Seconde guerre mondialeL'histoire d'un vrai héros luxembourgeois : Pierre Schon

Sue Hewitt
traduit pour RTL Infos
À seulement 25 ans, le jeune Pierre Schon a transformé la ferme familiale du nord du Luxembourg occupé en un centre de résistance, aidant des centaines de personnes à échapper au joug nazi. Et ce n'était que le début de sa périlleuse bataille contre l'envahisseur.
Pierre (far right) bringing escapees over the border to Belgium in 1943 after spending the night in a barn.
Pierre (tout à droite) faisant passer des fugitifs par la frontière vers la Belgique en 1943 après avoir passé la nuit dans une grange.
© Ligue luxembourgeoise des prisonniers politiques et des déportés (LPPD)

Dans les collines du nord du Luxembourg, loin des lignes de front mais au cœur du territoire occupé, un jeune agriculteur devint l’une des figures les plus audacieuses de la Résistance. Pierre Schon, âgé de seulement 25 ans lors de l’invasion nazie, vivait dans le petit village de Doennange, près de Clervaux. Il travaillait à la ferme familiale et, presque aussitôt, s’engagea pour une cause bien plus grande.

Pierre a rejoint le mois même de sa création la Ligue patriotique luxembourgeoise (LPL) Nord, un groupe de résistance créé en novembre 1940. Dès lors et jusqu’à la fin de la guerre, il a œuvré comme chef de groupe, officier de liaison pour le renseignement et guide d’évasion, conduisant plus d’une centaine de personnes vers la liberté à travers le dangereux territoire de l’Europe occupée par les nazis.

Une ferme transformée en centre de résistance

La maison de la famille Schon devint à la fois un lieu de rencontre et un refuge. Des résistants comme Raymond Petit y trouvèrent abri, ainsi que des prisonniers de guerre français évadés, des aviateurs alliés abattus et de jeunes Luxembourgeois cherchant désespérément à échapper à la conscription dans l’armée allemande. Pierre et d’autres membres de la LPL aménagèrent des cachettes secrètes dans les bois entre Doennange et Weicherdange, où les évadés attendaient d’être escortés vers la Belgique par les sentiers forestiers, à la faveur de la nuit.

Des traversées nocturnes et un réseau de confiance

La voie d’évasion reliait Doennange aux villages belges de Buret et Tavigny, puis à de petites villes desservies par le train comme Limerlé-Retigny et Bourcy. Pierre travaillait en étroite collaboration avec ses collègues guides Ernest Delosch et Aloyse Kremer, organisant des planques et coordonnant les transferts vers des familles belges.

Son réseau belge s’est avéré indispensable. Des familles comme celle de Jean Boever, près de Marloie, ont nourri, vêtu et hébergé les fugitifs, allant jusqu’à découper leurs nappes pour leur confectionner des chemises. Boever a mis en place un réseau d’autres familles courageuses de la région qui ont également caché de nombreux fugitifs. René Nicolay, chef de la gendarmerie des Marches, a fourni de faux papiers d’identité et des cartes de travail, ainsi que de la nourriture et de l’argent. Grâce à cette collaboration transfrontalière, des centaines de vies ont été sauvées.

June 1944. Photo from left to right the two Kremer brothers Eugène and Aloyse (LPL) with Pierre Schon (LPL), Edgar Michaud (Canadian airman), Pierre Kergen (LPL), Ferd Hansen (refugee from Clervaux), Alan Best (British airman), Ronald Dawson (British airman), and Batty Mutsch (LPL). The group had just arrived from Luxembourg to Limerlé station in Belgium.
Juin 1944. Sur la photo, de gauche à droite : les frères Kremer, Eugène et Aloyse (LPL), avec Pierre Schon (LPL), Edgar Michaud (aviateur canadien), Pierre Kergen (LPL), Ferd Hansen (réfugié de Clervaux), Alan Best (aviateur britannique), Ronald Dawson (aviateur britannique) et Batty Mutsch (LPL). Le groupe venait d’arriver du Luxembourg à la base de Limerlé, en Belgique.
© National Museum of the Resistance and Human Rights

Un maître des fausses identités

Pierre possédait les outils et le savoir-faire nécessaires pour falsifier lui-même des papiers d’identité. Il disposait de cachets municipaux originaux de France et de Belgique. Il a fourni certains de ces faux documents pour aider des déportées juives à s’évader du camp conventuel de Cinqfontaines, dans le but de les conduire en Belgique.

Les fausses identités permettaient également aux résistants de circuler dans la région sans être repérés. Un grand nombre de fausses cartes d’identité étaient produites en coordination avec des contacts au sein de la résistance belge, un système qui prit de l’importance au fil du conflit.

Des tracts de contrebande, pas seulement des personnes

Lors du référendum forcé nazi d’octobre 1941, la « Personenstandsaufnahme », il participa à la distribution de tracts anti-référendaires imprimés à Bruxelles et organisés par Alphonse Rodesch, cofondateur de la LPL. Diffusés par des membres comme Pierre, ces tracts contribuèrent au rejet massif par le Luxembourg du plan allemand d’annexion du pays. Il joua un rôle similaire lors de la grève générale d’août 1942, en faisant passer clandestinement des tracts à travers la frontière et en aidant à leur distribution avec d’autres groupes de résistance. Par la suite, il collecta des fonds pour les familles des personnes arrêtées.

Un voyage audacieux à travers l’Allemagne nazie

En février 1943, Pierre entreprit ce qui fut peut-être sa mission la plus audacieuse. Sous une fausse identité, il traversa l’Allemagne nazie jusqu’en Silésie pour livrer plus de 1.000 kilos de vivres aux Luxembourgeois déportés et détenus au camp de Boberstein. Le gouvernement polonais le décora par la suite pour son action humanitaire.

Rejoindre la résistance belge

Mais les risques étaient constants. En avril 1943, son nom figurant sur la liste des personnes recherchées par la Gestapo pour activités anti-allemandes et arrestation immédiate, Pierre fut contraint de fuir en Belgique, où il poursuivit ses activités depuis l’autre côté de la frontière. Recruté par le Luxembourgeois Jules Dominique, chef de la Brigade du Lion Rouge, Pierre rejoignit officiellement la Résistance belge le 15 mai 1943 au sein des Insoumis.

En 1944, il fut persuadé de prendre la tête d’un maquis, une unité de guérilla forestière composée de 20 à 30 Luxembourgeois, dissimulée dans les bois denses près de Lavacherie. Formé au maniement des explosifs par le Special Operations Executive britannique, Pierre et son unité menèrent des missions de sabotage visant à perturber les mouvements de troupes et l’approvisionnement allemands avant et pendant le débarquement allié.

August 1945 Pierre and his freedom fighters from the Maquis (forest camp) return to Marloie to thank the Belgians for all their precious help during the war. Pierre second row third from left.
Août 1945. Pierre et ses compagnons du maquis retournent à Marloie pour remercier les Belges de leur précieuse aide pendant la guerre. Pierre, deuxième rangée, troisième en partant de la gauche.
© Néckel Kremer d’après son livre « Erennerungen un Deemols » de 1994

Dominique décrivit plus tard Pierre aux autorités belges comme “un excellent guide d’évasion et un résistant” qui avait mené à plusieurs reprises des attaques armées audacieuses contre des convois, des lignes de chemin de fer et des voies de communication près de Bande et d’Amberloup pour contribuer directement à la campagne des Alliés et à la libération.

Guider les pilotes vers la sécurité

Pierre et son réseau ont contribué à ramener sains et saufs neuf pilotes alliés abattus. En juin 1944, avec d’autres membres du LPL, Pierre rencontra deux pilotes britanniques et un pilote canadien à la frontière belgo-luxembourgeoise. Il leur fournit de fausses identités et de l’argent avant de les confier au Maquis du Lion Rouge. Une photographie de groupe (ci-dessous) immortalise l’arrivée de ces hommes – aviateurs, résistants, réfugiés – sains et saufs à la gare de Limerlé, pour la suite de leur périple.

La guerre est finie, et je continue d’aider les autres.

Après la libération du Luxembourg en septembre 1944, Pierre rentra brièvement chez lui. Cependant, la contre-offensive allemande de décembre le contraignit à fuir de nouveau. Il apporta son aide au Corps de contre-espionnage américain (CIC) en guidant des réfugiés luxembourgeois vers la Belgique et en les aidant à obtenir les documents nécessaires pour rentrer une fois le front stabilisé.

Après la guerre, il se consacra à l’aide aux réfugiés, devenant une figure clé des centres de soutien civils et militaires.

Il participa également à l’identification et à l’arrestation des collaborateurs, un travail rendu plus personnel par le souvenir de ses proches amis Aloyse Kremer et Ernest Delosch, tous deux arrêtés, torturés par la Gestapo et exécutés pour leurs activités liées à la filière d’évasion.

Des prix et des distinctions ont été décernés par le Luxembourg, la Belgique, la France, la Pologne, le Commonwealth et les États-Unis, dont un certificat signé par le général Eisenhower.

Cependant, le plus grand témoignage de l’héritage de Pierre Schon reste les vies qu’il a sauvées et le courage dont il a fait preuve, mettant constamment sa propre vie en danger pendant plus de quatre ans pour aider les autres.

© © Neckel Kremer d’après son livre de 1994 « Erennerungen un Deemols »

Pour découvrir son histoire complète, rendez-vous sur www.pierre-schon.lu (en anglais, français, luxembourgeois et allemand). Un livre est également disponible sur Amazon.

À propos de l’auteur

Sue a grandi en Angleterre et, après ses études, a passé trois ans en Allemagne et 26 ans en Belgique avant de s’installer au Luxembourg en 2009 avec son compagnon, François Schon, le fils de Pierre. Passionnée d’histoire depuis toujours, elle a entrepris des recherches et documenté l’histoire de Pierre après le 80e anniversaire de la Libération, déterminée à préserver ces récits et à honorer les sacrifices consentis pour la liberté.

Sue se souvient avoir entendu ses parents parler des raids aériens et des pénuries alimentaires pendant la guerre, alors même que le Royaume-Uni restait libre. Grâce à ses recherches, elle a pris conscience de l’incroyable dureté de la vie sous l’occupation nazie. L’histoire de Pierre n’est qu’une parmi des centaines d’autres qui restent à raconter. Sue encourage les descendants des héros de la Résistance à exhumer et à transmettre ces récits, et à les partager avec le Musée de la Résistance, un lieu essentiel pour préserver cet héritage.

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