Constructions hautes, grandes "agglos", nouveaux transportsÀ quoi ressemblera le Luxembourg dans 30 ans?

Maurice Fick
Le pays poursuit sa croissance, mais atteint des limites (trafic congestionné, crise du logement). Sans décisions politiques, sa qualité de vie est menacée par son développement. Idea propose des solutions qui passent par l'aménagement du territoire et la mobilité.

Nous pensons qu’il y a urgence parce que les chiffres du Statec au 1er janvier 2023 l’ont encore montré: la croissance démographique du Luxembourg continue, tout comme l’augmentation du nombre d’emplois et de frontaliers. Et ce malgré une situation économique plombée par le Covid, la crise énergétique ou la guerre en Ukraine”, résume Romain Diederich, géographe spécialisé en développement territorial. Il a contribué, durant deux ans, à la nouvelle étude de la Fondation Idea sur “La vision territoriale pour le Luxembourg à long terme”, rendue publique lundi.

Si le Luxembourg ne réagit pas, les effets négatifs du développement vont devenir tellement importants qu’ils vont remettre en question le développement

À ses yeux, il y a “urgence de se donner les moyens, les capacités et la vitesse nécessaires pour construire des infrastructures et des logements dans les endroits appropriés, sans quoi nos marges de manœuvres vont disparaître. Si le Luxembourg ne réagit pas, les effets négatifs du développement vont devenir tellement importants qu’ils vont remettre en question le développement”.

Par “effets négatifs”, il entend le prix du foncier, la rareté du logement, la saturation des axes routiers, la pollution, l’attractivité du pays qui se dégrade, etc. Le développement territorial a conduit vers des goulots d’étranglement que subissent aussi bien les résidents que les frontaliers et qui représentent “une menace pour la prospérité économique, sociale et écologique future du pays”, écrit Idea.

503.000 FRONTALIERS D’ICI 2050

D’autant que les “marges de manœuvres” ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui qu’il y a trente ans. Au cours des trois dernières décennies, le Luxembourg a multiplié son PIB par 2,6, créé près de 290.000 emplois (x2,5), vu le nombre de frontaliers augmenter de 170.000 (x6) et connu une poussée démographique de près de 250.000 personnes (+65%). Des chiffres qui donnent le vertige et qui ont dépassé, de loin, toutes les projections faites depuis les années 1980-1990.

© Maxime Gonzales / RTL

Toutefois le développement du Luxembourg au même rythme, et en maintenant son haut niveau de vie, “reste possible” pour les 30 années à venir, estime Idea.

Mais “il ne se fera pas de la même manière. Cela nécessitera d’avoir des actions beaucoup plus fortes en matière d’aménagement du territoire, d’investir beaucoup plus dans les infrastructures, et la coopération transfrontalière”, explique Vincent Hein, économiste au sein du laboratoire d’idées. La clef serait de penser dès à présent à la meilleure façon d’aménager le territoire demain pour rendre soutenable le développement socio-économique du Luxembourg.

Ses experts ont imaginé une vision du Luxembourg pour les trente prochaines années. Ce scénario “au fil de l’eau” -c’est-à-dire qui suit l’évolution des trente dernières années- table sur 1,1 millions d’habitants, 995.000 emplois dont 503.000 frontaliers d’ici 2050.

TROIS GRANDES AGGLOMÉRATIONS ET DES “COMMUNES PRIORIAIRES”

Quels espaces faut-il développer? C’est la grande question à l’heure où le Luxembourg “est déjà devenu une métropole transfrontalière” avec “un nombre d’emplois dans le pays qui est déjà comparable à celui de grandes villes à l’étranger. Ce phénomène n’a fait que s’accélérer et le Luxembourg va se développer encore davantage dans ce sens avec trois agglomérations principales: l’aggloLux, l’aggloNord et l’aggloSud”, explique le géographe Romain Diederich.

Luxembourg formera une agglomération plus classique avec un grand centre et s’étendra jusqu’à Mersch.

L’aggloSud sera plus polycentrique et devra développer son potentiel transfrontalier. L’aggloNord
(ou Nordstad) deviendra une agglomération urbaine au “plein sens du terme” en intégrant Colmar-Berg.

L’idée est de concentrer le développement à venir sur ces trois agglomérations, d’accélérer le développement d’autres “communes prioritaires” vouées à devenir de plus grandes villes, comme Contern, Niederanven, Leudelange, Mamer, Mondercange, Sanem, Kaerjeng, Erpeldange et Bettendorf, et d’éviter au maximum le développement des espaces ruraux.

Comme l’évolution de la population et des emplois frontaliers annoncée est énorme, ces espaces urbains devront “jouer dans une autre ligue et changer de dimension. Ce qui implique des densités plus élevées, des nouveaux types d’urbanisations plus verticales, construire dans les endroits les plus appropriés, mais on peut le faire”, estime Romain Diederich.

TÉLÉPHÉRIQUES ET NOUVELLES LIGNES DE TRAINS

La vision d’Idea est donc d’élargir certains périmètres, de construire plus en hauteur et “d’investir dans plein d’infrastructures nouvelles pour le Luxembourg en développant par exemple des téléphériques urbains, des trams sur pilotis, ajouter des lignes de chemins de fer pour qu’on ne soit plus obligé de passer par la gare centrale de Luxembourg et qui va arriver à saturation dans notre scénario”, résume Vincent Hein.

En matière de coopération transfrontalière “on dit qu’il faut investir ensemble avec les régions voisines pour développer des infrastructures et améliorer la qualité dans les transports, la qualité de vie, etc.”, pose Vincent Hein.

Des propositions qui ne sont pas complètement nouvelles, mais si la croissance du Luxembourg devait effectivement restée aussi soutenue, “elles seront complètement indispensables. Sinon on arrivera à des phénomènes de blocages territoriaux. Si le Luxembourg perd de son attractivité parce que les gens ne veulent plus y venir, les conditions de transport sont terribles ou les prix des logements continuent de grimper... on file vers une inconnue qu’on n’a pas envie de vivre”, résume Vincent Hein. Autrement dit: on file droit dans le mur.

PEUT-ON RALENTIR LA CROISSANCE ?

On pense que c’est risqué, voire peu réaliste de dire qu’on va ralentir la croissance. C’est risqué parce que ça ne se pilote pas comme ça. Le pays est attractif. Le corollaire c’est que des investisseurs viennent et que des gens viennent y travailler. Remettre en question cette attractivité, nous semble une politique un peu hasardeuse. On pourrait modifier la structure de l’économie, mettre en place des politiques pour mieux se développer, de manière plus efficiente, avec moins de main-d’œuvre disponible, mais on n’est pas sûr qu’on arriverait à piloter une décélération. Donc on se dit qu’il faut se préparer à l’avenir pour que ça continue pour pouvoir limiter les effets négatifs de cette croissance, pour qu’elle soit mieux canalisée”, répond Vincent Hein à la question que se posent nombre de résidents.

DES IDÉES POUR LES FUTURS DÉCIDEURS

En cette “super année électorale”, le catalogue des propositions d’Idea sera remis aux candidats et partis politiques. Avec un message-clef: “On ne peut pas promettre que le niveau de vie reste aussi élevé qu’aujourd’hui, sans faire des efforts supplémentaires dans les prochaines années”, résume Vincent Hein.

À ses yeux, “la manière d’aménager le territoire ne pourra pas se faire comme elle s’est faite par le passé” sans quoi ces fameux effets négatifs de la croissance que tout le monde voit déjà, vont s’amplifier, craint Idea.

Il faut un certain courage politique parce qu’il y a des endroits qui vont devoir se développer plus que ce qu’attendaient les gens et des endroits qu’il faudra arrêter de développer. Il faudra bien expliquer que c’est pour le bien commun”, prévient Vincent Hein.

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