
© Towfiqu Barbhuiya / Unsplash
Parce qu'ils sont célibataires, qu'ils n'ont pas de garants et d'apport suffisant, ou qu'ils sont déjà "trop vieux", des résidents ont abandonné leur rêve d'accéder à la propriété au Luxembourg. C'est le cas de Christiane*.
Maintenant qu'elle a dépassé le cap des 40 ans, Christiane* en est convaincue: "Je ne pourrai plus acheter au Luxembourg, c'est foutu. À moins de gagner au Loto ou de tomber sur un sugar-daddy richissime" rigole-t-elle.
Cette Luxembourgeoise travaille dans une grande entreprise au Grand-Duché. Pourtant, c'est loin d'être suffisant pour convaincre les banques de financer son projet immobilier.
Tout comme ses parents qui pensaient que la location ne serait qu'une étape provisoire avant de pouvoir acheter, elle voit son rêve s'évaporer. "Mes parents auraient eu les moyens d'acheter, mais pas en ville, c'était déjà trop cher. Or, ils voulaient vivre dans la capitale, donc ils ont dû choisir la location."
Lorsque son père est décédé, sa mère est restée locataire. "Ma mère a vécu dans le même appartement pendant 30 ans, car le loyer était peu élevé, en 2012 elle ne payait encore que 850 euros pour 90m2. C'était un appartement des années 60, jamais rénové, avec du simple vitrage aux fenêtres..."
Puis la propriétaire de l'immeuble est morte, et les héritiers se sont partagés les appartements: "Ils ont dégagé tous les locataires, ont fait des rénovations, et ont plus que doublé le montant du loyer. Même si on lui aurait proposé de réemménager, cela aurait de toute façon été trop cher pour ma mère, qui a retrouvé un autre appartement, plus petit et ancien, donc pas trop cher..."
C'est pour cela que Christiane voulait devenir propriétaire: "En voyant ça, je me suis dit je ne ferai pas comme mes parents, je veux avoir mon logement à moi, comme ça je serai enfin libre, je ne dépendrai pas d’un propriétaire qui refuse de rénover son appartement ou qui en profite pour te faire payer plein pot."
"EST-CE QUE VOS PARENTS PEUVENT SE PORTER GARANT ?"
Aussitôt ses études terminées, en 2008, Christiane se met en quête d'un appartement. "Je cherchais un appartement, avec idéalement deux chambres, en ville ou dans les proches alentours... Et puis je tombe sur la perle rare: un appartement rue de Hollerich, 85m2, 320.000 euros, un loft avec garage, génial! Il y avait tout ce qu’il fallait."
"Je suis allée à la banque, en me disant que mon CDI dans une grande agence de communication m'aiderait à les convaincre." Elle se souvient bien de la discussion, qu'elle raconte:
"Vous êtes célibataire? Mais vous travaillez dans un milieu précaire" lui dit la banquière." "Ah bon ? je ne savais pas que la communication était un milieu précaire" répond-elle.
Question suivante: "Est-ce que vos parents peuvent se porter garant ?" "De une, non, et de deux, je ne voudrais pas que la banque puisse saisir leur salaire" répond Christiane.
Troisième question: "Avez-vous un apport personnel de 50.000 euros?" "Non, pas autant", répond Christiane.

Au Luxembourg, un CDI dans une grosse boîte est loin d'être suffisant pour convaincre les banques ! / © RTL
À l'époque, "je touchais 2.700 euros brut. C’était 500 euros de plus que le salaire minimum, mais bon c'était pas génial pour le Luxembourg. Du coup, on m’a dit que ce sera pas possible, qu'il faudrait trouver quelque chose à 220.000 euros maximum. Mais on ne trouvait rien à ce prix-là, ou bien à l’autre bout du pays, loin de mon travail et de mes proches…"
Après plusieurs tentatives infructueuses, elle se résout à trouver une location, temporairement, espère-t-elle. "Il fallait donc trouver un loyer qui ne dépasse pas 50% de mon salaire. J'ai galéré avant de trouver un appartement à Crauthem, 1.040 euros pour 75m2, deux chambres, et un garage, 15mn de la ville. Il y avait la foule pour visiter l'appartement, c'était dingue! Finalement, la propriétaire a trouvé que moi, célibataire, sans enfant, sans chien, etc., Bac+5 et CDI dans une grosse boîte, j’étais le meilleur profil."
«ZE RÄICH FIR ZE STIERWEN, ZE AARM FIR ZE LIEWEN»
À la mention de son Bac+5, on lui évoque la perspective de devenir fonctionnaire au Luxembourg, gage d'un salaire confortable qui ouvre la porte de toutes les banques... Elle sourit et admet y avoir pensé. "Côté sécurité professionnelle et argent, oui bien sûr, ça m’a tenté. Mais côté épanouissement personnel, pas du tout. Je ne me voyais pas dans un ministère, dans la communication les postes sont rares de toute façon. Et surtout ça a l’air tellement figé, tellement de règles, de hiérarchie... J'avais peur d'être blasée à même pas 30 ans. J’étais encore toute jeune, je voulais explorer, vivre plusieurs expériences. En travaillant dans le privé, je pouvais interagir avec des clients, aller sur des tournages, etc, c’était vraiment palpitant."
Et pourquoi n'a-t-elle pas réussi à mettre de l'argent de côté, depuis toutes ces années? "J’ai essayé, vraiment. Mais ce n'est pas un scoop, la vie est très chère au Luxembourg. Il suffit d'une panne sur ma voiture pour être dans le rouge. Quand j’étais encore avec mon copain, je pouvais mettre un peu d’argent de côté, mais depuis que je suis célibataire, c’est quasi mission impossible. Rien que le fait de me séparer, ca m’a coûté près de 15.000 euros. Il fallait racheter des meubles, etc. Et pour la caution de mon appartement, j’ai dû bloquer 3.000 euros, plus 1.500 euros pour payer les commissions d’agence..."

Rester en couple par sécurité financière : beaucoup, hélas, font ce choix, regrette Christiane.
Pas étonnant que certain(e)s choisissent de rester en couple par sécurité financière, ajoute-t-elle, "parce que sinon la vie au Luxembourg est beaucoup trop chère et difficile. Moi, ça m’a trotté dans la tête, mais j'ai préféré en baver financièrement. Je préfère être plus pauvre mais libre. Au Luxembourg, on dit «Ze räich fir ze stierwen, ze aarm fir ze liewen», c’est-à-dire, «trop riche pour mourir, trop pauvre pour vivre »".
Et acheter un bien pour le mettre en location? "Déjà, il aurait fallu que la banque accepte, et ensuite j'avais tellement peu de marge financière, qu'au moindre pépin, loyer non payé ou dégâts, c'était fini".
Elle cite l'exemple d'amis "fortunés", qui avaient acheté un bel appartement pour faire du locatif. "Ils avaient trouvé un locataire, un cadre d'une multinationale qui était expatrié au Luxembourg pour 2 ou 3 ans. Ils pensaient avoir trouvé le locataire en or, avec de gros revenus. Quand il est parti, à la remise des clés, l’appartement était ruiné ! Le parquet et les murs étaient ravagés, et comme il était reparti aux Etats-Unis, impossible de le faire payer. La caution n’a évidemment pas suffi pour réparer tout ça. Donc moi, comment j’aurais fait ?"
"MON PROPRIÉTAIRE VIT SUR UNE ÎLE PARADISIAQUE"
Aujourd'hui, Christiane habite dans un quartier calme au nord de Luxembourg. "Je paie 1.500 euros + 200 euros de charges pour 75m2. Je suis chanceuse, dans le sens où on ne trouve quasi plus à ce prix-là. Mon propriétaire vit 8 à 9 mois par an sur une île paradisiaque, il doit pas trop avoir à se soucier des loyers. Je ne l’ai jamais rencontré, c’est l’agence qui gère."
Plus de 40% de son revenu part dans le loyer. Son rêve de devenir propriétaire s'est évaporé. "Je ne suis pas en couple. Je n'ai pas de garant. Je n'ai aucun bien à mettre en hypothèque. Je n'ai pas d'héritage tombé du ciel, et j'ai plus de 40 ans. Bref, je suis une cliente indésirable pour les banques".
"Allez, on va se faire du mal, on va regarder les annonces" rigole-t-elle. Elle coche ses critères "de rêve": entre 80 et 110 m2, deux chambres, une cuisine équipée, une terrasse, ascenseur et place de stationnement, en ville. "9 annonces correspondent. Le moins chère est à 985.000 euros. Next!" grimace-t-elle.

Difficile désormais de trouver l'appartement de ses rêves en dessous de 800.000 euros, constate Christiane. / © Capture d'écran / AtHome
"J'enlève l'ascenseur, je coche une seule chambre, la terrasse remplacée par balcon, et diminue entre 60 et 90m2. Voilà: une chambre à Merl, 60m2, 878.000 euros. Difficile de trouver en dessous... Ah si, à Hollerich ! 645.000 euros pour 60m2, un vieux truc des années 70 on dirait, bon pourquoi pas... Sauf que je ne peux pas emprunter plus de 450.000 euros, et même si la banque dit oui, il faudrait que je dise adieu à ma vie sociale et que je mange tous les jours des biscottes. Et de toute façon, à ce prix-là, c'est introuvable".
Un expert a résumé chez Paperjam cette démesure des prix immobilier à Luxembourg, où théoriquement seul 3% de la population peut désormais espérer acheter ces logements à 1 million d'euros qui sont devenus la norme:
LA TENTATION DE L'EXIL
Et pourquoi ne pas passer la frontière, pour trouver son bonheur chez nos voisins? "Des gens vont sûrement dire que je n'ai qu’à aller vivre à Thionville, Arlon, Trèves... mais non, je n’ai pas envie de passer une heure dans les bouchons, je n’ai pas envie de ne connaitre personne dans mon quartier, et je veux rester près de mes proches, ma vie est ici. C'est trop demander?"
D'ailleurs, "les tarifs explosent aussi là-bas. J'ai une amie qui a acheté un appartement à rénover près de Trèves justement, 100 m2 pour 350.000 euros. Elle paie 1.400 euros sur 25 ans. Ok, c'est top, mais c’était dans un état pitoyable, heureusement son mec est bricoleur, elle a pu faire de grosses économies en faisant les rénovations. Bref, même ça, c’est hors de ma portée."
Le pire, enrage-t-elle, c'est que "si, à l'époque, la banque avait accepté mon prêt à 320.000 euros pour l'appartement rue de Hollerich, j'aurais déjà fini de le payer, avec une belle marge. Si j'avais pu commencer avec une mensualité de 1.000 euros, puis augmenter progressivement avec mes revenus, je les aurais déjà remboursé. De toute façon, au pire, la banque pouvait toujours reprendre le logement et le vendre, elle aurait été gagnante dans tous les cas, alors de quoi avait-elle peur? Et ça, ça m’énerve, ça m’énerve !"
Dernière suggestion : recommencer sa vie, loin du Luxembourg? "C’est une option, mais tant que ma mère est là, c’est niet. Si elle n’est plus là, je pourrais être tentée de refaire ma vie. Je parle 4 langues, ça pourrait m’aider à l’étranger. La Nouvelle-Calédonie, je ne dirais pas non !" rit-elle.
*Le prénom a été modifié à sa demande.
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