Adrian Belew et Jerry Harrison ne sont pas des noms très évocateurs pour des non initiés. Pourtant ces deux musiciens ont écrit de belles pages de la pop occidentale, notamment au sein des Talking Heads dont ils étaient venus célébrer le répertoire à l’Atelier.

Pour qui a été subjugué par les fantaisies musicales de Frank Zappa, pour qui a dansé sur la new wave teintée d’afro-beat des Talking Heads, pour qui a été envoûté par le David Bowie avant-gardiste de la fin des années 70, le concert de mardi soir à l’Atelier à Luxembourg avait quelque chose d’exceptionnel.

Les deux musiciens présents sur scène ont laissé des traces dans quasiment toutes les discothèques des amateurs de rock qui se respectent de par le monde. Jerry Harrison a débuté sa carrière avec The Modern Lovers, aux côtés de Jonathan Richman, avant de devenir officiellement membre des Talking Heads en 1977 puis producteur. Adrian Belew est un prodige de la guitare, “volé” à Zappa par le malin Bowie en 1978 avant de mener une carrière protéiforme, notamment aux côtés de Paul Simon, de Ryuichi Sakamoto ou de Tori Amos mais surtout au sein de King Crimson.

Ce qui réunit les deux hommes lors de cette tournée qui a fait étape au Grand-Duché, c’est la formidable période pendant laquelle ils ont collaboré au sein des Talking Heads, lors de l’enregistrement du mythique Remain in Light sorti en 1980, coproduit par Brian Eno, et de la tournée qui a suivi. Talking Heads était alors aux yeux de beaucoup d’amateurs de musique l’un des groupes de scène les plus exaltants de la planète, une réputation assise par le film concert Stop Making Sense sorti en 1984 et réalisé par Jonathan Demme, sans Adrian Belew malheureusement.

Et pour recréer la magie de cette période, les deux guitaristes n’avaient pas lésiné sur les moyens, accompagnés de neuf musiciens additionnels, parmi lesquels une section de cuivres et deux choristes, tous membres de Cool Cool Cool qui assurait la première partie. Après une version enlevée du tube Psycho Killer, extrait du premier album des Talking Heads, le set était essentiellement constitué de titres extraits de l’album référence Remain in Light et de celui qui l’a précédé, Fear of Music, moins connu mais tout aussi novateur. Grâce à l’apport de cette horde de jeunes musiciens talentueux et pleins d’énergie, les deux septuagénaires ont pu proposer des versions assez jubilatoires de ces morceaux irrésistibles, de Once in A Lifetime à Life During Wartime, en passant par la reprise d’Al Green, Take Me To The River, qui était devenue un classique du groupe.

Les titres sont chantés tour à tour par Jerry Harrison et Adrian Belew, certains même par le jeune saxophoniste de la troupe. La salle clairsemée ou une corde de guitare cassée en plein solo n’ont en rien entaché la bonne humeur de Belew, incapable de se souvenir s’il était déjà venu au Luxembourg avec l’un des nombreuix artistes qu’il a accompagnés.

Les puristes ont pu regretter l’absence du chanteur charismatique David Byrne, ou du couple formant la section rythmique des Talking Heads, Chris Frantz et Tina Weymouth, mais c’était déjà assez miraculeux de pouvoir apprécier ces morceaux sur scène avec certains des protagonistes originaux sachant que le groupe s’est brouillé et a arrêté les concerts dans les années 80. Ainsi le public réuni à l’Atelier a pu voir se recréer, le temps d’une soirée, l’alchimie musicale d’un des groupes les plus excitants des "eighties".