Onze enquêtes judiciaires ont été confiées à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) depuis une semaine dans le cadre de la mobilisation contre la réforme contestée des retraites, a annoncé vendredi Gérald Darmanin.

"Il y a eu onze enquêtes de l'Inspection générale de la police nationale sous l'autorité des magistrats qui ont été ouvertes depuis une semaine", a déclaré le ministre de l'Intérieur sur CNews.

"Il se peut que, individuellement, les policiers et les gendarmes, souvent sous le coup de la fatigue, commettent des actes qui ne sont pas conformes à ce qu'on leur a appris à l'entraînement et à la déontologie", a-t-il concédé, appelant "dans ces cas-là (à) les sanctionner".

Au moins trois enquêtes pour violences par personne dépositaire de l'autorité publique ont été ouvertes par le parquet de Paris, selon une source proche du dossier.

L'une d'elles a été ouverte à la suite du dépôt de plainte de la mère de Fanny, une lycéenne de 15 ans, qui a reçu un projectile, qu'elle pense être un éclat de grenade de désencerclement, sur le front, lors d'une manifestation le 11 mars près de la place de la Bastille. Sa blessure lui a valu trois jours d'incapacité totale de travail (ITT).

Une autre enquête a été ouverte après la plainte d'une femme qui a reçu un coup de matraque lors d'un rassemblement lundi dans le quartier de Châtelet.

Selon la vidéo des faits réalisée par un reporter indépendant et mise en ligne sur les réseaux sociaux, la plaignante a reçu un coup de matraque de la part d'un policier casqué, alors qu'elle semblait immobile, coincée contre un mur avec d'autres personnes.

Une troisième enquête vise un coup de poing qu'a asséné un policier au visage d'un manifestant lundi soir à Paris, capté par une vidéo largement relayée sur internet.

En janvier, une première enquête avait été ouverte après qu'un policier a donné un coup de matraque à un homme de 26 ans, qui a dû être ensuite amputé d'un testicule, lors de la première journée de mobilisation, le 19 janvier.

CONSEIL DE L'EUROPE INQUIET

La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, s'est alarmée vendredi d'un "usage excessif de la force" envers les manifestants contre la réforme des retraites, appelant la France à respecter le droit de manifester.

"Des incidents violents ont eu lieu, parmi lesquels certains ont visé les forces de l'ordre", a déclaré la Commissaire dans un communiqué.

"Mais les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d'autres actes répréhensibles commis par d'autres personnes au cours d'une manifestation ne sauraient justifier l'usage excessif de la force par les agents de l'Etat. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion", a-t-elle poursuivi.

Ces derniers jours, des syndicats d'avocats, de magistrats et des politiques de gauche ont dénoncé des violences policières lors des manifestations contre la réforme des retraites.

L'ONG Reporters sans frontières (RSF) a appelé vendredi le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin à "mettre fin aux violences policières contre les journalistes".

Dunja Mijatović s'est par ailleurs inquiétée de l'interpellation et du placement en garde à vue de certains manifestants et de personnes se trouvant aux abords des manifestations, s'interrogeant sur "la nécessité et la proportionnalité des mesures dont elles ont fait l'objet".

Le ministre avait déclaré mardi que la participation à une "manifestation non déclarée" constitue un "délit" qui "mérite" une "interpellation".

TU LA FERMES OU JE RECOMMENCE ?

Le préfet de police Laurent Nuñez a annoncé vendredi avoir saisi l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) après les menaces et intimidations proférées par des policiers contre de jeunes manifestants à Paris révélées dans un enregistrement sonore obtenu par Le Monde et le site Loopsider.

Le préfet de police "a décidé de saisir l'IGPN" après l'"enregistrement sonore d’une intervention de police lors d'une manifestation à Paris le 20 mars", a tweeté la préfecture de police. Il s'agit d'une enquête administrative.

Le lundi 20 mars, "à peu près 2.000" personnes en "petits groupes éclatés" selon le préfet de police, avaient manifesté dans le centre de la capitale, dressant des barricades et brûlant des poubelles.

C'est dans ce cadre que, selon Le Monde et Loopsider, des policiers de la BRAV-M, une unité décriée pour ses méthodes d'intervention musclées, interpellent sept jeunes, soupçonnés d'avoir pris part aux dégradations.

L'un des interpellés enregistre alors discrètement les échanges avec les policiers. On y entend les fonctionnaires enchaîner les propos humiliants, menaçants et intimidants, notamment envers l'un des sept jeunes.

"La prochaine fois qu’on vient, tu monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller à l’hôpital", peut-on notamment entendre dans l'enregistrement.

Deux bruits de gifles sont également audibles, avant que l'un des policiers lance: "Prends exemple sur tes potes ! Tu la fermes ou tu veux que je recommence ? Ah tu commences à bégayer, t'en reveux peut-être une pour te remettre la mâchoire droite ?"

"J'espère que demain t'es déferré, tu vas prendre quoi six mois? Six mois c'est bien et une OQTF (obligation de quitter le territoire)", dit un autre policier au jeune homme, de nationalité tchadienne.

Alors qu'un de leurs responsables les informe qu'ils doivent se déplacer dans un autre quartier de Paris, l'un des policiers conclut : "tu as de la chance, on va se venger sur d'autres personnes."

"Évidemment que ces propos sont inacceptables (...), qui déontologiquement posent des problèmes très graves", a déclaré le préfet de police dans l'émission C à vous sur France 5, ajoutant être "comme tout le monde, très choqué".

Le préfet de police Laurent Nuñez a indiqué samedi que le démantèlement de la BRAV-M, une unité mise en cause récemment dans plusieurs affaires de violences policières dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites, n'est "évidemment pas à l'ordre du jour".

"Le comportement de quelques individus ne doit pas jeter l'opprobre sur toute une unité qui, ces dernières années, et singulièrement en ce moment, prouve toute son utilité", a déclaré le préfet samedi sur France Info.