Le multilinguisme dès la petite enfance est une richesse… mais aussi un défi pour les nouveaux arrivants. Voici ce qu'il faut savoir.

En juin 2023, le Service national de la jeunesse (SNJ) a publié une enquête révélant qu’au Luxembourg, les enfants de moins de quatre ans grandissent dans un environnement linguistique à la fois riche et diversifié : pas moins de 124 langues sont parlées dans les foyers du pays. Pour les parents non luxembourgeois qui préparent leurs jeunes enfants à intégrer une école maternelle multilingue, il est essentiel de comprendre comment les enfants acquièrent les langues et comment les services éducatifs soutiennent ce processus. Cela permet de garantir une transition en douceur et une intégration réussie dans le système scolaire.

L'acquisition du langage chez les jeunes enfants : avis d'experts

RTL Today s’est entretenu avec Sonja Ugen, chercheuse scientifique, et Linda Romanovska, chercheuse postdoctorale au Centre luxembourgeois pour l’évaluation scolaire (LUCET). Toutes deux soulignent qu’il n’existe pas d’âge "idéal" unique pour apprendre une langue, mais que les jeunes enfants disposent généralement de capacités remarquables en matière d’acquisition linguistique. Selon elles, plusieurs facteurs influencent la facilité avec laquelle un enfant apprend une nouvelle langue :

  • Le temps d’exposition, c’est-à-dire depuis quand l’enfant est en contact avec la langue (dès la naissance ou plus tard) ;

  • La distance linguistique entre les langues connues et la nouvelle langue (proximité au niveau du vocabulaire, de la grammaire ou du système d’écriture) ;

  • La qualité de l’exposition, qui dépend de la fréquence et de la durée de l’écoute, ainsi que des interactions régulières avec des locuteurs natifs ou non natifs.

Quelques conseils pour les parents ne parlant pas le luxembourgeois

Selon l’âge de l’enfant au moment de son arrivée au Luxembourg, les parents peuvent prendre différentes mesures pour faciliter son intégration dans un environnement multilingue :

  • Cours de langue : Inscrire l’enfant à des cours de la langue d’enseignement principale peut l’aider à gagner en confiance et à mieux s’intégrer dans son nouvel environnement scolaire.

  • Activités extrascolaires : Participer à des activités sportives, musicales, artistiques ou ludiques permet à l’enfant d’être exposé aux langues dans un cadre social et détendu, favorisant une acquisition naturelle.

  • Médias adaptés : Regarder des dessins animés, des films pour enfants ou écouter de la musique dans les langues du pays permet de se familiariser avec les sons, le rythme et le vocabulaire de manière ludique.

  • Expliquer le multilinguisme : Il est utile d’expliquer aux enfants que le Luxembourg est un pays multilingue, où il est courant d’entendre plusieurs langues. Leur faire comprendre que chacun peut utiliser différentes langues selon le contexte ou l’interlocuteur contribue à normaliser cette réalité et à réduire l’anxiété liée à l’incompréhension initiale.

  • Phrases de base : Apprendre quelques expressions simples dans les langues officielles – comme "Je ne comprends pas", "Peux-tu m’aider ? " –  permet à l’enfant d’exprimer ses besoins et de participer activement, même en cas de barrière linguistique.

La diversité linguistique chez les enfants au Luxembourg

L’enquête menée en 2023 par le Service national de la jeunesse a mis en lumière une remarquable diversité linguistique chez les enfants de moins de quatre ans au Luxembourg. Deux tiers des enfants grandissent dans un environnement multilingue – un reflet du caractère profondément plurilingue des familles au Luxembourg.

Malgré cette diversité, la majorité des enfants de 0 à 4 ans sont exposés quotidiennement au luxembourgeois, qui joue un rôle clé en tant que langue commune facilitant la communication entre enfants de langues maternelles différentes.

La reconnaissance et le soutien des langues parlées tant au sein des familles que dans les structures éducatives permettent aux enfants de tirer pleinement parti des nombreux bénéfices du multilinguisme : une plus grande ouverture à la diversité, le développement de l’empathie, une meilleure capacité d’adaptation, ainsi que des atouts cognitifs, sociaux, linguistiques et économiques à long terme.

Comment les services d'éducation et d'accueil favorisent le développement multilingue

En 2017, le Luxembourg a introduit une réforme axée sur le plurilinguisme, notamment dans les structures d’éducation et d’accueil pour jeunes enfants (EAJE). Cette réforme, baptisée "Éducation plurilingue", vise à renforcer la diversité linguistique et à développer les compétences linguistiques des enfants dès leur plus jeune âge.

Le programme s’adresse aux enfants de 1 à 4 ans et est mis en œuvre dans les structures d’accueil agréées. Il encourage l’acquisition du langage et des compétences en communication, tout en tenant compte des besoins et capacités individuels de chaque enfant. Les enfants sont initiés très tôt au luxembourgeois et au français, tout en valorisant leur langue maternelle, qui reste un pilier essentiel de leur développement personnel. Cette approche inclusive favorise leur intégration sociale et facilite la transition vers l’enseignement fondamental.

L’éducation plurilingue au sein des EAJE repose sur plusieurs principes clés :

  • Familiarisation avec le luxembourgeois et le français :
    Le luxembourgeois joue un rôle central dans l’intégration. Une exposition précoce donne aux enfants non-luxembourgeois plus de temps pour se familiariser avec la langue, ce qui les prépare à l’apprentissage de l’allemand à l’école. En parallèle, une exposition ludique et naturelle au français dès la petite enfance facilite son acquisition, surtout pour les enfants qui ne le parlent pas à la maison.

  • Valorisation des langues maternelles :
    Reconnaître et valoriser les langues parlées à la maison est essentiel pour le bien-être social et émotionnel des enfants, et cela constitue une base solide pour le développement de toutes les autres compétences linguistiques.

  • Partenariat éducatif avec les parents :
    Une collaboration étroite avec les familles soutient efficacement le développement linguistique de l’enfant.

  • Mise en réseau avec l’environnement social, culturel et éducatif :
    Une coordination fluide entre les familles, les services d’accueil, les écoles et d’autres structures de soutien garantit une continuité éducative essentielle au bon développement de l’enfant.

  • Approche pédagogique cohérente :
    Chaque EAJE doit décrire précisément, dans son cadre pédagogique, comment l’éducation plurilingue est appliquée au quotidien.

  • Compétences linguistiques du personnel encadrant :
    Les structures veillent à ce qu’une partie de leur personnel maîtrise le luxembourgeois et le français à un niveau élevé, les deux langues prioritaires dans le programme.

  • Contrôle externe de la qualité :
    Des agents régionaux du Service national de la jeunesse (SNJ) accompagnent et évaluent régulièrement la mise en œuvre du programme plurilingue et le respect des normes du cadre national pour l’éducation non formelle.

Taux de participation à l’éducation et à l’accueil des jeunes enfants au Luxembourg

Selon le rapport 2023 du LUCET intitulé "Éducation et accueil des jeunes enfants au Luxembourg : fréquentation et liens avec les performances en matière d’apprentissage précoce", le Luxembourg enregistre des taux de participation élevés aux services d’éducation et d’accueil de la petite enfance.

D’après les données les plus récentes de 2021, 53 % des parents ont indiqué que leurs enfants entrant en première année d’école fondamentale avaient fréquenté à la fois une crèche et une structure précoce (école maternelle volontaire) au cours des années précédentes. Par ailleurs, 29 % des enfants avaient fréquenté uniquement une crèche, et 17 % uniquement une précoce. Moins de 1 % des enfants n’avaient participé à aucune forme d’EAJE.

Les tendances de fréquentation étaient comparables entre les familles d’origine luxembourgeoise et les enfants nés au Luxembourg de parents immigrés. En revanche, les familles de première génération étaient 19 % plus susceptibles de choisir uniquement la crèche, et moins enclines à inscrire leurs enfants à la précoce. Cette différence pourrait s’expliquer par la diversité linguistique plus marquée dans ces familles, ainsi que par les horaires plus flexibles généralement proposés par les crèches – des caractéristiques qui répondent mieux aux besoins des familles récemment arrivées au Luxembourg.

Impact de la fréquentation de l’éducation préscolaire sur les résultats au cycle 2.1

Le rapport met également en évidence un lien clair entre la fréquentation des structures d’éducation préscolaire – telles que la crèche, la précoce et le cycle 1 – et de meilleures performances scolaires au cycle 2.1. Les enfants ayant fréquenté à la fois une crèche et une structure précoce présentent de légères améliorations en compréhension orale en luxembourgeois, en lecture précoce et en mathématiques, comparés à ceux n’ayant fréquenté qu’un seul de ces cycles.

Même le fait d’avoir fréquenté uniquement la précoce (plutôt que seulement la crèche) est associé à des résultats supérieurs dans ces trois domaines. La différence la plus significative est observée entre les enfants n’ayant fréquenté aucune structure préscolaire et ceux ayant été inscrits uniquement en crèche : ces derniers obtiennent des résultats nettement meilleurs en compréhension orale du luxembourgeois.