Quand la France décide de vendre ses bijoux de famille, ce sont souvent les Français qui se font plumer. Dernier exemple, les péages autoroutiers. Abandonnés depuis des années à des sociétés privées, leurs tarifs vont flamber de 4,75% en février... alors que, révèle le Canard Enchaîné, ils auraient plutôt dû baisser de 60% !

Imaginez que la France soit un bon père de famille (mais si, faites un effort).

Vous savez, ce genre de papa prévoyant qui décide d'acheter un appartement pour le louer et ainsi assurer l'avenir de sa famille. Evidemment, ce n'est jamais un long fleuve tranquille, il faut s'endetter sur plusieurs années, gérer les locataires, les travaux de rénovation, investir dans une nouvelle chaudière, etc.

Mais après de longues années, le prêt immobilier est enfin remboursé, et il est enfin temps de profiter du retour sur investissement. Par ici les pépètes! Sauf que c'est pile le moment que choisit notre bon père de famille pour... vendre l'appartement. De le brader, même, à vil prix. Franchement, ce bon père de famille est un peu con, non?

Or, c'est à peu près ce qu'a fait la France avec ses autoroutes.

 🤑 ON GAGNE DE L'ARGENT ? VITE, VENDONS !

Au début des années 2000 en France, l'équipement autoroutier arrive à maturité: la dette des autoroutes baisse, le besoin de nouvelles constructions se rarifie, tandis que l'argent des péages coule à flot en direction du Trésor Public. Bref, le plus dur est passé et les signaux sont au vert.

Pourtant, c'est à ce moment là que le gouvernement Jospin fait rentrer le loup dans la bergerie, en ouvrant à des sociétés privés la concession d'autoroutes jusqu'ici détenue exclusivement par l'État. Et en 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin et son ministre des Finances, Thierry Breton, enfoncent le clou, au nom de la "modernisation des infrastructures" et du "désendettement de la France." L'État vend ses parts dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes à trois groupes: Vinci, Eiffage et Abertis.

L'État a beau rappeler qu'il reste propriétaire des autoroutes, c’est un propriétaire qui abandonne à d'autres la jouissance de ses investissements. Bref, ce propriétaire est... un peu con, non?

Et on en voit aujourd'hui le résultat. Alors que le prix des péages va grimper de 4,75% le 1er février, le Canard Enchaîné révèle cette semaine le contenu d'un rapport confidentiel de 2021 signé par l'Inspection générale des finances (pas des rigolos, ceux-là). Ces experts ont calculé que Vinci et Eiffage, qui exploitent près des 2 tiers du réseau autoroutier concédé, font des superprofits, avec une rentabilité de 12%, bien loin des 7,67% "ciblés" par l'État lors de la privatisation. Superprofits qui profiteront aux actionnaires, pas aux automobilistes, cf. le "réajustement tarifaire" cité plus haut.

Toujours dans ce rapport confidentiel, les experts proposent donc trois options pour rééquilibrer les choses: une "baisse des tarifs des péages" de près de 60%, un "prélèvement par l'État" de 63% de ces superprofits, ou enfin une "fin anticipée" des concessions octroyées à Vinci et Eiffage, pour que l'État reprenne la main sur ce pactole.

💸 LA GRANDE BRADERIE

Vous devinez la suite: l'Etat se dépêche d'enterrer l'embarrassant rapport et ses recommandations, affirmant même qu'il n'y a eu aucun superprofit. Ce qui revient à dire que les experts de l'Inspection générale des finances se sont trompés dans leurs calculs. Oh, les nuls!

On peut cependant en douter, tant c'est l'État s'est souvent révélé être un cancre dans la gestion de ses "bijoux de famille". Privatisation de la Française des jeux (une des cash-machines les plus rentables de France), d'aéroports, d'entreprises de secteurs stratégiques.... On pourrait aussi parler de la vente du patrimoine à de riches étrangers, de transfert de technologies sensibles... La liste est sans fin.

Cette grande braderie est devenu un sacrifice bien commode sur l'autel du court-termisme: la France est écrasée par les dettes, donc il faut lâcher du lest pour renflouer les caisses, logique non? Sauf pour les Français qui eux, paient deux fois la facture: la première lorsqu'ils financent des investissements publics à travers leurs impôts, et la seconde lorsque des sociétés privées prennent le relai pour se sucrer sur leur dos. Mais que voulez-vous, quand on brade des bijoux de famille, il faut bien qu'il y ait un couillon dans l'histoire.