Ils ont eu hâte de tourner la page du Covid pour mettre fin au télétravail: eux, ce sont les patrons pour qui travail rime avec présence au bureau. Comme si la crise n'avait servi à rien...

Fini de glander ! Les chiffres ne sont pas particulièrement plus réjouissants aujourd'hui que l'hiver dernier, mais la page du Covid s'est tournée dans plusieurs entreprises du Grand-Duché. Et avec elle, celle du télétravail plus ou moins forcé ces derniers mois. Si les accords entre le Luxembourg et les trois pays voisins sur le télétravail ont été prolongés jusqu'à la fin du mois de juin 2022, tous les patrons n'ont pas eu envie d'attendre cette -a priori- ultime échéance pour rappeler leurs ouailles au bercail.

Il n'y a qu'à voir l'état des autoroutes du pays ces derniers mois: le retour des véhicules a été massif. Les accidents aussi. Après deux ans de crise sanitaire, on remet la balle au centre sans forcément en tirer les enseignements pour repenser le modèle du travail en entreprise. Et tant pis si le travail à domicile a su faire ses preuves.

Ce retour en arrière a de quoi être mal vécu par des employés qui ont appris à organiser leur vie avec ce nouveau mode de travail. De l'autre côté de la frontière, au Département de la Moselle, une note indiquant aux agents de revenir au bureau avait suscité des remous"Exiger qu’on revienne tous sur place, c’est comme dire qu’on n’aurait rien foutu pendant un an", avait confié l'un d'entre eux.

Certes, on ne peut nier que le télétravail génère moins d'interactions et altère la vie d'une entreprise. Il vide des buildings pour lesquels des crédits continuent d'être payés, il vide les cantines, les restaurants, les commerces, notamment dans les centre-villes. Sur un plan légal, les frontaliers belges et français ne peuvent télétravailler plus de 34 jours par an s'ils veulent rester fiscalisés et affiliés à la sécurité sociale au Luxembourg. Les frontaliers allemands sont limités à 19 jours. Il n'est donc pas question de militer pour le télétravail généralisé.

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Le Luxembourg et ses régions frontalières ont pourtant à y gagner en continuant de le favoriser. Pour les entreprises, cela va devenir un enjeu important. "En refusant le télétravail, une entreprise prend le risque de perdre des talents" nous avait par exemple répondu Amandine Bianchi, cheffe de département d'un cabinet de recrutement à Luxembourg.

C'est enfoncer une porte ouverte que de dire que les autoroutes du pays, et leur prolongement de l'autre côté des frontières, ont besoin d'être soulagées du flux croissant de travailleurs faisant l'aller-retour tous les jours. Rappelons que près de 112.000 frontaliers français, 50.000 belges et 50.000 allemands passent les frontières luxembourgeoises chaque jour, soit 212.000 au total. Qu'elle est loin l'époque bénie de l'an 2.000, lorsque les frontaliers n'excédaient pas les 90.000 !

➡ A lire : notre édito (à prendre au second degré, on précise quand même...) "Grâce au télétravail, je rentabilise mon abonnement Netflix"

Aujourd'hui, les solutions pour désengorger le trafic sont soit des échecs, soit des vieux serpents de mer. La bande de covoiturage sur l'E411 d'Arlon vers le Luxembourg inaugurée en 2019 pour 17 millions d'euros prête à rire (jaune): en 2019, 20 à 30 véhicules l'ont emprunté. Sans continuité de l'autre côté de la frontière, on peut de toute façon s'interroger sur la pertinence de tels chantiers. Quant au projet de l'A31 bis côté français, qui vise à désengorger "l'autoroute de l'enfer", il est en réflexion depuis des années et on ne sait pas bien à quelle génération de travailleurs frontaliers il profitera. Certes, au Luxembourg, l'A3 passera de deux à trois voies d'ici cinq ans mais difficile de savoir si, d'ici là, ces travaux suffiront à soulager un trafic qui va continuer de s'intensifier.

Favoriser le télétravail, c'est donc moins de danger sur les routes, mais c'est aussi plus écolo et plus "écono". A l'heure où l'on cherche par tous les moyens à diminuer l'empreinte carbone, laisser nos voitures au garage ne semble pas être une mauvaise idée. D'autant plus que les prix des carburants n'ont jamais été aussi élevés et qu'il ne se passe pas une semaine sans un accident sur les axes autoroutiers. L'alternative électrique, elle, ne convient pas encore à tous les automobilistes...

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Moins de trajets et de temps passé dans les bouchons, c'est plus d'énergie investi dans le travail, plus de productivité, plus d'efficacité, moins de bavardage, moins de réunions inutiles, moins de pauses café, bref moins de moments de déconcentration (coucou les open spaces !). C'est aussi plus d'épanouissement personnel car plus de facilité à concilier vie privée et vie professionnelle. Encore faudrait-il que l'employeur soit sensible au bien-être de son salarié et parvienne à remettre en question ses a-priori sur le travail à distance et ses certitudes sur le travail en présentiel.

C'est une approche à changer, plus moderne, tournée davantage vers la réussite des objectifs que sur les heures passées sur son siège de bureau. Certes, le "home office" permet sans doute moins à la hiérarchie d'exercer son pouvoir et l'amène à baser sa relation avec son salarié sur une notion révolutionnaire: la confiance. La confiance, ça se mérite et la période de crise a largement servi de test. Au Luxembourg, certains patrons ont osé bousculer le modèle classique, comme ce PDG de DG Group qui a libéré les horaires des équipes de ses quatre sociétés de marketing.

"J'ai l'impression que beaucoup (de salariés) considèrent le télétravail comme un demi-jour de congé mais vont faire leurs courses entre-temps", avait affirmé Michel Reckinger, le président de l'Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), à la rentrée 2021. Bon, c'est pas gagné !