
Dans les collines du nord du Luxembourg, loin des lignes de front mais au cœur du territoire occupé, un jeune agriculteur devint l’une des figures les plus audacieuses de la Résistance. Pierre Schon, âgé de seulement 25 ans lors de l’invasion nazie, vivait dans le petit village de Doennange, près de Clervaux. Il travaillait à la ferme familiale et, presque aussitôt, s’engagea pour une cause bien plus grande.
Pierre a rejoint le mois même de sa création la Ligue patriotique luxembourgeoise (LPL) Nord, un groupe de résistance créé en novembre 1940. Dès lors et jusqu’à la fin de la guerre, il a œuvré comme chef de groupe, officier de liaison pour le renseignement et guide d’évasion, conduisant plus d’une centaine de personnes vers la liberté à travers le dangereux territoire de l’Europe occupée par les nazis.
La maison de la famille Schon devint à la fois un lieu de rencontre et un refuge. Des résistants comme Raymond Petit y trouvèrent abri, ainsi que des prisonniers de guerre français évadés, des aviateurs alliés abattus et de jeunes Luxembourgeois cherchant désespérément à échapper à la conscription dans l’armée allemande. Pierre et d’autres membres de la LPL aménagèrent des cachettes secrètes dans les bois entre Doennange et Weicherdange, où les évadés attendaient d’être escortés vers la Belgique par les sentiers forestiers, à la faveur de la nuit.
La voie d’évasion reliait Doennange aux villages belges de Buret et Tavigny, puis à de petites villes desservies par le train comme Limerlé-Retigny et Bourcy. Pierre travaillait en étroite collaboration avec ses collègues guides Ernest Delosch et Aloyse Kremer, organisant des planques et coordonnant les transferts vers des familles belges.
Son réseau belge s’est avéré indispensable. Des familles comme celle de Jean Boever, près de Marloie, ont nourri, vêtu et hébergé les fugitifs, allant jusqu’à découper leurs nappes pour leur confectionner des chemises. Boever a mis en place un réseau d’autres familles courageuses de la région qui ont également caché de nombreux fugitifs. René Nicolay, chef de la gendarmerie des Marches, a fourni de faux papiers d’identité et des cartes de travail, ainsi que de la nourriture et de l’argent. Grâce à cette collaboration transfrontalière, des centaines de vies ont été sauvées.

Pierre possédait les outils et le savoir-faire nécessaires pour falsifier lui-même des papiers d’identité. Il disposait de cachets municipaux originaux de France et de Belgique. Il a fourni certains de ces faux documents pour aider des déportées juives à s’évader du camp conventuel de Cinqfontaines, dans le but de les conduire en Belgique.
Les fausses identités permettaient également aux résistants de circuler dans la région sans être repérés. Un grand nombre de fausses cartes d’identité étaient produites en coordination avec des contacts au sein de la résistance belge, un système qui prit de l’importance au fil du conflit.
Lors du référendum forcé nazi d’octobre 1941, la « Personenstandsaufnahme », il participa à la distribution de tracts anti-référendaires imprimés à Bruxelles et organisés par Alphonse Rodesch, cofondateur de la LPL. Diffusés par des membres comme Pierre, ces tracts contribuèrent au rejet massif par le Luxembourg du plan allemand d’annexion du pays. Il joua un rôle similaire lors de la grève générale d’août 1942, en faisant passer clandestinement des tracts à travers la frontière et en aidant à leur distribution avec d’autres groupes de résistance. Par la suite, il collecta des fonds pour les familles des personnes arrêtées.
En février 1943, Pierre entreprit ce qui fut peut-être sa mission la plus audacieuse. Sous une fausse identité, il traversa l’Allemagne nazie jusqu’en Silésie pour livrer plus de 1.000 kilos de vivres aux Luxembourgeois déportés et détenus au camp de Boberstein. Le gouvernement polonais le décora par la suite pour son action humanitaire.
Mais les risques étaient constants. En avril 1943, son nom figurant sur la liste des personnes recherchées par la Gestapo pour activités anti-allemandes et arrestation immédiate, Pierre fut contraint de fuir en Belgique, où il poursuivit ses activités depuis l’autre côté de la frontière. Recruté par le Luxembourgeois Jules Dominique, chef de la Brigade du Lion Rouge, Pierre rejoignit officiellement la Résistance belge le 15 mai 1943 au sein des Insoumis.
En 1944, il fut persuadé de prendre la tête d’un maquis, une unité de guérilla forestière composée de 20 à 30 Luxembourgeois, dissimulée dans les bois denses près de Lavacherie. Formé au maniement des explosifs par le Special Operations Executive britannique, Pierre et son unité menèrent des missions de sabotage visant à perturber les mouvements de troupes et l’approvisionnement allemands avant et pendant le débarquement allié.

Dominique décrivit plus tard Pierre aux autorités belges comme “un excellent guide d’évasion et un résistant” qui avait mené à plusieurs reprises des attaques armées audacieuses contre des convois, des lignes de chemin de fer et des voies de communication près de Bande et d’Amberloup pour contribuer directement à la campagne des Alliés et à la libération.
Pierre et son réseau ont contribué à ramener sains et saufs neuf pilotes alliés abattus. En juin 1944, avec d’autres membres du LPL, Pierre rencontra deux pilotes britanniques et un pilote canadien à la frontière belgo-luxembourgeoise. Il leur fournit de fausses identités et de l’argent avant de les confier au Maquis du Lion Rouge. Une photographie de groupe (ci-dessous) immortalise l’arrivée de ces hommes – aviateurs, résistants, réfugiés – sains et saufs à la gare de Limerlé, pour la suite de leur périple.
Après la libération du Luxembourg en septembre 1944, Pierre rentra brièvement chez lui. Cependant, la contre-offensive allemande de décembre le contraignit à fuir de nouveau. Il apporta son aide au Corps de contre-espionnage américain (CIC) en guidant des réfugiés luxembourgeois vers la Belgique et en les aidant à obtenir les documents nécessaires pour rentrer une fois le front stabilisé.
Après la guerre, il se consacra à l’aide aux réfugiés, devenant une figure clé des centres de soutien civils et militaires.
Il participa également à l’identification et à l’arrestation des collaborateurs, un travail rendu plus personnel par le souvenir de ses proches amis Aloyse Kremer et Ernest Delosch, tous deux arrêtés, torturés par la Gestapo et exécutés pour leurs activités liées à la filière d’évasion.
Des prix et des distinctions ont été décernés par le Luxembourg, la Belgique, la France, la Pologne, le Commonwealth et les États-Unis, dont un certificat signé par le général Eisenhower.
Cependant, le plus grand témoignage de l’héritage de Pierre Schon reste les vies qu’il a sauvées et le courage dont il a fait preuve, mettant constamment sa propre vie en danger pendant plus de quatre ans pour aider les autres.

Pour découvrir son histoire complète, rendez-vous sur www.pierre-schon.lu (en anglais, français, luxembourgeois et allemand). Un livre est également disponible sur Amazon.
Sue a grandi en Angleterre et, après ses études, a passé trois ans en Allemagne et 26 ans en Belgique avant de s’installer au Luxembourg en 2009 avec son compagnon, François Schon, le fils de Pierre. Passionnée d’histoire depuis toujours, elle a entrepris des recherches et documenté l’histoire de Pierre après le 80e anniversaire de la Libération, déterminée à préserver ces récits et à honorer les sacrifices consentis pour la liberté.
Sue se souvient avoir entendu ses parents parler des raids aériens et des pénuries alimentaires pendant la guerre, alors même que le Royaume-Uni restait libre. Grâce à ses recherches, elle a pris conscience de l’incroyable dureté de la vie sous l’occupation nazie. L’histoire de Pierre n’est qu’une parmi des centaines d’autres qui restent à raconter. Sue encourage les descendants des héros de la Résistance à exhumer et à transmettre ces récits, et à les partager avec le Musée de la Résistance, un lieu essentiel pour préserver cet héritage.