Depuis les élections législatives anticipées de juin 2024, la France assiste à un phénomène inédit: les plus aisés de ses citoyens transfèrent massivement leurs capitaux vers la Suisse et le Luxembourg.

Une tendance confirmée par les gestionnaires de patrimoine et les banquiers, qui observent une accélération sans précédent des flux financiers hors de l’Hexagone, comme le révèle le Financial Times.

Un climat politique et économique incertain

Avec un Parlement sans majorité absolue, les gouvernements se succèdent à un rythme effréné, plongeant le pays dans une double crise : politique et économique. Résultat, boucler le budget devient un casse-tête. Vendredi 16 octobre 2025, l’agence de notation S&P a dégradé la note de la France à A+, jugeant que la réduction du déficit sera plus lente que prévu, faute de mesures fortes.

Pendant ce temps, le projet de budget 2026 de Sébastien Lecornu prévoit de nouvelles taxes sur les hauts revenus, les grands patrimoines et les bénéfices des très grandes entreprises.

"La majorité des actifs que nous gérons ne sont plus en France, mais partent vers des contrats d’assurance-vie au Luxembourg. Le mouvement s’accélère", confie Guillaume Lucchini, fondateur de Scala Patrimoine, un cabinet parisien spécialisé.

L’assurance-vie, produit d’épargne plébiscité, offre des avantages fiscaux après huit ans de détention, aussi bien en France qu’au Luxembourg. En 2024, les investissements des Français au Grand-Duché ont bondi de 58%, atteignant 13,8 milliards d’euros, un record selon les autorités locales. Et la tendance se confirme en 2025: "en juin dernier, les demandes d’informations sur le Luxembourg ont doublé. À chaque nouvelle secousse politique, les requêtes explosent", souligne Benjamin Le Maitre, cofondateur du family office Avant-Garde, dans une interview accordée au magazine Le Point.

La Suisse, de son côté, attire à nouveau les fortunes françaises. "Un montant colossal de capitaux part vers la Suisse", constate Guillaume Lucchini, dont la clientèle compte des sportifs et des entrepreneurs.

Philippe Kenel, avocat suisse spécialisé en fiscalité, observe un retour en force de ce phénomène: "Entre 1980 et 2010, beaucoup de Français ont émigré en Suisse. Avec l’élection de Macron en 2017, le mouvement s’était ralenti. Aujourd’hui, il repart de plus belle".

L’élection présidentielle de 2027, nouvelle source d’inquiétude

Les plus fortunés redoutent désormais l’issue du scrutin de 2027. Quelle sera la politique fiscale du prochain locataire de l’Élysée ? Un banquier suisse raconte: "Il y a un an et demi, un couple octogénaire français m’a confié vouloir placer 20 % de ses actifs en Suisse, par crainte d’un retour des socialistes. Ils sont revenus récemment pour en transférer davantage, cette fois par peur de l’extrême droite".

Un exode qui s’automatise: "les flux vers le Luxembourg n’ont jamais cessé depuis les élections de l’an dernier, et les courtiers n’ont même plus besoin de démarcher: les clients affluent d’eux-mêmes", résume Olivier Roumélian, avocat fiscaliste. Face à l’instabilité, les fortunes françaises votent avec leurs pieds – et leurs portefeuilles.