L'IVG sera-t-elle inscrite dans la Constitution luxembourgeoise ? Ce qui aurait pu sembler fou il y a une dizaine d'années est aujourd'hui une option tout à fait envisageable. La raison ? Le revirement américain contre l'avortement. On vous explique ça tout de suite !

Après la France en 2024, le Luxembourg pourrait devenir le 2e pays au monde à inscrire l'IVG dans sa Constitution. Plus qu'un symbole, cette inscription serait une protection supplémentaire pour un droit acquis tardivement au Luxembourg.

Pour comprendre l'enjeu, il faut remonter le temps et traverser l'Atlantique. En 2022, la Cour suprême américaine, à majorité conservatrice, a remis en cause un arrêt pris dans les années 70 et qui permettait d'avorter sur tout le territoire fédéral américain. Son annulation à la fin juin de l'année 2022 a permis à chaque État de décider librement si l'avortement était autorisé ou non. Et sans surprise, plusieurs États conservateurs l'ont interdit, même en cas de viol ou d'inceste.

D'autres États américains ont fait le chemin inverse, en réaction à cette décision. Mais la remise en cause de l'IVG aux États-Unis a eu des répercussions mondiales. Qui ont conduit la France à constitutionnaliser l'IVG au printemps 2024. Une première historique.

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Deux mois plus tard, le Luxembourg a lui aussi débuté le processus pour inscrire l'IVG, mais aussi la contraception, dans sa Constitution. La proposition de révision de l'article 15, au registre des "libertés publiques", est portée par le député Marc Baum (déi Lénk). Et se présente sous cette forme : "Le droit à l’interruption volontaire de grossesse ainsi que le droit à la contraception sont garantis. La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce l’accès libre et effectif à ces droits."

Après plus d'un an de travaux parlementaires, son texte a notamment reçu le soutien du Conseil d'État, qui l'approuvé à l'unanimité. "Cet avis est le 6e que nous avons reçu, il est essentiel et est très positif" soulignait Marc Baum auprès de RTL Infos au mois d'août. "Il reprend notre argumentaire et il n'y a pas d'obstacle pour la prochaine étape." Qui prend la forme de discussions au sein de la Chambre. "J'ai été nommé rapporteur, je vais donc exposer les différents avis et il y aura des discussions au sein de la commission" ajoutait-il.

Prévenir plutôt que guérir

Plusieurs partis d'opposition (le LSAP, déi gréng, les pirates et évidemment déi Lénk) soutiennent la proposition, assure Marc Baum. Reste donc à convaincre les députés de la majorité gouvernementale. Car le quorum pour modifier la Constitution est fixé à 40 députés. Alors qu'une loi se modifie à la majorité simple (31 députés). Inscrire l'IVG dans la Constitution la protégerait donc plus efficacement d'éventuelles attaques politiques conservatrices.

Mais pour y parvenir, il faut un consensus large au sein de la Chambre. "Les discussions seront intéressantes et ce n'est pas impossible d'obtenir les 40 voix" souligne l'élu déi Lénk. "Certains du CSV et du DP seraient également d'accord, c'est le moment de convaincre." Ce 15 septembre 2025, les travaux menés en commission ont montré que le DP devrait "en principe" suivre le mouvement, à condition de discuter du texte. Notamment de la formulation de "droit" à l'IVG, par rapport à une "liberté". "C'est une piste à laquelle je suis ouvert, on trouvera une solution" rapporte-t-il, expliquant que la France a été confrontée au même débat. "Ce n'est pas gagné, mais nous sommes sur le bon chemin."

Le CSV, premier parti du pays, souhaite encore en discuter en interne et s'est gardé de tout choix définitif, mais il est prêt à faire "avancer" les travaux ne compte pas bloquer le processus législatif engagé par Marc Baum. Sans surprise, l'ADR se positionne contre. Ce mercredi 17 septembre, Luc Frieden, président du CSV et Premier ministre, a jugé que l'IVG devait être considéré comme une "liberté" et non comme un "droit".

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Marc Baum, député déi Lénk, est l'auteur de la proposition d'inscrire l'IVG dans la Constitution. Et rapporteur du texte. / © Chambre des députés / Flickr

L'enjeu pour le Luxembourg est clair : apporter une nouvelle protection à un acte médical qui pourrait être mis en danger en cas de future poussée conservatrice. Celle-là même qui a stoppé net l'avortement aux États-Unis en 2022, et le met en danger dans plusieurs pays européens (Malte ou la Pologne ont des législations très restrictives sur le sujet, par exemple). En Allemagne, un bras de fer inédit s'est engagé cet été entre plusieurs partis. Le CDU (Union chrétienne-démocrate, parti du chancelier Merz) et l'AfD (extrême droite) ayant empêché la nomination de la constitutionnaliste Frauke Brosius-Gersdorf, jugée trop à gauche, à la Cour suprême. Un de ses torts ? Sa position en faveur de la légalisation de l'avortement (techniquement illégal mais aujourd'hui toléré en Allemagne). Sa nomination devait pourtant s'apparenter à une formalité.

"On voit ce qui se passe dans les pays voisins" commentait Marc Baum cet été. Car rien ne dit que le progressisme actuel du Luxembourg durera éternellement. "Le but est de rendre difficile un retour en arrière, c'est une sorte de clause de non-régression."

Début juillet, toujours dans le cadre de l'avortement, les députés avaient largement voté en faveur de la suspension du délai de réflexion de trois jours. Un temps d'attente qui était imposé aux femmes souhaitant avorter. Un dispositif jugé "paternalisant" et "infantilisant" pour les premières concernées et qui était dénoncé par toutes les institutions interrogées sur cette loi.

Le député de "La Gauche" s'estime "confiant" pour la suite du processus d'inscription de l'IVG dans la Constitution, même si "ce n'est pas gagné". En témoigne le débat qui s'est ouvert dans le pays à cause de sa démarche : des militants ont manifesté en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution ce lundi 15 septembre. Deux jours après des propos polémiques du cardinal Hollerich, qui estime que la mesure revient à "imposer une opinion à la population" et à "pousser les citoyens vers l'extrémisme de droite". Une position que le député qualifie de "grossièreté énorme" car "garantir ce droit n'ajouterait, à aucun moment, une pression accrue sur la femme ni n'obligerait qui que ce soit à recourir à l'avortement".

Faire du pays la 2e nation au monde à constitutionnaliser l'IVG aurait évidemment un poids politique considérable à l'international. Et contribuerait à renforcer l'image d'un Grand-Duché soucieux des droits des femmes. Une avancée à laquelle les députés pourraient se montrer sensibles.