
Au tribunal d'arrondissement de Luxembourg, l'ancien gérant d'un restaurant et son épouse comparaissent pour coups et blessures et traite d'êtres humains.
Les récits des six victimes présumées sont similaires: le patron les battait et leur infligeait des brûlures. Il versait à ses employés un salaire normal, mais ils devaient immédiatement retirer l'argent et lui rembourser une grande partie en espèces. Ils ont travaillé pendant plus d'un an pour rien ou pour un peu d'argent de poche, soi-disant pour rembourser les frais, car pouvoir travailler au Luxembourg coûtait très cher. La plupart d'entre eux avaient été recrutés par le père de l'accusé au Népal.
Ils n'avaient pas de congés, les horaires de travail s'étendaient de 7 heures à 2 heures du matin. Ils étaient isolés socialement, ils acceptaient ce traitement par peur, mais aussi parce qu’ils ne connaissaient ni les lois ni la vie au Luxembourg.
A lire aussi: Des employés exploités, violentés et humiliés: Le gérant d'un restaurant poursuivi pour traite d'êtres humains
Un employé a toujours peur aujourd'hui
Un jeune homme en pull bleu et blanc a du mal à raconter au tribunal ce qui lui est arrivé. Il lui est demandé à plusieurs reprises de parler plus fort. Oui, il était battu s'il faisait mal son travail, et oui, à cause des coups portés à sa main, il ne peut plus serrer le poing aujourd'hui.
Lui aussi devait retirer une partie de son salaire et le reverser à l'accusé, son ex-employeur R. La Cour lui présente le calcul de la police: Monsieur R. lui aurait versé 111.000 euros entre avril 2016 et septembre 2021, mais il aurait remboursé 85.000 euros à son employeur. "Oui, c’est ça".
Le tribunal lui demande pourquoi il est toujours aussi intimidé. "Nous sommes une famille, et c'est pourquoi j'ai peur", explique la victime. Sa situation s'est améliorée et il aurait préféré ne pas comparaître devant le tribunal. Il ne voulait pas non plus porter plainte auprès de la police. Aujourd'hui, il travaille à nouveau dans un restaurant. "Je ne veux plus qu'on m'appelle, je veux vivre ma vie", a conclu la victime. Il ne réclame aucune indemnisation.
Un autre a raconté qu'il travaillait en réalité pour 100 euros par mois: "J'économisais 40 euros, pour 5 euros par semaine j'achetais des petits pains, s'il restait quelque chose, j'achetais une ou deux bières".
Passeport et cartes bancaires retirés
"Un jour, j'ai bu quelque-chose parce que j'avais soif, j'ai reçu 50 coups sur l'oreille", raconte un autre cuisinier qui a travaillé pour Monsieur R. de 2013 à 2016. Il a perdu conscience, mais Monsieur R. a alors ordonné aux autres employés de le frapper. Il lui a également été dit qu'il devrait travailler gratuitement au Luxembourg pendant un an pour rembourser ses dettes. Le travail lui avait été proposé par le père du restaurateur au Népal. Il n'avait pas remis cela en question: "Je leur faisais confiance, je n'avais pas de doute, nous sommes aussi une famille".
À la mort de son père au Népal en 2016, après de longues tergiversations, l'ancien cuisinier a été autorisé à s'y rendre par avion, mais à son arrivée, le père de l'accusé a gardé son passeport et la victime a aussi dû lui remettre ses cartes bancaires et autres documents. Tout le village a pu constater ses blessures, mais il n'avait alors ni l'argent ni l'énergie nécessaire pour se rebeller. Sans passeport, il ne serait jamais revenu, il est seulement revenu au Luxembourg en 2022 grâce à la police.
En 2017, 11.000 euros supplémentaires ont été retirés de son compte, mais la victime a affirmé devant le tribunal qu'elle n'avait pas reçu cet argent.
Le rôle de l'épouse
Tout comme son mari, Madame R. est poursuivie. Les victimes affirment cependant qu'elle-même ne leur portait pas de coups. Elle aussi était maltraitée par son époux lorsqu'elle ne faisait pas ce qu'il lui disait. Elle craignait son mari.
Les deux accusés réfutent les accusations. Pour Maître Kreutz, avocat de la défense, il n'y a aucune preuve dans le dossier que les blessures constatées par les médecins légistes, aient vraiment été infligées par Monsieur R.
La traite d'êtres humains avec violence est passible d'une peine de prison de 10 à 15 ans, et cette peine est pleinement justifiée, selon l'avocate de la partie civile. Ses clients s'en porteraient mieux, explique Madame Sadler, qui est également présidente de la Commission des droits de l'homme. Pour l'ancien employé, la question n'est pas la sanction, mais la reconnaissance de ce qui lui est arrivé.