"On voit maintenant des parents qui donnent des biberons de boissons sucrées" s'alarme une endocrinologue du CHL. Elle met en garde contre l'hyper-consommation de sucre, mais aussi contre la propagation d'une inquiétante maladie chez les jeunes : la "Nash".
"On a maintenant des cirrhoses liées à l'hyperconsommation de sucre. Ce n'est pas très connu, mais c'est gravissime" s'alarme le Dr Catherine Atlan, spécialiste en nutrition, endocrinologie et diabétologie au CHL.
Suite à notre expérience "On a testé pour vous : un mois sans sucre, ça fait quoi ?" (article à lire ici), nous avons discuté avec cette spécialiste de cet "ennemi public numéro 1", si l'on en croit nombre de publications alarmistes.
Une formulation qui hérisse le poil du Dr Atlan: "Le sucre, c'est le carburant de notre corps. On ne sait pas fonctionner sans, le cerveau ne sait pas fonctionner sans. Donc ce n'est pas du tout notre ennemi."
Mais évidemment, tout est question de quantités et de type de sucres. "On n’a pas besoin de sucreries pour fonctionner, car notre organisme est capable de tirer les sucres rapides, les seuls utilisables par les organes, à partir de sucres complexes contenus par exemple dans les pâtes, les pommes de terre, le pain, etc." Donc "Est-ce que le glucose est notre ennemi ? Non. Est-ce que la quantité de glucose excessive apportée par notre alimentation est notre ennemi ? Oui."
Quand le sucre devient une "drogue"

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Oui, l’excès de sucres rapides (ceux qu'on trouve dans les sucreries et sodas notamment) "peut conduire à une sensation de dépendance, à une addiction, car – je vais parler le moins scientifiquement possible – dès que vous mangez une quantité importante de sucres rapides, vous avez immédiatement une sensation de bien-être", un peu comme avec l'alcool, compare-t-elle. "Plus vous allez en consommer, plus vous allez rechercher cet état." Une addiction au sucre qui est étudiée dans certains pays, notamment les États-Unis où cette consommation de sucre est généralisée.
Le Dr Atlan a notamment un produit dans le viseur: les sodas. "Il faut le diaboliser. Ce n’est pas le sucre qu’il faut diaboliser, ce sont les sodas dont on n’a pas besoin." Le problème, poursuit-elle, c'est que le soda permet de consommer très rapidement une grosse quantité de sucre - il suffit d'avaler le liquide, à la différence de bonbons qu'il faut au moins prendre le temps de mâcher.
Maintenant, elle ne veut pas non plus interdire totalement les sucreries aux enfants : "Car on ne va pas non plus priver un enfant d’un bonbon pour fêter un anniversaire, etc. J’ai élevé des enfants quand même" rit-elle.
Quid du petit déjeuner sucré, ou de l'alcool ?

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Faut-il bannir le petit-déjeuner occidental, sucré, comme on le lit de plus en plus, pour privilégier le petit-déjeuner salé ? "Moi je n’aime pas nier l’aspect culturel de l’alimentation, c’est aussi une histoire, des habitudes. Si vous ne vous sentez pas bien après ce type de petit déjeuner, là oui on peut voir ce qu’on peut faire. Si vous mangez trois pains au chocolat, ou des gros bols de céréales hyper sucrées, alors oui vous aurez un petit déjeuner trop riche, vous risquerez d’avoir un coup de mou en fin de matinée lié à ce petit déjeuner hyperglycémique…"
Elle tient aussi à parler de l'alcool, une source méconnue de sucre. " Dans un verre de vin ou de bière, il y a aussi du sucre, donc c’est un apport énergétique important. 1 gramme d’alcool, c’est 7 calories, alors qu'un gramme de sucre, c'est 4 calories. On ne sait pas métaboliser l’alcool, donc le foie fait ce qu’il peut, généralement il en fait de la graisse."
"La Nash est là maintenant, en Europe"

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Quel organe souffre le plus d’une consommation excessive de sucre ? "Le foie. Il y a d'ailleurs ce qu’on considère comme une nouvelle maladie: la Nash, la stéatose hépatique non alcoolique. Ça provoque du diabète, mais ça conduit aussi, comme l’alcool, à la cirrhose du foie, voire au cancer du foie. Donc oui, on a maintenant des cirrhoses liées à la consommation excessive de sucre. Ça a mis du temps à arriver en Europe, mais c’est là maintenant, chez des enfants ou de très jeunes adultes."
Il n'existe pas de médicaments miracles contre cette maladie qu'on surnomme également "la maladie du soda": "La meilleure façon d’arrêter l’évolution de la Nash vers la cirrhose, c’est l’arrêt total de la consommation de sucre industriels."
Et parce qu'il vaut mieux prévenir que guérir, elle déconseille vivement aux parents d'initier "trop tôt les enfants aux goûts sucrés. Quand je vois dans les salles d’attente des enfants avec des biberons de boissons sucrées… on ne le voit pas trop encore au Luxembourg, mais j’ai déjà vu ça ailleurs, des biberons de Coca-Cola, j’espère que ca ne viendra pas trop vite chez nous".
Laisser les enfants "boire énormément de sodas, manger des sachets de bonbons, oui, c’est un crime. Je pèse mes mots, c’est un crime" martèle-t-elle. Mais elle nuance aussi : "Après, c’est aussi un crime par ignorance, parce que des parents ne sont pas assez informés", notamment parce que les autorités doivent améliorer la sensibilisation sur ce danger.
Le paradoxe de l'alimentation moderne, c'est aussi que cet excès touche les plus démunis : "Plus on est pauvre, plus on est mal nourri. Donc il ne faut pas jeter la pierre aux parents, c’est connu qu’il y a un très fort lien entre l’obésité et le milieu socio-économique. Les gens pauvres qui souffrent d'obésité, on les culpabilise, alors qu’il faut comprendre qu’une partie de leur comportement vient aussi de la façon dont on leur propose une alimentation de mauvaise qualité" rappelle-t-elle.