
© JONATHAN NACKSTRAND / AFP
D'ancien membre du Parti communiste à conseiller économique du président Emmanuel Macron, avant de s'en éloigner: le Français Philippe Aghion, lauréat du prix Nobel d'économie ce lundi, veut mieux réguler le capitalisme en favorisant l'innovation au détriment des rentes de situation.
"Je suis sans voix, c'est une grande surprise, je ne trouve pas les mots" a réagi auprès du comité Nobel, ému, le lauréat du prestigieux prix, qu'il partage avec l'Américano-israélien Joel Mokyr et le Canadien Peter Howitt.

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Le prix vient récompenser ses travaux d'inspiration schumpetérienne sur la croissance et l'innovation, développés avec Peter Howitt dans l'ouvrage "Théorie de la croissance endogène" (1998).
La France n'avait pas décroché le prix Nobel d'économie depuis Esther Duflo en 2019.
A 69 ans, ce disciple de l'économiste autrichien Schumpeter croit dans "Le pouvoir de la destruction créatrice", qui est le titre de son dernier ouvrage (2020, avec Céline Atonin et Simon Bunel).
"L'idée c'est de dire que la croissance, au long terme, c'est l'innovation. Et pas l'accumulation de capital, qui au bout d'un moment s'essouffle", a expliqué l'économiste français lors d'un entretien avec l'AFP en 2019, citant l'effet drastique qu'a eu l'invention de la machine à vapeur sur la croissance à partir du 18e siècle.
Proche de l'actuel président français depuis qu'ils se sont rencontrés à la commission Attali sur la relance de la croissance en 2007, Philippe Aghion a aidé Emmanuel Macron à élaborer son programme économique, avant de critiquer dans Libération en 2024 "une dérive vers la droite" et un pouvoir "vertical".
Carte au PCF
Né le 17 août 1956, il grandit jusqu'à 10 ans entre deux parents issus de familles juives d'Alexandrie. Sa mère Gaby Aghion, que l'histoire retiendra comme célèbre fondatrice de la marque de prêt-à-porter de luxe Chloé, et son père Raymond, qui a joué un rôle important dans l'avènement du mouvement surréaliste et communiste égyptien.
"J'ai très bien connu Aragon, Tristan Tzara, Paul Éluard", se remémorait avec nostalgie M. Aghion, "c'était des très proches de mon papa", qui avait une galerie d'art à Paris.

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De ce père qu'il admire tant, il retient "la révolte contre les inégalités et la misère", qui le pousse vers le communisme: de 1973 à 1984, il prend sa carte au PCF.
Cet engagement estudiantin, il ne le voit pas comme une contradiction avec ses positions actuelles: "Je crois dans les mêmes valeurs (qu'à l'époque), mais je ne crois plus au "grand soir"", expliquait-il, "on ne peut pas dépasser le capitalisme, en revanche on peut le réguler, le rendre à visage humain".
Après des études en mathématiques à l'École normale supérieure de Cachan jusqu'en 1980, Philippe Aghion se lance dans l'économie à l'Université Paris I, où il obtient son doctorat en 1983. Il part alors aux Etats-Unis, pour un PhD à Harvard.
Aujourd'hui professeur au Collège de France, ce père de deux enfants - divorcé - est aussi professeur à la London School of Economics.
Capitalisme régulé
Selon lui, "l'important, c'est d'adopter des politiques qui renforcent l'innovation, mais en même temps de construire un système avec une réelle mobilité sociale": un "capitalisme régulé" à la manière des modèles scandinaves, qui doit "penser aux plus vulnérables".
Quand éclate la crise du Covid qui révèle le décrochage industriel de la France, il en attribue la cause au "déficit d'innovation".
Il a approuvé nombre de réformes ou de projets de réforme de libéralisation de l'économie d'Emmanuel Macron, - comme la "flat-tax" ou le remplacement de l'impôt sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Philippe Aghion veut une politique industrielle, mais profondément rénovée, au service de l'innovation. Il a en outre coprésidé un comité interministériel sur l'intelligence artificielle (IA), préconisant en 2024 des investissements massifs dans le secteur.
Ce social-libéral réfute la qualification d'"économiste de gauche".
"Je pense que je suis un homme de gauche, mais je ne suis pas un économiste de gauche", affirme-t-il, "j'ai de profondes convictions de gauche. Mais comme économiste, je suis économiste, voilà tout".