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Ce sont de graves accusations que portent six ex-employés d'un restaurant indo-népalais de Rodange à l'encontre de leur ancien patron, dont le procès a débuté cette semaine devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg.
Monsieur R. et son épouse sont accusés de coups et blessures et de traite d'êtres humains, pour des faits survenus entre 2013 et 2021. Des brûlures et des coups portés avec des broches à tandoori ou des louches par le gérant du restaurant, sont évoqués. Il aurait aussi mis le bras d'un de ses employés dans un four en marche et versé de la sauce brûlante sur les bras et les mains d'autres membres du personnel, selon les témoignages des victimes, entendues mercredi.
L'ancien cuisinier du restaurant a expliqué à l'audience comment le père de l'accusé lui avait proposé un emploi au Luxembourg. 15.000 euros, c'était le prix fixé pour pouvoir venir travailler au Grand-Duché. Monsieur R., le restaurateur installé au Luxembourg, prendrait cette somme à sa charge, mais en contrepartie, le cuisinier devrait travailler 15 mois sans salaire au restaurant de Rodange, avec seulement 200 à 250 euros d'argent de poche. Plus tard, l'employeur avait versé 2.000 euros de salaire comme stipulé dans le contrat de travail, mais tous les employés devaient lui en retourner la majeure partie. Lui-même reversait 1.300 euros en espèces à son patron chaque mois. Ce dernier lui aurait dit: "Je vous ai fait venir du Népal, vous habitez chez moi."
Exploitation
Les employés vivaient au-dessus du restaurant, dans des conditions précaires. L'ancien cuisinier raconte qu'ils vivaient à trois dans deux pièces, sans salle de bain. Ils devaient se laver avec un seau dans le jardin. Lorsqu'il se plaignait, le patron le battait et il devait dormir dans le jardin. Les horaires de travail étaient de 7h du matin à 2h le matin suivant. Ménage, courses, cuisine au restaurant, distribution de prospectus, les employés devaient tout faire. La nuit, ils devaient masser les pieds du patron, mais les tâches incluaient aussi le lavage de sa voiture ou de ses sous-vêtements.
L'accusé avait également fait pression pour que l'épouse de la victime suive son mari. Elle avait aussi travaillé au restaurant pour 100 euros par mois et, pendant son "temps libre", elle s'occupait du ménage du couple. "J'ai simplement fait ce qu'ils disaient, sinon nous aurions été à la rue", explique la femme. Elle n'a pas pu préciser combien son mari gagnait réellement comme cuisinier. A la fin, elle recevait 700 euros par mois en espèces. La Cour s'est demandée qui s'occupait des deux enfants du couple, alors âgés de 7 et 11 ans, compte tenu de la lourde charge de travail. "Je ne pouvais pas m'occuper de mes enfants", a expliqué la femme en larmes.
Violence et humiliations
Le gérant du restaurant trouvait toujours une raison pour frapper ses employés, et selon le cuisinier, cela arrivait tous les jours, même si c'était juste parce qu'ils parlaient ensemble. Il les frappait à la tête jusqu'au sang avec des ustensiles de cuisine en métal, ou leur versait des sauces brûlantes sur les mains et les bras. Il lui était même arrivé de placer le bras d'un employé dans le four. Il était interdit aux employés de boire de l'eau en travaillant. Il est arrivé au cuisinier de boire l'eau de condensation du réfrigérateur.
Mardi, le médecin légiste avait déjà constaté diverses blessures anciennes sur les six victimes, notamment des oreilles déformées, des bosses et des cicatrices à la tête, des blessures à l'épaule et des cicatrices qui ne pouvaient être simplement dues à un accident. Selon lui, la violence est une cause plausible des blessures.
Selon les témoignages des victimes, Monsieur R. avait également humilié ses employés. Il avait ainsi demandé à son épouse de cracher par terre et les employés avaient dû lécher le crachat. Madame R. n'aurait pas frappé elle-même les employés, mais lorsque son mari le lui disait, elle leur crachait dessus.
Contrôle
Monsieur R. contrôlait également la vie familiale de ses employés. Ces derniers n'avaient pas le droit d'utiliser un téléphone portable. Ils n'avaient pas le droit de parler à la communauté népalaise du Luxembourg, et s'ils voulaient faire des courses, ils devaient prévenir. S'ils rencontraient d'autres personnes dans la rue, ils devaient dire de qui il s'agissait et de quoi ils avaient parlé. Si les enfants de la victime ne saluaient pas le patron sur le chemin de l'école, l'accusé l'appelait et lui disait qu'il devait les battre. "J'ai dû frapper ma propre femme", a raconté l'homme.
Lors des démarches administratives ou lorsque les employés se rendaient à la banque, Madame R. les accompagnait toujours.
Plainte auprès de la police
Les employés maltraités ont d'abord tenté de trouver une solution lors d'une réunion au sein de la communauté népalaise, au cours de laquelle l'accusé a reconnu les faits. La police dispose d'ailleurs d'un enregistrement audio dans lequel une personne s'excuse. Le conseil a fixé une indemnisation financière comprise entre 2.000 et 37.000 euros pour les victimes. Mais elles n'ont pas voulu de l'argent. Les employés ont été quelques-uns à se rendre au commissariat, explique l'ancien cuisinier: "J'espère que justice nous sera faite." Cependant, cela a suscité des pressions de la part de la communauté népalaise.
Un complot de la concurrence, selon les accusés
Le couple accusé a réfuté toutes ces accusations devant les policiers. Ils auraient été victimes d'un complot de la concurrence. Les cuisiniers népalais étant peu nombreux au Luxembourg, d'autres restaurateurs ont tenté de ruiner leur affaire et de débaucher leur personnel. Le couple dirige désormais un magasin d'alimentation.
Des représentants de la Commission des droits de l'homme et du GRETA (Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains) du Conseil de l'Europe étaient présents à l'audience mercredi et ont suivi les débats.