"De 110 à 0 en quelques secondes"Freinage fantôme : faut-il désactiver les aides à la conduite?

Romain Van Dyck
Après les airbags défectueux, les voitures folles ? Les cas de freinage fantôme (la voiture freine toute seule sans raison) se multiplient. Des constructeurs conseillent même de désactiver les aides à la conduite dans certains cas. Faut-il céder à la psychose? Des professionnels au Luxembourg et à la frontière se montrent plutôt rassurants.
En avril dernier en France, cette automobiliste a été victime d’un freinage fantôme. Depuis, la polémique prend de l’ampleur.
© Joanna Peyrache

Vous roulez tranquillement. Soudain, votre voiture freine brutalement, sans intervention de votre part, ni raison particulière. Si un véhicule vous colle d’un peu trop près, les conséquences peuvent être dramatiques.

C’est ce qui est arrivé à Joanna Peyrache , dont la Peugeot 208 a été violemment emboutie sur l’A40 dans l’Ain. Un cas de “freinage fantôme” isolé? Il semblerait que non. Depuis la médiatisation de son affaire, Joanna a reçu près de 700 récits de conducteurs affirmant avoir connu des incidents similaires.

Sur le groupe Facebook « Collectif freinages fantômes automobiles », ouvert en août, 400 personnes qui se disent victime de ce dysfonctionnement ont répondu à un questionnaire. Il en ressort que toutes les marques sont concernées. L’incident peut arriver à n’importe quelle vitesse et engendrer l’arrêt total du véhicule.

J’ai des freinages fantômes régulièrement en mode régulateur adaptatif” écrit un internaute sur ce groupe facebook. " Un autre écrit : “Passage de 110 à 0 en quelques secondes sur la voie du milieu. Aucun avertissement avant le freinage. Aucun moyen de reprendre le contrôle. Si les véhicules derrière nous ne nous évitent pas, on est morts...”

Depuis 2022, les systèmes avancés d’aides à la conduite (ou Adas) sont obligatoires sur les véhicules neufs : freinage automatique d’urgence, alerte de franchissement de ligne, l’antiblocage des roues… Des aides qui fonctionnent, et qui ont évité quantité de drames sur les routes. Mais sont-ils infaillibles pour autant ?

Bon à savoir : parfois, il est conseillé de désactiver les aides à la conduite

Le souci ne date pas d’hier. En 2022 aux USA, la National Highway Traffic Safety Administration lançait une enquête après avoir enregistré 354 plaintes concernant des freinages inopinés de modèles Tesla. Cette année en France, le ministère des Transports a diligenté une enquête et propose aux citoyens de signaler des “freinages intempestifs”. Dans de rares cas, les accidents ont été mortels, sans que les causes soient catégoriquement établies, faute d’expertises probantes.

Résultats, les spéculations vont bon train. Des experts pointent “un mauvais calibrage du système, après un choc par exemple”, comme cause la plus fréquente. “La piste du changement de pare-brise est également évoquée, comme celles d’erreurs logicielles (mauvaise mise à jour, interférence avec d’autres systèmes d’aide à la conduite). Enfin, le dispositif des capteurs et des caméras embarquées figure également sur la liste des suspects” rapporte le Figaro.

Les constructeurs, eux, tentent d’éteindre l’incendie. Par exemple Volkswagen indique que “la technologie n’est qu’un outil qui vient compléter, et non remplacer, la vigilance du conducteur”. De son côté, Renault détaille ce qui peut perturber un système, voire créer un « faux positif » (c’est-à-dire la détection d’un obstacle alors qu’il n’existe pas) : un environnement complexe, une météo difficile, une mauvaise visibilité, un éblouissement, une chaussée dégradée, etc. La marque au Losange conseille même leur désactivation lorsque les conditions d’utilisation ne sont pas réunies.

Un dépanneur à la frontière : “on n’a pas eu de cas avérés de freinage fantôme”

RTL Infos a contacté le garage St Christophe, un des plus gros dépanneurs à la frontière française (avec des sites sur Villerupt, Havange, Thionville, Mexy). Il réalise près de 22.000 interventions par an. Et pourtant Benjamin, un responsable du garage, est formel : “à ma connaissance, on n’a pas eu de cas avérés de freinage fantôme, où le véhicule a freiné vraiment sans raison”.

En revanche, il se souvient d’un accident où les systèmes d’aides à la conduite ont “surréagi” : “c’était sur la RN52, au niveau de Cosnes-et-Romain. Un poids-lourd était chargé avec un élément de presse de 14 tonnes à l’arrière. Et un véhicule lui a fait soudain une queue de poisson pour prendre une sortie devant lui. Ça a déclenché l’aide au freinage d’urgence, et la pièce de 14 tonnes, qui était pourtant bien sanglée, n’a pas résisté et a fini dans la cabine du camion.” Le chauffeur s’en est miraculeusement sorti, mais c’était un cas de “déclenchement intempestif, car même s’il y avait un danger, le chauffeur n’aurait sûrement pas freiné aussi fort”.

Pour Benjamin, “le problème qu’il y a aujourd’hui, c’est qu’on a la confrontation entre ces voitures qui sont équipées avec l’AFU [aide au freinage d’urgence], et les véhicules ancienne génération qui ne l’ont pas, et qui sont donc moins réactifs, et ça fait des petits carambolages à 3-4 voitures.

Mais il admet aussi que ces systèmes d’aides ont leurs limites : “une simple feuille d’arbre sur le capteur à l’avant peut théoriquement déclencher le freinage d’urgence. Et on a souvent des messages d’alerte ou de défaut du capteur lorsqu’il y a de la neige ou du givre sur le capteur”.

Un bureau d’expertise au Luxembourg : “Il faudra prouver qui est responsable, le capteur ou le conducteur

Patrick, membre d’un cabinet d’expertise automobile au Luxembourg, confirme que les capteurs peuvent se tromper : “Si vous avez une feuille qui vient se coller sur le radar, l’ordinateur peut déclencher un gros freinage. Pareil si vous avez un sac plastique, ou de la neige. Les constructeurs font des progrès, mais à un moment donné, ça reste un capteur. Donc on dit aux gens qu’il faut déneiger leur pare-brise, mais il faudrait aussi le faire avec le capteur. " Heureusement, “généralement, si ces systèmes présentent un dysfonctionnement, vous avez un message d’alerte sur le tableau de bord”.

Il confirme aussi la rareté des cas de freinage fantôme : “Ici au Grand-Duché, c’est très marginal par rapport à la polémique qui se déclenche en France. Dans notre bureau d’expertise en tout cas, on n’a eu aucun cas. Et avec les confrères avec qui j’en ai parlé, ça reste vraiment une goutte d’eau dans l’océan.

Des experts plaident pour davantage de vérifications (révisions, contrôle technique) des systèmes d’aide à la conduite.
© Shutterstock

Bon courage donc pour les automobilistes qui veulent prouver que leur voiture a freiné toute seule : “Il faut juste espérer que l’ordinateur de bord enregistre tous les paramètres et qu’on peut aller les relever après l’accident. Ça permet de déterminer par exemple si c’est le radar de distance qui a commandé le freinage, ou bien si on a détecté une pression sur la pédale de frein.

Finalement, toute cette polémique lui en rappelle une autre: “C’est un peu le même processus que lorsqu’on parlait il y a quelques années des fameux régulateurs de vitesse qui restaient bloqués. Il y avait eu des centaines de cas déclarés. Et puis la montagne a accouché d’une souris. Il n’y a pas eu des milliers de voitures rappelées” affirme-t-il.

Bref, beaucoup de plaintes pour peu de preuves? Si la balance bénéfice/risque penche incontestablement du côté de l’utilisation de ces systèmes d’aides à la conduite, certains plaident pour un principe de précaution. Dommage que ces systèmes dédiés à la sécurité des automobilistes “ne soient pas vérifiés durant les révisions, ni même lors du passage au contrôle techniqueécrit ainsi Que Choisir. “Les autorités devraient établir un cadre réglementaire afin de s’assurer du bon fonctionnement des systèmes d’aides à la conduite tout au long de la vie d’un véhicule”.

Vous avez été vous-même victime d’un freinage fantôme ? Vous pouvez nous contacter par mail (romain.vandyck@rtl.com) si vous souhaitez témoigner.

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