Quatre ans après avoir ouvert son restaurant en pleine crise du covid, Leonardo De Paoli, chef du restaurant OiO, est toujours là. À Clausen, il défend une cuisine "identitaire", évoque ses ambitions tout en soulignant les ravages que font toujours les "no-shows", ces réservations non honorées par les clients.

Assis dans un fauteuil à l’entrée de son restaurant, Leonardo De Paoli savoure un instant de calme. Le soleil refait doucement surface sur Clausen, les derniers clients viennent de partir, et les vacances approchent – en septembre. À l’intérieur, parquet au sol et pluie d’ampoules suspendues plongent la salle dans une douce lumière. Quatre ans après l’ouverture d’OiO, le chef fait le point sur sa progression et sur le chemin qu'il lui reste à parcourir pour atteindre un jour son rêve.

Vous fêtez les quatre ans de votre restaurant OiO. Si vous deviez résumer cette aventure en un mot ou une image, ce serait lequel ?
Leonardo De Paoli :"Je dirais « évolution ». On a démarré en plein covid. Beaucoup de restaurants étaient fermés. On m’a dit que j’étais fou et que je ne tiendrais pas 6 mois. Même si je venais des cuisines de Mosconi, je ne connaissais pas grand monde au Luxembourg. J’étais le petit Italien venu de Vérone en voiture pour trouver du travail. Mais j’ai toujours cru en moi. On a commencé tout petit, avec trois employés. Maintenant, on est onze. On a beaucoup investi dans l’établissement. Ce n’est d’ailleurs pas fini : tout le sol de la terrasse va être refait en septembre prochain avec un chauffage au sol, pour que l’endroit soit accueillant même en hiver. On va améliorer l’intérieur par petites touches, notamment avec de nouvelles chaises qui coûtent assez cher."

Quels ont été, selon vous, les tournants majeurs de ces quatre dernières années ? 
"On a intégré les guides Michelin et Gault&Millau, on a été élu restaurant méditerranéen 2022, l’année où l’on a ouvert : c’était forcément des moments de grande fierté. On ne travaille pas pour eux, mais ce sont des marques de reconnaissance très importantes de la part de gens qui comprennent notre travail. Mon autre fierté, c’est de travailler tous les jours avec de belles personnes, qui ont envie de travailler, qui ont envie de faire plaisir. Après, oui, il y a des moments décourageants. Notamment à cause des « no-shows ». On en parle beaucoup au Luxembourg. C’est devenu un vrai problème. Malgré tous les articles de presse qui traitent de ce sujet, les choses ne changent pas. Chez nous, on demande l’empreinte bancaire au cas par cas. On sait que nos clients fidèles ne vont pas nous poser un lapin. Mais si on ne la demande pas aux nouveaux clients, vous pouvez être quasiment sûr qu’ils ne vont pas honorer leur réservation. Tout le monde ne comprend pas, on doit se battre pour faire accepter l’idée. C’est un peu déprimant. Pourtant, ce n’est pas différent de réserver un hôtel ou d’entrer ses codes bancaires sur Amazon. Je n’ai pas un énorme restaurant. Une table qui ne vient pas, je le sens tout de suite sur mon budget. Au Luxembourg, on est gâté, on ne se rend pas toujours compte des conséquences de nos actes. Mais je pense aussi que c’est générationnel. Les clients de plus de 40 ans, en général, tiennent leur engagement…  C’est bien de participer à des collectes de fonds pour sauver des restaurants, mais avant cela, ce serait bien d’honorer les réservations."

De combien avez-vous augmenté vos tarifs en quatre ans ?
"Je n’ai pas vraiment augmenté les tarifs. J’ai trouvé d’autres façons d’améliorer un peu la rentabilité du restaurant. Par exemple, j’ai introduit des formules il y a un an et demi, même si ce n’est que pour deux plats. On ne pouvait plus accueillir des clients pour qu’ils ne mangent qu’un seul plat de 25 ou 30€, en trois heures.  Le rôle d’un restaurant gastronomique, c’est de faire vivre une expérience. Or, si on ne mange qu’un plat, on ne peut pas vraiment garantir une expérience.  Nous, les restaurateurs, il faut qu’on soit honnêtes par rapport à ce qu’on offre, soit un bon rapport qualité/prix. Le client doit être content au moment où lui sert ses plats, ses boissons, mais aussi au moment de l’addition."

Beaucoup de restaurateurs évoquent leurs difficultés ces derniers mois, voire ces dernières années. Comment OiO parvient-il à tirer son épingle du jeu là où d’autres peinent à survivre ?
"Nous, on essaie toujours de se mettre dans la peau du client. On se veut accessible. Amical sans toutefois être des amis. On est jeune, aussi. C’est sûr que manger dans un restaurant gastronomique, ça implique une dépense plus importante que d’habitude. Malgré tout, je pense que le rapport qualité/prix est bon au Luxembourg. Ce sont plutôt les restaurants bistronomiques, les brasseries, qui souffrent le plus, j’ai l’impression. Les clients n’acceptent plus les prix qui ne sont pas en adéquation avec ce qu’ils ont dans l’assiette et avec le service en salle. Mais il y a des chefs qui s’en sortent bien. Je pense à Jérémmy Parjouet (Le Q dans le beurre), Baptiste Heugens (Equilibrium) ou à Mathieu Van Wetteren (Apdickt), qui est certes étoilé, mais qui n’est pas tout proche de la capitale (Steinfort)."

Vous revendiquez une cuisine italienne moderne, loin des clichés. Qu’est-ce que cela signifie concrètement dans votre assiette ?
"Je parle plutôt de cuisine « identitaire ». Il y a une identité italienne, mais jeune et différente. On cherche à avoir des recettes uniques. La fraîcheur des produits, ça compte comme un aliment. On fait la pâte à la minute. En ce moment, on fait une tarte tatin de tomate cerise, par exemple. Ce sont les premières de la saison, elles sont encore un peu vertes, il faut donc un peu les caraméliser. On met une petite couche de moutarde et on la sert avec une émulsion de notre basilic et une glace « Cacio e Pepe » (plat typique italien : les pâtes au fromage et poivre). Il n’y a aucun doute sur le fait que ce soit italien, mais ce n’est pas classique. Il y a de la technique. On peut faire de grands plats avec des produits que tout le monde possède à la maison."

Vous êtes passé d’une équipe de 3 à 11 personnes en quatre ans. Comment gérez-vous cette croissance ? 
"Je n’ai pas d’investisseur derrière moi. Quand j’ai ouvert, le service était plutôt de type bistro, les plats étaient bons mais moins travaillés, les ingrédients étaient plus simples. Après le covid, les gens ont voulu dépenser leur argent. J'ai une anecdote qui résume tout. À l'époque, j’avais une carte des vins avec 30 références. Toutes les bouteilles coûtaient moins de 60€ sauf une qui était à 180€. Je pensais ne jamais en vendre. Et les gens ne prenaient que ça ! C’était pour certains d’entre eux, une façon de me soutenir. Mais le vrai coup de main, c’est de parler du restaurant aux autres, à des amis, à de la famille. C’est comme ça que le restaurant fonctionne et je leur en suis très reconnaissant. Sans eux, je ne sais pas si je serai encore là. Aujourd’hui, j’ai onze familles qui dépendent de moi. Donc je dois bien peser chaque décision que je prends, chaque investissement."

Vous êtes déjà reconnu par Gault&Millau et mentionné dans le guide Michelin. L’étoile est-elle un objectif avoué ou une pression inutile ?
"Si on ne voit les choses que du point de vue de l’entrepreneur, je répondrais que le plus important est d’avoir les caisses pleines et de pouvoir payer toutes ses factures. Un chef dont l’affaire ne tourne pas correctement ne peut pas penser aux récompenses. Mais si on fait ce travail, qu’on y accorde tout notre temps, toute notre énergie, c’est aussi pour avoir de la reconnaissance. Moi, obtenir une étoile Michelin, ça a toujours été mon rêve. Mais il faut être prêt pour ça car ça amène beaucoup de pression, beaucoup d’attente. Il faut d’abord construire quelque chose de solide."

Où voyez-vous OiO dans 4 ans ? 
"Je n’ai pas de boule de cristal mais je pense qu’on sera toujours ici, à côté de l’Alzette ! On a encore beaucoup de route à faire, beaucoup de plats à réaliser, beaucoup de pâtes à manger. J’espère devenir une référence de la cuisine italienne gastronomique dans la capitale. Mais toujours en me souvenant d’où je viens et en sachant où je vais."