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Régulièrement, des biens liés à des activités criminelles sont saisis au Luxembourg, puis confisqués par la justice d'autres pays. Et vice-versa. Des "accords de partage" sont négociés pour restituer les sommes. Quel sont les gains pour l'État luxembourgeois?
"Le Luxembourg étant une place financière, il y a donc beaucoup d'argent qui transite par le Luxembourg. Et il arrive très régulièrement qu'il y ait une enquête à l'étranger et qu'on identifie des flux financiers vers le Luxembourg", commence par expliquer Michel Turk, le directeur du "BGA", le Bureau de gestion des avoirs. Opérationnelle depuis tout juste deux ans, cette nouvelle administration placée sous la tutelle du ministère de la Justice et installée au Kirchberg, gérait déjà plus d'un milliard d'euros de biens et d'actifs saisis par la justice, à la fin 2023.
Lorsque des flux financiers, dont l'origine est délictueuse ou criminelle, sont identifiés, le magistrat étranger envoie une commission rogatoire internationale à son homologue luxembourgeois, pour lui "demander de faire une perquisition auprès de telle ou telle banque pour saisir les sommes qui appartiennent à Monsieur X, la documentation bancaire, etc.", poursuit Michel Turk.
Agissant alors comme "le bras prolongé" du magistrat étranger, le juge luxembourgeois va faire saisir et bloquer l'argent au Luxembourg. Il restera à la Caisse de consignation, tant qu'aucune décision définitive n'a pas été prise à l'étranger. Une fois les escrocs condamnés, les sommes sont confisquées par la justice. Un tribunal luxembourgeois rend alors cette décision étrangère exécutoire au Luxembourg.

Michel Turk, directeur du Bureau de Gestion des Avoirs / © Maurice Fick / RTL
C'est au BGA que revient alors la tâche de négocier des "accords de partage" entre les États. La nouvelle loi (du 22 juin 2022) lui donne en effet le mandat de négocier ces accords pour le compte du gouvernement luxembourgeois.
"Quand c'est l'argent d'une victime", il n'y a pas de discussion. "Il est restitué à 100 % à l'autre pays pour qu'il le restitue à la victime", explique Michel Turk. Quel que soit le montant. Mais "s'il n 'y a pas de victime, on partage 50-50". Le pays qui a sollicité l'entraide "a des mérites parce qu'il a mené toute la procédure au fond. Nous on a des mérites, parce qu'on a exécuté la commission rogatoire". Cette règle du "moit-moit" n'est pas obligatoire, mais elle est suggérée dans un règlement européen.
3,3 millions d'euros restitués aux États-Unis
Le règlement prévoit aussi que s'il s'agit de "moins de 10.000 euros, on garde tout. Parce qu'on ne va pas commencer à faire toute la procédure pour moins de 10.000 euros. C'est une procédure lourde", assure M. Turk. Chaque accord de partage pour chaque affaire est longuement négocié, signé par une haute autorité (qui diffère selon les pays) puis contresigné par la ministre de la Justice luxembourgeoise, Elisabeth Margue.
Le BGA a négocié 13 accords de partage en 2023. Le plus conséquent avec les Etats-Unis, pour une affaire de fraude boursière à hauteur de 3,3 millions d'euros. Les victimes de cette fraude ont pu être indemnisées.
Un accord a permis au Luxembourg de restituer 381.000 euros à la Suisse. L'intégralité de la somme était destinée à l'indemnisation de victimes. Le Luxembourg a encore restitué l'an passé 137.000 euros à la France, dont 68.000 pour indemniser des victimes. 101.000 autres euros ont aussi été restitués à la Belgique, le Luxembourg récupérant la même somme.
Dans le cadre de l'entraide provenant de l'étranger le Luxembourg a pu récupérer 209.000 euros l'an passé. Sur sa propre demande de saisie de biens par la justice française, le Luxembourg a récupéré 113.000 euros.
Autant de recettes pour l'État
En accumulant toutes les saisies dans sa banque de données, le BGA a été surpris parce qu'"il y a quand même beaucoup de sommes qui sont là depuis des années et des années, saisies sur commission rogatoire et pour lesquelles on n'a pas de suivi de la part des autres pays", fait remarquer Michel Turk. La décision a été rendue, mais la restitution ou la confiscation n'ont jamais été prononcées. Un peu comme un essais non transformé au rugby.
Pour épurer ces dossiers dormants, parfois tombés complètement aux oubliettes, le BGA mène un travail proactif auprès de ses homologues à l'étranger, comme c'est déjà le cas avec les Pays-Bas.
Car "potentiellement ce sont des recettes pour l'État". Mais aussi pour le Fonds de lutte contre certaines formes de criminalité. Un établissement public luxembourgeois qui est alimenté par les confiscations en matière d'affaires de stupéfiants, blanchiment et financement du terrorisme. Ce fonds soutient des projets justement pour lutter contre la toxicomanie, le blanchiment et le financement du terrorisme.
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