EnquêtePourquoi les gens du voyage ne s'installent-ils pas au Luxembourg ?

Raphaël Ferber
Nombreux à s'installer de manière légale ou illégale du côté français de la frontière, les gens du voyage sont absents au Luxembourg. Nous avons cherché à savoir pourquoi.
Des gens du voyage, installés sur un terrain de Veymerange, à l'entrée de Thionville, début juillet 2022.
Des gens du voyage, installés sur un terrain de Veymerange, à l’entrée de Thionville, début juillet 2022.
© RTL 5minutes

Un terrain de foot squatté par les gens du voyage”. “150 caravanes bloquent une route départementale”. “Débat sur les caravanes, un éternel recommencement”. Chaque été en France, les déplacements -souvent pour des rassemblements évangéliques- et les installations illégales de gens du voyage suscitent des tensions dans certaines communes du pays.

À quelques kilomètres du Luxembourg, début juin, plusieurs caravanes ont pris d’assaut le terrain de foot d’Œtrange, une commune de Thionville, a rapporté le Républicain Lorrain. Fin juin, ça a été sur le terrain de foot de Knutange. Plus proche, sur le territoire de l’Agglomération du Grand Longwy, des gens du voyage ont pour habitude d’élire domicile le temps de quelques semaines, sans autorisation. D’ailleurs, quelques 120 caravanes sont encore présentes à Mont-Saint-Martin, commune frontalière de Meurthe-et-Moselle, voisine de Rodange. Les élus n’en peuvent plus, rapporte encore le Républicain Lorrain. Lorsque des plots en béton gênent le passage, ils sont déplacés. Et détourner l’électricité du voisinage n’est pas très compliqué.

Expulsion de Roms: quand la France taclait le Luxembourg

Face à cette situation, les maires sont bien souvent démunis. Déloger des itinérants indélicats en ouvrant le dialogue n’est pas toujours chose aisée et rarement efficace. La méthode “dure” ne l’est pas plus. Les signalements auprès des préfectures sont rarement suivis d’effet et lorsque les demandes d’expulsion aboutissent, ce n’est pas avant une quinzaine de jours. Pourtant, le code pénal prévoit que le délit d’installation en réunion sur un terrain communal ou privé est puni d’un an d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende. Cependant, cette procédure ne permet pas l’expulsion des voyageurs... Les journaux régionaux, eux, font régulièrement leur choux gras d’affrontements entre gens du voyage et agriculteurs, qui défendent leurs champs face à “l’invasion” de caravanes.

Au Luxembourg, “les experts témoignent de la présence d’un discours xénophobe et de préjugés” envers “les Tsiganes, les gens du voyage, les «Roms» selon l’appellation qu’on leur donne”, présentés souvent comme “mendiants.” (Enquête “Le racisme et les discriminations ethno‐raciales au Luxembourg”)

CAMPEMENTS EN FRANCE = MENDICITÉ AU LUXEMBOURG ?

Et au Luxembourg ? Ce phénomène est inexistant ou très marginal au Grand-Duché reconnaît le ministère de l’Intérieur luxembourgeois, que nous avons contacté. Même son de cloche du côté du ministère luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes pour qui “la soi-disant “problématique des gens du voyage” ne nous est pas connue. Principalement parce que ces derniers se trouvent généralement en séjour régulier dans un autre Etat membre et ont, de ce fait, un droit à la libre circulation des personnes, à savoir un court séjour de 90 jours au Grand-Duché (comprendre: sans avoir besoin d’une autorisation de travail, ndlr).”

“Le ministère n’est que saisi de telles affaires lorsque la question du séjour des concernés se pose” précise encore le ministère luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes.

De son côté, l’ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés) admet qu’elle “n’a pas beaucoup de contact avec cette population” nomade, dans la mesure où “les habituelles questions de résidence ne se posent pas”. Toutefois, elle estime que la problématique en France “a un impact au Luxembourg, où les polémiques entourant la question de la mendicité sont récurrentes.”

En clair, le discours régulièrement entendu au Grand-Duché est le suivant : s’il y a de la mendicité dans les grandes villes luxembourgeoises, c’est parce qu’il y a des campements de gens du voyage qui s’établissent de l’autre côté de la frontière française. “C’est un fait qu’il s’agit d’une population hautement stigmatisée au Luxembourg. C’est le cas aussi en France, mais le sujet est d’une autre dimension là-bas car il y a plus de contact entre elle et les communes” répond Sergio Ferreira, directeur politique de l’ASTI.

Ce constat, on le retrouve d’ailleurs dans la très récente enquête “Le racisme et les discriminations ethno‐raciales au Luxembourg” menée conjointement par le ministère de la famille, de l’intégration et à la Grande Région, le CEFIS (Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales) et le LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research). Au Luxembourg, “les experts témoignent de la présence d’un discours xénophobe et de préjugés” envers “les Tsiganes, les gens du voyage, les «Roms» selon l’appellation qu’on leur donne”, présentés souvent comme des “mendiants.”

UNE LOI PLUS SÉVÈRE AU LUXEMBOURG

En vérité, on peut considérer que la loi est plus sévère au Luxembourg qu’en France, où l’état “organise l’accueil et l’habitat des gens du voyage, en cherchant un équilibre entre la liberté de circulation, la décence des conditions d’installation et le souci des élus d’éviter les installations illicites” indique le Ministère français de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur sa page internet.

Pour être plus précis, en France, la loi Besson du 5 juillet 2000 oblige notamment les communes françaises de plus de 5.000 habitants à prévoir une aire d’accueil permanente ou de grand passage pour les gens du voyage.Ce n’est pas le cas au Luxembourg: aucune commune ou ville n’a l’obligation d’investir dans de pareilles aires d’accueil.

© RTL 5minutes

Le Conseil de l’Europe recommande pourtant à ses Etats membres de mettre en place des aires d’accueil et de stationnement à la disposition des Roms itinérants et semi-itinérants. “Ces sites temporaires/de halte devraient être convenablement équipés des installations nécessaires, notamment en ce qui concerne l’alimentation en eau et en électricité, l’assainissement et la collecte des ordures. Les barrières physiques ou les clôtures ne devraient pas porter atteinte à la dignité des personnes ni à leur liberté de mouvement.” Le Luxembourg ne tient visiblement pas compte de ces recommandations. Il n’en est pas forcé. Nous n’avons plus eu de réponse à ce sujet de la part du ministère de l’Intérieur luxembourgeois.

Ceci étant, en France, les aires d’accueil ne sont pas toujours suffisantes, sont parfois inexistantes dans certaines agglomérations ou ne satisfont pas toujours les concernés. D’où la multiplication des stationnements “sauvages” qui engendrent souvent d’énormes tensions, auxquelles le Luxembourg n’est pas confronté.

L’installation illégale de caravanes sur le domaine public est régie par l’interdiction de pratiquer du camping sauvage au Luxembourg. (...) Ce type d’infraction (...) serait susceptible d’une amende et d’une ordonnance de quitter les lieux (Ville d’Esch-sur-Alzette)

ET SI DES GENS DU VOYAGE S’INSTALLAIENT ILLÉGALEMENT AU LUXEMBOURG?

Que se passerait-il si des gens du voyage s’installaient illégalement sur des terrains communaux ou privés, au Luxembourg? La question est épineuse. “À Dudelange, la question ne s’est encore jamais posée” nous a répondu le service communication de la quatrième ville du pays.

L’Installation illégale de caravanes sur le domaine public est régie par l’interdiction de pratiquer du camping sauvage au Luxembourg. Jusqu’à maintenant, la Ville d’Esch n’a pas encore été confrontée à ce type d’infraction qui le cas échéant serait susceptible d’une amende et d’une ordonnance de quitter les lieux. Par contre, il est possible de pratiquer du camping en dehors des campings officiels sur des terrains privés à condition d’avoir l’autorisation du propriétaire” nous a répondu la ville d’Esch.

Après plusieurs échanges de mails avec les ministères et les plus grandes villes du Grand-Duché, il s’avère que c’est à la Police d’agir directement. “Nous ne commentons pas les motifs ou les raisons du choix des lieux de séjour des “gens du voyage"" nous a-t-on prévenu d’emblée. Ceci étant, la police luxembourgeoise a le pouvoir de dresser des PV de 24€, 74€ ou 145€“en fonction du lieu du séjour et du nombre de personnes séjournant, par exemple, dans une caravane.” Pour exercer leur pouvoir, les forces de l’ordre s’appuient sur deux articles de la législation luxembourgeoise :

Si malgré tout, des gens du voyage venaient à s’installer de manière illégale au Luxembourg, comme cela est régulièrement le cas en Lorraine, “les dispositions du Code de la route sont applicables” souligne enfin la police grand-ducale. “Cela signifie qu’un véhicule stationné illégalement peut être immobilisé si un conducteur non-résident omet de payer l’avertissement taxé, qu’il peut être remorqué par une dépanneuse et mis en fourrière dans le cas d’un stationnement illégal.”

En France, la loi du 7 novembre relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites prévoit des peines d’un an de prison et de 7.000 euros d’amende. Dans le cadre d’une procédure administrative, l’Etat peut faire appel aux forces de l’ordre pour procéder à l’évacuation forcée des caravanes dont le stationnement est illégal.

Cet été, la gronde de certains élus et résidents n’est pas prête de s’interrompre côté français, à quelques kilomètres d’un Grand-Duché qui reste encore à l’écart des débats.

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