La "Thionville Fensch Agglomération" deviendra la 2e plus grande agglomération de Moselle d'ici fin 2025. La moitié des frontaliers français en seront issus et elle veut peser sur une série de projets. Pierre Cuny, maire de Thionville et potentiel président, détaille ses projets et ses ambitions transfrontalières.

Quelle est cette grande agglomération qui va voir le jour juste à côté du Luxembourg dans moins d'un an?

"On avait sur ce territoire deux communautés d'agglomérations: l'une qui était Thionville-Porte de France, autour de la ville de Thionville et de Yutz, et une deuxième communauté d'agglomération qui était dans le Val de Fensch, où on retrouve des villes comme Fameck, Florange, Uckange, Ranguevaux, etc. Ces deux agglomérations étaient, on va dire, de taille plutôt identique. L'une avec 85.000 habitants autour de Thionville, l'autre plutôt aux alentours de 72.000 habitants autour du Val de Fensch, avec des compétences qui étaient les mêmes. C'est en fait l'histoire qui avait voulu ça. Parce que politiquement, celle de Thionville, était plutôt une collectivité de droite. Dans laquelle on retrouvait essentiellement des services, comme l'hôpital, l'université, etc. alors que celle du Val de Fensch, était plutôt de gauche et dans laquelle on retrouvait plutôt les usines. Et donc, il y avait à la fois sociologiquement et politiquement quelque chose qui les séparait.

Sur les 23 villes qui composent cette grande agglomération, 14 sont collées les unes aux autres. On s'est dit avec le président de la Communauté d'agglomération du Val de Fensch, Michel Liebgott, qu'on ferait mieux de travailler ensemble. Ça apporte beaucoup plus de visibilité: on sera la 33e agglomération de France, la 6e agglomération de la région Grand Est, la 3e de Lorraine et la 2e agglomération de Moselle, c'est vraiment une très grande agglomération qui va nous permettre d'exercer nos compétences avec beaucoup plus de poids politique et de poids financier".

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Le Val de Fensch, où on retrouve des villes comme Fameck, Florange, Uckange, Ranguevaux, etc. compte autour de 72.000 habitants. Un vaste territoire avec plus de 200 hectares de friches industrielles à réhabiliter. / © Maurice Fick / RTL

Quels bénéfices vont tirer les habitants de ce mariage?

"Un des éléments majeurs du territoire, c'est la mobilité. Nous avons une double problématique, c'est de circuler sur le territoire de Thionville, ce qui est très compliqué maintenant, puisque la croissance démographique de Thionville, c'est 1% d'habitants en plus chaque année. L'autre problématique, c'est d'avoir une liaison de mobilité avec notre grand voisin luxembourgeois car 50% des gens de Thionville y travaillent. Donc, il était important pour plus d'efficacité, d'avoir une seule entité.

Pour l'habitant lambda, ça ne va pas changer. Quelque part les poubelles seront toujours ramassées, les routes sont toujours entretenues, par contre le fait de fusionner va nous permettre de pérenniser ces services, c'est-à-dire d'avoir beaucoup plus de facilité financière, d'autant que les collectivités aujourd'hui sont mises à dure épreuve. Il y a beaucoup de collectivités en France qui aujourd'hui diminuent les services publics, ferment les mairies un jour, diminuent la collecte des déchets, parce que ça a un coût énorme et qu'elles n'ont pas financièrement la capacité d'assurer ces services".

Au sein de la nouvelle agglomération, combien d'habitants travaillent au Luxembourg?

"Sur les 157.000 habitants qui composent cette agglomération, grosso modo, 40% des gens travaillent au Luxembourg. Grosso modo ce sont 60.000 travailleurs actifs. Si on rapporte au nombre de frontaliers, 120.000 aujourd'hui, la moitié sont issues de notre territoire. Ceci nous donne des responsabilités très importantes, sur le développement des services comme la mobilité, mais aussi des devoirs et aussi un poids politique. Ce qui va nous permettre de faire des propositions claires avec notre grand voisin luxembourgeois au sein du Pôle métropolitain frontalier (qui réunit huit agglomérations le long de la frontière) et lors de la Commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière (CIG) qui réunit l'État, les ministères de la France, du Luxembourg, mais aussi le Pôle métropolitain frontalier.

La future grande agglomération a-t-elle déjà de grands projets?

Oui, Bien sûr. Cette agglomération qui s'appelle Thionville Fensch Agglomération (dont le slogan sera: "Une métropole d'excellence") s'est bâtie sur sept piliers. Le premier c'est la réhabilitation des friches industrielles. Demain, nous allons avoir notamment sur le Val de Fensch, plus de 200 hectares de friches à réhabiliter, comme le Luxembourg l'a connu à Esch-sur-Alzette. Et il faut être en capacité de porter ces restructurations et ce développement urbanistique.

Deuxième élément important, c'est toute la transition écologique, la création de méthaniseurs, la filière des déchets, seule une agglomération de petite taille, ne peut pas faire y faire face.

Troisième sujet important, c'est le développement universitaire puisqu'aujourd'hui, j'ai de grandes ambitions sur le développement universitaire à Thionville. On est passé de 900 étudiants à 2.500 en cinq ans. On va accueillir certainement une première année de droit. En lien avec le Luxembourg, on développe des écoles de commerce maintenant à Thionville, dont les trois premières années se font à Thionville et les deux dernières, Master 1 et 2, sur le campus d'Esch-Belval. Donc, il faut qu'on ait effectivement les reins solides pour développer une université.

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Le quatrième élément, c'est la santé. Je crois que c'est important de développer une offre sanitaire ou de maintenir, parce qu'il y a une très belle offre sanitaire aujourd'hui sur Thionville, une offre sanitaire de grande qualité avec la reconstruction d'une clinique à Thionville. À quelques dizaines de kilomètres du Südspidol qui verra le jour à Esch.

Cinquième axe: l'attractivité. Aujourd'hui, on est un territoire qui devient visible et lisible. On a un solde migratoire positif. C'est-à-dire que le territoire aujourd'hui, attire plus de gens que de gens qui en partent. Et ça, c'est pour un territoire quelque chose de tout à fait exceptionnel. Le sixième axe, la mobilité, et le septième, la politique transfrontalière, j'appelle ça une politique européenne".

Comment la future agglomération veut travailler avec le Luxembourg? Avez-vous déjà des projets?

"Cette grande agglomération ne travaillera jamais en direct avec le Luxembourg. Elle travaillera à l'intérieur du Pôle métropolitain frontalier pour être force de proposition. Et ces propositions se font au niveau de l'État français qui discute avec le Luxembourg. Et la Région.

On porte clairement plusieurs axes. Il y a des propositions qui sont faites en termes de mobilité intraterritoriale et notamment un axe Thionville-Fontoy-Esch-sur-Alzette via Audun-le-Tiche. C'est dans les cartons. La modalité n 'est pas encore parfaitement définie. Elle peut être soit ferroviaire, mais ça peut être compliqué. Soit plutôt sous forme de bus à haut niveau de service, parce-que Esch crée aussi une liaison vers Audun-le-Tiche.

On a des propositions claires que nous portons en termes d'économie résidentielle. C'est dire à un moment donné, est-ce que les dépenses qui restent à charge au niveau des collectivités ne peuvent pas à un certain niveau être prises en charge aussi par le Luxembourg?

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L'agglomération de Thionville-Portes de France compte 80.000 habitants. / © Hemis via AFP

On a des propositions en terme de santé. Il faut absolument modéliser cet espace où nous nous trouvons. C'est ici que l'Europe se fait. On est dans une configuration incroyable où il y a l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la France. Et c'est ici vraiment qu'il faut qu'on avance sur ces phénomènes de zones franches. Quelqu'un qui habite à la frontière du côté français est-ce qu'il ne peut pas avoir son médecin généraliste de l'autre côté de la frontière?

Je pense clairement que la formation, doit être un peu plus équilibrée. Je considère qu'à partir du moment où quelqu'un a été formé sur notre territoire et qui part immédiatement au Luxembourg, est-ce qu'il n 'y a pas des arrangements sur ce que j 'appelle le "droit à la formation". Il y a énormément de projets qui sont mis sur la table".

L'A31 bis qui va traverser ce nouveau territoire va apporter quoi ?

"Ça ne va pas révolutionner la mobilité. C'est simplement une remise à niveau d'une infrastructure qui devrait, depuis très très longtemps, être déjà à 2x3 voies. Est-ce qu'on imaginerait aujourd'hui, entre Beaune et Lyon, avoir une autoroute à 2X2 voies? Je rappelle que cet axe A31 est le deuxième corridor européen en termes de fréquentation automobile et on reste à 2x2 voies. Il faut être clair, on attend 160.000 frontaliers en 2040. Cette autoroute élargie, elle ne permettra pas de les absorber.

Donc il faut parallèlement augmenter, accélérer les voies ferroviaires, les cadencements, ce que fait aujourd'hui la Région en lien avec le Luxembourg avec les compensations financières. Le Luxembourg flèche quand même 220 millions sur tous ses projets de mobilité.

Il faut à mon avis augmenter le télétravail. Je pense qu'il faut qu'on puisse arriver autour de 50-55 jours de télétravail par an, soit un jour et demi à deux jours par semaine. Il faut faire attention qu'il n 'y ait pas un déracinement complet, mais je pense que deux jours par semaine de télétravail, c'est un objectif. C'est grosso modo, on avait fait des études, 20.000 voitures de mois sur  l'autoroute par jour.

Il faut bien sûr accélérer aussi les lignes frontalières. Chaque fois qu'il y a un bus, il y a 50 voitures de moins. Il faut qu'on travaille sur le covoiturage, qui n 'est pas encore assez développé. Deux personnes par voiture, ce sont 20.000 ou 30.000 voitures de moins. Il faut accélérer la fréquentation des bus sur la 4e voie de l'A31 bis et une autoroute qui puisse absorber 20 ou 30 % de voitures en plus.

Je pars du principe que les arbres ne vont jamais jusqu'au ciel. Le but à un moment donné, il y a une régulation. Qu'à un moment donné c'est de travailler avec nos amis luxembourgeois dans une sorte d'équilibre de territoire où la richesse de l'un permet aussi à l'autre territoire de se développer. Puisque quelque part, on est interdépendant. Il faut qu'on soit dans une démarche gagnant-gagnant, mais aussi avoir la conscience aujourd'hui que l'un n'est pas mieux que l'autre. Nous avons la chance d'être à côté d'un pays qui a connu une transformation extraordinaire, mais aussi que notre territoire alimente cette richesse".