Mener une politique du logement est un défi en soi. Une tâche d'autant plus ardue quand on ne dispose pas des données telles que le nombre de logements qui existent sur le parc immobilier luxembourgeois. Entretien avec le directeur de l'Observatoire de l'habitat, Antoine Paccoud, qui nous explique pourquoi c'est un problème de taille.
Les politiques luxembourgeois naviguent-ils à l'aveugle lorsqu'il est question de logement? C'est ce que suggèrent les révélations faites par le directeur de l'Observatoire de l'habitat, Antoine Paccoud, dans l'émission La Bulle Immo la semaine dernière. "On ne sait pas combien de logements il y a au Luxembourg, tout court", déclarait-il en réponse à une question liée aux logements vacants. "On ne sait pas grand chose, mais on parle de logement avec beaucoup de certitudes", lui répondait Michel-Edouard Ruben, économiste et auteur de plusieurs ouvrages sur la question au Grand-Duché.
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Ce lundi, nous avons demandé à celui qui coordonne l'Observatoire de l'habitat, organisme dont dépend le gouvernement et la presse pour la majorité de ses données concernant le logement, d'expliquer comment une telle situation peut être possible. Dans ses explications, le chercheur du Liser souligne l'importance du recensement de la population qui permet d'établir une estimation "un peu grossière" du nombre de logements existants au Grand-Duché. Aux dernières nouvelles, on comptait environ 250.000 logements sur le territoire luxembourgeois. Une conclusion tirée au terme d'un recensement réalisé en 2021 par le Statec dans des circonstances pour le moins compliquées. Cela avait d'ailleurs mené à un taux de réponse considéré comme "insatisfaisant", rappelle M. Paccoud.
"Il faut savoir que pour le Statec, un ménage égal un logement", souligne le directeur de l'Observatoire de l'habitat. Dans les faits, c'est bien évidemment loin d'être le cas. En veut pour preuve l'émergence ces dernières années des chambres à louer en colocation ou non. Un mode de vie qui n'a que très récemment été encadré par la loi luxembourgeoise. Et c'est aux communes de faire la distinction entre les maisons unifamiliales habitées par une famille et celles partagées en chambres. Un travail que les communes du sud, comme Esch ou Dudelange, effectuent avec diligence d'après Antoine Paccoud. Malheureusement, ce ne serait pas le cas de nombreuses autres communes dont la plus peuplée du pays: la Ville de Luxembourg.
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Un flou qui ouvre la porte "à toutes les fraudes possibles"
"Combien de logements a-t-on à Luxembourg-Ville, je pense que personne n'est capable de le dire aujourd'hui", nous confie le chercheur. Et cela pose un problème de taille lorsqu'il s'agit de taxer les propriétaires. Antoine Paccoud prend l'exemple des maisons de rapport qui sont, aux yeux du cadastre, détenues et habitées par une personne. Néanmoins, dans la réalité, il peut y avoir plusieurs boîtes aux lettres et le logement peut être divisé en appartements ou en plusieurs chambres. "Le propriétaire peut déclarer qu'il touche 3.000 euros de loyer tout en ayant dix personnes dans cette maison qui paient chacune 1.000 euros. Il n'y a aucune base administrative qui permet de vérifier cela", explique-t-il. Et cela ouvre la porte "à toutes les fraudes possibles", affirme le directeur de l'Observatoire de l'habitat. D'où l'importance selon lui d'établir ce fameux Registre national des bâtiments et des logements (RBL). Mais dans la pratique, le Luxembourg en est encore loin.
"On estime qu'il faudra environ un an pour avoir un outil qui marche", déclare Antoine Paccoud. Et c'est sans compter les travaux qu'il faudra réaliser ensuite. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de la réforme de l'impôt foncier a été scindé en deux. En effet, l'introduction d'un impôt à la non-occupation des logements (INOL) était prévu dans la première mouture de la loi mais celle-ci a été mise à l'écart. Cela parce qu'il faut d'abord établir ce registre national des logements avant de prétendre pouvoir les imposer justement. Et le travail s'annonce "pharaonique" pour reprendre les mots du directeur de l'Observatoire de l'habitat dans "La Bulle Immo". Beaucoup de communes doivent d'abord faire un état des lieux des logements qui se trouvent sur leur territoire avant de pouvoir contribuer à un tel registre. Une tâche à laquelle elles peuvent s'affairer sans attendre l'outil informatique qui doit servir de base pour le RBL.
"Les communes pourraient mobiliser leurs efforts dès maintenant", note le chercheur du Liser. Cela afin d'anticiper les tâches qui devront probablement être accomplies à l'avenir. En attendant, le gouvernement luxembourgeois ne reste pas les bras croisés. Il a présenté au mois de juillet la nouvelle mouture de la réforme de l'impôt foncier qui comprend l'introduction d'un impôt destiné à mobiliser les terrains constructibles (IMOB). Si le timing laisse à désirer (entrée en vigueur prévue pour 2029 puis année test), il témoigne d'une intention non-négligeable de mettre les intérêts de la société avant ceux des propriétaires fonciers. "C'est la première fois en 200 ans que l'on pense mettre en place une entrave à la transmission entre générations de foncier", confirme le directeur de l'Observatoire de l'habitat. Une question qu'il a étudiée en long et en large.
Rappelons que cette réforme doit encore survivre le processus législatif avant d'espérer pouvoir entrer en vigueur à la fin de cette décennie.