Les médias RTL ne sont plus autorisés à mentionner le nom ou publier des photos de l’ancien président de la Fédération syndicaliste des facteurs luxembourgeois (FSFL).

En 2020, l’ancien président du syndicat avait poursuivi en justice la maison mère des médias RTL, CLT-UFA, afin d’imposer cette interdiction pour de futurs reportages. En diffusant son nom ou son image, RTL porterait atteinte à sa vie privée. La justice lui a donné raison en première et deuxième instances : chaque fois que son nom est mentionné, RTL doit payer 7.000 euros. Cette interdiction a désormais été confirmée par la Cour de cassation.

Même le Parquet général avait conclu à la cassation

La première réaction de l'avocat de la CLT-UFA, Maître Pol Urbany:

"En ce moment, je suis un peu choqué par cet arrêt, je ne m’y attendais pas. Nous avions le Parquet général, qui avait également conclu à la cassation de cette décision. Nous avons aussi beaucoup travaillé et avancé de nombreux arguments pour gagner ce procès. Nous sommes bien sûr déçus maintenant."

Le Parquet général avait effectivement conclu à la cassation, estimant que les juges du fond avaient négligé de tenir compte de l’énorme médiatisation d’un scandale national. Selon lui, les juges avaient négligé la gravité des faits pour lesquels l’ancien président de la FSFL avait été condamné, ainsi que le préjudice qu'il avait causé aux victimes.

Cette affaire, connue dans les médias sous son nom et ayant dominé l’actualité pendant longtemps, lui avait valu en 2007, d'être condamné en appel, à une peine de six ans de prison, dont deux avec sursis. Cela pour abus de confiance, faux et usage de faux. Dans sa fonction de président du syndicat, il avait mis en place une sorte de fonds d’investissement pour les membres, dans lequel des centaines de postiers avaient versé leurs économies, pour un montant atteignant plusieurs millions, afin d’investir.

Mais avec cet argent, le président de la FSFL s’était notamment acheté une finca à Majorque, des yachts et des voitures de luxe.
Il a purgé sa peine de prison et, au fil des années, les victimes ont récupéré environ 90% de leurs économies. Elles ne sont donc toujours pas entièrement indemnisées.

"Une censure imposée a priori"

Juste après la séance, Maître Pol Urbany n’avait pas encore reçu la notification de l’arrêt et ne pouvait donc pas entrer dans les détails:

"RTL a déclaré dès le début de cette affaire que si ce jugement était maintenu, quel que soit le niveau de juridiction au Luxembourg, nous le contesterions dans tous les cas, car nous ne pouvons pas accepter qu’une censure nous soit imposée a priori, nous interdisant de publier quelque chose qui a pourtant une valeur historique et documentaire et qui devrait rester du domaine de l’information officielle."

Interrogé, Pol Urbany a indiqué que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait être la prochaine instance.

"Il y a des choses dont on se dit que l’on peut les accepter, mais pas celle-là, nous ne le pouvons pas : devoir payer 7.000 euros chaque fois qu’un nom est mentionné, alors qu’il est lié à une affaire historique. C’est une atteinte beaucoup trop grave à la liberté de la presse."

La Cour de Cassation n'a pas retenu l'argumentation du Parquet général

Les juges du fond ont estimé qu'il y avait "un juste équilibre entre le droit à a protection de la vie privée et le droit à la liberté d'expression et d'information", si RTL pouvait encore parler de l’affaire, mais sans mentionner le nom ni montrer de photo de la personne responsable et condamnée. Le Parquet général avait pourtant soutenu en cassation que les juges n’avaient pas indiqué les motifs impérieux nécessaires pour justifier une telle restriction à la liberté de la presse. La Cour de cassation n’a toutefois pas retenu cette argumentation.

Après l'affaire, la Fédération syndicaliste des facteurs luxembourgeois s'était retrouvée dans une situation financière désastreuse et avait dû se restructurer complètement. A l'époque, l’ancien président du syndicat avait donné des interviews à la presse alors qu'il était en détention provisoire et avait ensuite publié, sous son nom, un livre sur l’affaire intitulé "Ich, alleiniger Sündenbock ?", qui est toujours disponible.

Mais depuis lors, il s’est retiré de la vie publique, avait plaidé son avocat devant les différentes instances. D’autres reportages de RTL, dans lesquels son nom serait mentionné en lien avec la FSFL, porteraient dès lors atteinte au droit à la vie privée du retraité, selon sa défense. Théoriquement, nous ne pouvons donc même plus citer son nom pour dire, par exemple, comment il a participé à la fondation de ce syndicat. C'est pour ce motif que le Parquet général avait également soutenu que l’interdiction était trop générale. Cela vaut aussi pour l’interdiction de montrer des images de l’homme, car RTL ne peut non seulement pas diffuser des photos ou vidéos actuelles, mais pas non plus d'images d’archives datant de l’époque où l’ancien président du syndicat était une figure publique.

Cette interdiction s’applique d’ailleurs uniquement aux médias RTL. Tous les autres sont libres de mentionner son nom.

L’association des journalistes luxembourgeois critique l'arrêt "avec la plus grande fermeté"

L'Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) considère la défaite de CLT-UFA devant la Cour de cassation face à l’ancien président de la FSFL comme "un coup porté à la liberté de la presse". L’ALJP critique l'arrêt "avec la plus grande fermeté" dans un communiqué, et le président intérimaire du Conseil de presse, Roger Infalt, voit dans ce verdict un danger pour l’ensemble de la presse luxembourgeoise :
 
"Et si l’on nous dit maintenant que nous ne pouvons plus mentionner le nom d’une affaire aussi unique, qui a marqué les 25 dernières années au Luxembourg, si nous ne pouvons plus appeler cette affaire comme elle se nomme au fond, c’est une censure pour toute la presse au Luxembourg. Pas seulement pour RTL. RTL et CLT-UFA viennent de recevoir ce jugement qui leur impose de payer une somme importante à chaque fois qu'elles citent le nom. Mais où cela va-t-il nous mener ?"
 
L'arrêt viole clairement la Constitution et constitue carrément une falsification de l’histoire, selon Roger Infalt. L’affaire de la Fédération syndicaliste des facteurs luxembourgeois porte simplement le nom de son ancien président. L’ALJP et le Conseil de presse soutiendront donc RTL dans ses démarches juridiques ultérieures. Une couverture sérieuse des faits historiques ne devrait pas être interdite, affirme l’ALJP.