
© Macbook Pro Unsplash/ Igor Miske
Fausses marques, visages créées par l'IA, fausses boutiques en ligne "made in Luxembourg": des experts nous expliquent comment repérer les arnaques en ligne.
Marie Bijouen, une marque de bijoux dite "Made in Luxembourg", ferme ses portes après 27 ans d'activité. Ses publicités sur les réseaux sociaux promettent des remises et des prix bas, mais il y a un hic : Marie n'existe pas.
Elle est générée par une intelligence artificielle, ses images se retrouvent sur plusieurs autres sites web, dont un lié à une entreprise de Hong Kong, et ses bijoux, quant à eux, sont disponibles sur AliExpress pour une fraction du prix.
Ce cas n’est pas isolé : des boutiques en ligne similaires ont déjà fait leur apparition au Luxembourg. Un magasin appelé Jean Weis revendiquait une liquidation totale avec de fortes remises, tout en utilisant des images générées par l’IA des soi-disant propriétaires.
Nos collègues d’RTL Today ont mené une enquête sur ces boutiques en ligne alimentées par l’IA, explorant les implications juridiques et les moyens de se protéger face à ce phénomène.
Marie, Mary, Emily, Leili, et Keiko
Un indice sur l’origine de Marie Bijouen et de ces sites en général vient du nom d’une des photos trouvées sur le site, censée montrer Marie elle-même. Une recherche inversée d’image a révélé des photos similaires sur des sites vendant les mêmes produits sous d’autres noms et dans d’autres langues.
Marie devient ainsi Emily au Royaume-Uni et aux États-Unis, Leili en Estonie, et Keiko au Japon. Des avis laissés sur Trustpilot pour la page en anglais, celle d’Emily Jewels, évoquent une opération prétendument basée sur le dropshipping. Les clients signalent avoir reçu des bijoux qui se sont ternis après quelques utilisations, ainsi que des problèmes avec les douanes et des politiques de retour difficiles.
Le dropshipping consiste à vendre des produits que l’on ne stocke pas soi-même, mais dont la livraison est assurée par un tiers. Bien que cette pratique soit légale au sein de l’Union européenne, elle est soumise aux mêmes régulations européennes que celles applicables à tout autre commerçant.
La directive sur les pratiques commerciales déloyales (DPCD), transposée au Luxembourg par le Code de la consommation, établit un cadre de protection que ces sites, en particulier, semblent enfreindre.
Ce qui distingue ces sites des systèmes traditionnels de dropshipping, c’est leur forte dépendance aux outils d’intelligence artificielle. Ces technologies permettent de toucher des audiences plus ciblées grâce à du contenu sur mesure. Il n’est désormais plus nécessaire de rechercher des images d’archives ou de copier des identités réelles.
Protection et déception
Les marchands au sein de l’Union européenne doivent clairement divulguer leurs informations de contact ainsi que les détails concernant la livraison. Ils doivent fournir aux consommateurs suffisamment d’informations pour qu’ils puissent effectuer leurs achats de manière éclairée et diligente.
La fausse information sur un produit, sa qualité ou son origine, ainsi que les tactiques marketing trompeuses, sont interdites selon la directive sur les pratiques commerciales déloyales (UCPD).
Patrick Wildgen, responsable du service "enforcement" à la direction de la protection des consommateurs, explique qu’en principe : "Peu importe d’où provient ou est expédié un produit, ce qui importe, c’est que les informations communiquées soient exactes." Il ajoute : "Les règles déjà en vigueur, notamment celles qui s’appliquent aux professionnels, stipulent que nul n’a le droit de tromper autrui sur son identité réelle."
Il ne s’agit pas seulement d’un manque de transparence de la part des dropshippers concernant leur activité et l’origine de leurs produits, mais aussi d’une tromperie alimentée par l’intelligence artificielle.
Bien qu’il n’existe pas encore de règles spécifiques concernant l’utilisation d’images générées par l’IA dans le marketing, les mêmes règles de protection des consommateurs s’appliquent. L’usage de contenus synthétiques pour tromper les acheteurs constitue une tromperie, explique M. Wildgen.
"Cela est naturellement considéré comme une tromperie au sens du Code de la consommation, et c’est interdit. Cela signifie que le consommateur a toujours le droit de savoir à quel professionnel il a affaire", déclare-t-il. "Si quelqu’un induit une personne en erreur dans le cadre d’une transaction commerciale ou pour lui vendre quelque chose sous de faux prétextes, cela est déjà illégal aujourd’hui, même en l’absence de règles supplémentaires."
Hausse de plaintes
Hasard ou pas, le Réseau des Centres Européens des Consommateurs (CEC) a signalé une hausse des plaintes liées aux pratiques de dropshipping.
Les seules dispositions législatives ne suffisent pas à protéger pleinement les consommateurs. Au fur et à mesure que les images générées deviennent de plus en plus réalistes et utilisées dans ce type de pratiques, l’éducation et la sensibilisation deviennent cruciales.
Jeff Kaufman, chargé de projets auprès de Bee Secure, expose certaines protections fondamentales. Il recommande de vérifier l’ancienneté d’une URL à l’aide d’outils comme la Wayback Machine : "Souvent, ces boutiques s’avèrent assez récentes." Il conseille également de prêter une attention particulière au texte. En évoquant des modèles d’IA comme ChatGPT, il précise : "Ils sont bons en luxembourgeois, mais on remarque rapidement quand il y a des fautes."
Il recommande aussi, notamment pour les boutiques prétendant être luxembourgeoises, de vérifier le registre du commerce, où les entreprises légitimes doivent être inscrites. Une autre astuce consiste à bien lire et consulter les mentions légales du site.
Surtout, il souligne l’efficacité d’une simple recherche sur Google : "Souvent, on peut déjà trouver des indices ou des avis d’autres utilisateurs."
Patrick Wildgen souligne la difficulté de tenir ces vendeurs responsables, surtout lorsqu’ils se trouvent en dehors de l’Union européenne. Il illustre son propos avec l’exemple d’un consommateur achetant sur une plateforme américaine et se faisant arnaquer : "Vous pouvez peut-être déposer une plainte auprès de la Federal Trade Commission (FTC) aux États-Unis. Si celle-ci donne suite, tant mieux, mais sinon, vos options, et les nôtres en tant qu’autorité, sont limitées."
Il avertit également que les produits vendus via le dropshipping ne sont souvent pas conformes aux standards européens et peuvent même être dangereux. Il exhorte les clients à signaler les biens qu’ils suspectent de non-conformité auprès de l’Institut luxembourgeois de la normalisation, de l’accréditation, de la sécurité et qualité des produits et services (ILNAS).