
“Ma journée démarre à 6h30 et je peux repartir du travail à 19h00, 20h00, parfois plus tard”, pose d’emblée Pierre (prénom d’emprunt), chef de rang depuis plusieurs années dans une grande banque à Luxembourg-Kirchberg pour le compte de son patron, Sodexo, le premier employeur du secteur de la restauration collective au Luxembourg. Frontalier, comme beaucoup d’autres, Pierre accepte ces journées à rallonge parce que “ça fait des heures supplémentaires sur le salaire”.
Avec un bac professionnel hôtellerie et restauration en poche et près de dix années d’expérience dans le privé, ce père de famille touche “un peu plus de 2.700 euros net par mois”. Vu que “les augmentations de salaire c’est très tabou” à la DRH, les heures “supp” représentent sa seule marge de manœuvre pour mettre du beurre dans les épinards.
Qu’ils travaillent dans des restaurants d’entreprises, des cantines scolaires, des crèches, des hôpitaux, des foyers, des maisons de retraite, etc. les salariés du secteur de la restauration collective se lèvent tôt ou se couchent tard, souvent aux dépens de leurs vies de famille et sociale, pour servir leurs clients et “avec le sourire” s’il vous plaît.
Ce mercredi, en revanche, ils ne vont pas faire semblant de sourire puisqu’ils descendront dans la rue pour réclamer “un 13e mois et une convention collective de travail pour tous les salariés du secteur car nous voulons que tout le secteur soit sur une même ligne”, pose Semia M’hadhbi, présidente de la délégation de Sodexo à l’OGBL. Le piquet de protestation se fera entendre à 15h30 devant la Banque européenne d’investissement au Kirchberg.

Reste à savoir combien des 4.500 salariés, que compte le secteur au Luxembourg, se mobiliseront. Qu’ils soient agents de service, commis de cuisine, chefs de rang, maîtres d’hôtel, etc., tous réclament la même chose: une reconnaissance sonnante et trébuchante pour leur engagement au quotidien. Avant de brandir le piquet, l’OGBL a fait le tour des “popotes” puisque toutes les délégations de personnels “ont été sondées sur tous les sites de tout le secteur et il y a unanimité” pour réclamer le 13e mois, assure, déterminée, Semia M’hadhbi.
Car “c’est un travail très dur, très stressant. Il y a une attente de la clientèle qui est plus qu’exigeante. On est constamment à la merci du client et du patron. Psychologiquement c’est très dur et physiquement on est obligé d’activer la cadence”, résume sans respirer Semia M’hadhbi, comme si elle était en cuisine.
La grande majorité des salariés -près de 80%selon l’OGBL- perçoivent un salaire qui se situe entre le salaire social minimum non qualifié (2.570 euros) et le salaire social minimum qualifié (3.085 euros). Concrètement, un salarié non qualifié de la restauration collective gagne généralement entre 2.150 euros et 2.300 euros par mois, tandis qu’un salarié qualifié perçoit un net compris entre 2.500 et 2.700 euros. “Les seules augmentations dont nous bénéficions, ce sont les indexations de salaire”, glisse Pierre.
“On se donne tous à fond pour que le service de cuisine soit très bon”, assure Jana Kouakou Vitezova, responsable de la délégation du personnel chez CR Services qui fait partie de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Près de 120 salariés y travaillent sur le qui-vive et “doivent faire de pus en plus d’efforts au niveau de l’hygiène vu que nous servons des personnes âgées et des enfants”, un public sensible, explique Jana Kouakou Vitezova.
Elle soupire et glisse: “Mais nous, avec nos salaires, on ne peut même pas aller au restaurant, on est exclu du festin car on ne peut pas acheter des aliments de qualité”. Et pourtant, les salariés de CR Services touchent une prime annuelle sous certaines conditions. Pour se différencier du voisin dans un secteur très concurrentiel, les employeurs tiennent à leurs “critères de différenciation”, que l’OGBL ne conteste pas. Et ne veut surtout plus remettre sous le même chapeau. Posture qui lui a déjà coûté “20 ans d’attente”.