire mais un contrôle difficile

En théorie, la culture privée de cannabis à domicile est strictement réglementée. Quatre plants maximum par foyer sont autorisés. Les semences doivent être achetées par la personne elle-même et l’étiquette ainsi que le ticket de caisse doivent être conservés comme preuve d’achat. Les plants ne doivent pas être visibles depuis la rue et les mineurs ne doivent pas y avoir accès, même s’ils vivent sous le même toit. De même, la consommation en présence de mineurs est interdite.
Mais en pratique, il n’existe ni registre ni contrôle actif. Steve Goedert explique : “Il n’y a aucun chiffre sur le nombre de personnes qui ont semé quelle quantité de plants et on ignore aussi si cela se fait dans le cadre réglementaire. Il est également difficile d’arriver à savoir comment et où le cannabis est consommé à domicile.” Avant les changements, c’était encore plus simple, car, par exemple, les voisins se plaignaient de l’odeur. Aujourd’hui, la police constate surtout des infractions accidentellement, par exemple dans le cadre d’une autre intervention.

Le marché noir subsiste et évolue

L’un des principaux objectifs politiques était d’affaiblir le marché noir. Deux ans plus tard, force est de constater qu’il subsiste. “Nous rencontrons toujours les mêmes dealers dans la rue. Ils ne sont pas simplement partis”, indique la police.
Tout le monde n’a pas la main verte pour s’occuper de plantes à la maison. C’est aussi une activité coûteuse, car elle nécessite beaucoup d’eau et de chaleur, et il faut ensuite s’armer de patience avant que les plantes ne “portent leurs fruits”.

© Duramax PVC Panels/ Pixabay

Un consommateur régulier doit toujours s’approvisionner au marché noir et s’exposer ainsi à des sanctions pénales. Le service de prise en charge des addictions Impuls observe même une nouvelle dynamique, explique Nora Vitali : “Nous avons déjà eu des adolescents qui se procuraient du cannabis chez eux. Les parents cultivaient des plants et les enfants revendaient à l’école. Le marché noir ne disparaît pas. Il y a plutôt un nouveau type de dealer qui émerge.” Ce “trafic privé” est une conséquence du fait que le produit est désormais cultivé dans des foyers privés et donc plus accessible aux jeunes.

La consommation reste élevée, particulièrement chez les jeunes

Les données du National Drug Report 2025 montrent que malgré les mesures de prévention, la consommation de cannabis reste élevée. Les chiffres ont été recueillis en 2023 et 2024. Il est donc encore impossible d’estimer l’évolution de la consommation avec la nouvelle réglementation. Et pourtant :

  • 70,4 % des personnes interrogées en 2024 ont admis avoir consommé du cannabis lors de la dernière année.
  • Près de 60 % avaient consommé au cours des 30 derniers jours.
  • 15 % des 15-18 ans ont reconnu avoir consommé du cannabis au cours des 30 derniers jours.
  • Le Luxembourg se classe cinquième sur 17 pays en matière de mesures des eaux usées. Il s’agit des mesures de concentration de cannabis dans les eaux usées. Le cannabis peut être détecté dans les urines.

On voit donc que le cannabis n’est pas une drogue inconnue au Luxembourg et qu’il est également populaire auprès des jeunes. Impuls, un service de prise en charge des addictions, qui travaille aussi beaucoup avec des jeunes déjà connus de la justice pour usage de cannabis, a constaté que le nombre de nouveaux jeunes qui viennent au centre est en baisse cette année. Toutefois, selon Nora Vitali, ce chiffre doit être interprété correctement : “Le parquet nous envoie encore beaucoup de jeunes qui ont des problèmes avec le cannabis, entre autres. Ce qui est frappant, cependant, c’est que moins de jeunes sont orientés vers Impuls par leurs parents ou le personnel enseignant. Les chiffres étaient plus élevés auparavant.” C’est préoccupant. Même si la consommation n’a pas explosé, on a le sentiment que la société est devenue plus tolérante et que le cannabis s’est banalisé. “Selon le principe : c’est autorisé et réglementé, donc ça ne peut pas être si grave”, explique Nora Vitali, “mais c’était et c’est toujours illégal pour les mineurs.” On craint que le cannabis ne soit un jour aussi banalisé que l’alcool : une drogue “légale” qui fait partie de la jeunesse et d’une bonne fête. Il ne faut sous-estimer ni l’alcool ni le cannabis, surtout chez les jeunes dont le cerveau n’est pas encore complètement développé.

Et ce n’est pas le seul problème.

© AFP

La teneur en THC augmente

La teneur en THC dans le cannabis saisi en 2024 n’avait jamais été aussi élevée. On a relevé environ 16,4 % de THC dans l’herbe, 33,5 % dans la résine et même 88,7 % dans l’huile de haschisch. Ces fortes doses peuvent aggraver les effets secondaires du cannabis, en particulier chez les jeunes consommateurs. De plus, la police n’a aucun contrôle sur les plants cultivés dans les foyers privés et ne peut même pas s’en faire une idée.

La régularisation, qui visait notamment à dépénaliser les consommateurs occasionnels et à les empêcher d’acheter du cannabis frelaté ou manipulé au marché noir, semble avoir globalement engendré davantage de problèmes, si l’on en croit les observations de la police et du Service Impuls au cours des deux dernières années. Mais tout n’est pas négatif pour autant.

La mesure soulage la police et la justice en termes de charge de travail

En termes de charge de travail, le bilan de la régularisation est positif. Depuis, la police peut agir de manière plus répressive sur le terrain. La possession et le transport de cannabis en petites quantités, ainsi que sa consommation dans les lieux publics, peuvent être sanctionnés directement par la police sur place, par un avertissement taxé de 145 euros. L’affaire est ainsi réglée et la personne concernée n’est pas immédiatement étiquetée comme “criminelle”. “La police peut constater sur place et se faire juge. Il n’est plus nécessaire d’emmener l’accusé au commissariat, de prendre sa déposition et de transmettre le tout au parquet, qui doit ensuite s’en occuper. Cela allège considérablement le travail de la police, qui peut se concentrer sur d’autres affaires”, explique Steve Geodert, responsable du service Prévention et Instruction routière. Cette mesure soulage grandement la police et la justice.

Avertissements taxés pour consommation sur la voie publique :

  • 55 en 2024
  • 48 en 2025 (au 31 octobre)

Avertissements taxés pour transport ou possession jusqu’à 3 grammes :

  • 278 en 2024
  • 313 en 2025 (au 31 octobre)

Cette nouvelle législation a rapporté environ 100.000 euros au Trésor public ces deux dernières années. Le parquet a ainsi eu près de 700 dossiers en moins à traiter. Cela ne signifie toutefois pas que toute infraction liée au cannabis ne fait l’objet que d’un simple avertissement taxé. Quiconque transporte, vend ou met en contact des jeunes avec de grandes quantités de cannabis, s’expose à de lourdes amendes et à une peine d’emprisonnement.

“Réagir précocement” pour aider les jeunes

La police et le service Impuls s’accordent à dire que la sensibilisation précoce est le moyen essentiel pour protéger les jeunes contre les risques liés à la consommation. D’autant plus que la régularisation du cannabis a banalisé son usage pour de nombreux jeunes, il est essentiel que parents et éducateurs n’attendent pas que la consommation devienne régulière. Au service de prise en charge des addictions Impuls, on constate souvent les conséquences d’une réaction trop tardive. Nora Vitali déclare : “Ne pas attendre que le jeune consomme régulièrement. Il s’agir de réagir précocement.

La police insiste également sur l’importance d’une information fiable et de la prévention. Pour Steve Goedert, il est crucial que les jeunes sachent précisément ce qui est autorisé et les risques liés au cannabis, même si sa consommation est légale à domicile à partir d’un certain âge. Les deux institutions arrivent à la même conclusion : des jeunes bien informés prennent des décisions plus sûres, et ceux qui bénéficient d’une aide précoce ont beaucoup plus de chances de ne pas en arriver à une consommation problématique. C’est pourquoi elles lancent également un appel aux parents et aux enseignants : vous rendez service à l’enfant en abordant le sujet de la consommation de cannabis et en le guidant vers un service spécialisé. Il ne s’agit pas d’une punition, mais d’une démarche visant à l’aider.

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