A Langon, au sud de Bordeaux, le restaurant de la Maison Claude Darroze affiche complet. Cette référence de la gastronomie girondine a pris le pari de poursuivre l'aventure sans son étoile Michelin, afin de, paradoxalement, "mieux s'en sortir" financièrement.

"J'ai écrit (au Guide Michelin) pour expliquer qu'on changeait de concept, qu'on allait s'orienter vers une cuisine plus traditionnelle, plus familiale", raconte à l'AFP Jean-Charles Darroze, 44 ans, héritier de plusieurs générations de cuisiniers.

En adoptant cette démarche, il savait que l'établissement familial fondé en 1969 par son père Claude Darroze, doublement étoilé, perdrait son macaron. "Et c'est exactement ce que je souhaitais", dit en souriant ce Landais d'origine, qui a travaillé avec les plus grands chefs, dont Alain Ducasse.

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Le chef Jean-Charles Darroze dans son restaurant de la Maison Claude Darroze le 2 avril 2025 à Langon au sud de Bordeaux / © AFP

Pour une question de survie économique d'abord. "On allait droit dans le mur. En 2020, quand on a récupéré l'étoile après l'avoir perdue en 2018, la crise du Covid-19 nous est tombée dessus", se souvient-il.

En outre, le pouvoir d'achat de la clientèle s'érode et la concurrence gastronomique locale ne cesse de s'accroître. "Autant d'éléments qui m'ont poussé à réfléchir l'avenir autrement", indique M. Darroze.

"Cuisine régressive"

Après avoir volontairement, il y a une quinzaine d'années, troqué sa toque pour prendre les rênes administratifs de l'établissement familial fondé en 1969, le quadragénaire est aujourd'hui conscient de s'éloigner encore un peu plus de la voie tracée par son père.

"Les frais de personnels, de vaisselle, le temps passé à réfléchir à la conception des plats, et tout le cérémonial liés aux exigences d'un restaurant étoilé devenaient trop lourds à porter", confie Jean-Charles Darroze.

En septembre 2024, il franchit le cap et embarque ses équipes dans une cuisine "plus familiale, plus spontanée. Une cuisine +madeleine de Proust+ qui te renvoie à l'enfance. Une cuisine régressive, oui!", détaille le chef d'orchestre de cet établissement qui propose aussi 16 chambres d'hôtel.

"J'ose introduire plus de spontanéité. +Tiens, on a reçu des asperges ce matin, qu'est-ce qu'on en fait?+ On a remis à la carte des plats en sauce, des profiteroles, tout ce qui a autrefois fait la renommée de la cuisine française et qui ne correspond plus à ce qu'on attend des plats étoilés plus +modernes et intellectualisés+", juge-t-il.

"Jamais déçus"

En réduisant les frais de fonctionnement, les prix ont naturellement diminué d'environ 30%, permettant de proposer des menus complets à midi à 36 euros.

"En cuisine, le savoir-faire et l'attention portée à la qualité des ingrédients restent les mêmes, insiste-t-il. Et pourtant, j'ai l'impression qu'on satisfait aujourd'hui plus nos clients qu'en étant étoilés".

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Le chef Jean-Charles Darroze dans son restaurant de la Maison Claude Darroze le 2 avril 2025 à Langon au sud de Bordeaux / © AFP

"Je préfère avoir plus régulièrement du monde, des locaux, qu'attendre le touriste qui peut se payer un menu à plus de 100 euros", en soirée, dit-il, convaincu que pour son établissement, c'est "la démarche adéquate pour mieux s'en sortir".

"Je suis très respectueux du Guide. Quand j'ai gagné l'étoile, j'avais gagné la Coupe du monde. Mais ça prenait trop de place, on en était devenu trop dépendant", ajoute le quadragénaire.

A midi, les premiers arrivés s'installent, dans un décor épuré, très végétal. Dans les plats soigneusement travaillés, des terrines, des asperges, du poisson, mais aussi du canard à l'orange, une des recettes phares de l'établissement.

"Depuis toujours, ce n'est pas la gastronomie qui m'attire. J'ai été plongé là-dedans tout petit et j'ai suivi par mimétisme. C'était le restaurant de mes parents mais aujourd'hui j'ai envie que ce lieu me ressemble. J'ai envie de simplicité", assure le père de famille.

Assise à une table avec sa fille et sa petite-fille, Josiane Lambour savoure son entrée. "On n'est jamais déçus ici. Et depuis qu'ils ont changé de concept, on a gardé le plaisir mais sans la contrainte du budget", explique cette Langonaise de 69 ans qui assure venir plus régulièrement.