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770.000 habitants ou 1,2 million ? Un marché du logement qui se détend ou qui se précarise ? Une économie qui continue de croître ou pas ? Luxembourg Stratégie planche sur trois scénarios de futurs possibles pour le Luxembourg en 2050 pour que les politiques décident ensuite.
Quelle vision d'avenir se fixeront les gouvernements dans les trente années à venir pour que l'économie du pays continue de rester compétitive et que sa cohésion sociale se maintienne, alors même que les ressources deviennent plus rares et que l'atmosphère se réchauffe ?
Luxembourg Stratégie, la direction de prospective stratégique du ministère de l'Économie, n'a pas la réponse. Mais travaille dur en coulisses, pour fournir les principaux éléments qui permettront de décider du cap à prendre.
La jeune entité mène un travail prospectif dont l'objectif est d'apporter des savoirs, des études et des données pour que les décideurs politiques puissent prendre des décisions: "Nous n'écrivons pas de stratégie. Nous amenons les outils pour que d'autres puissent décider quelles politiques ils mettent en place", résume Pascal Junker, chargée de direction de Luxembourg Stratégie.
Le grand objectif est de "nous placer dans une économie réelle qui tient compte des limites biophysiques, tout en respectant les fondations des droits sociaux", résume Pascale Junker. Car "tout le monde peut réclamer avoir droit à l'Éducation, des infrastructures de transport, un salaire décent, etc".
Des droits qui "ne sont pas remis en cause", mais qui doivent "être mieux redistribués". Car une frange de la population n'a "pas accès à ces services au même coût" ou parce que "ce coût représente une trop grande charge dans leurs revenus", comme c'est souvent le cas pour le logement au Luxembourg.
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Mais, il s'agit aussi d'être lucide sur les ressources et ce que la nature et l'atmosphère peuvent donner "parce que la science nous dit qu'il y a des plafonds à ne pas dépasser", prévient-elle.
En juin, Luxembourg Stratégie a lancé un vaste projet collaboratif, via des groupes de travail techniques, politiques, d'experts, de chefs d'entreprises, et avec l'OCDE, pour tenter de scénariser les futurs possibles pour l'économie luxembourgeoise à l'horizon 2050.
TROIS SCÉNARIOS, TROIS FUTURS
Trois scénarios "plausibles, distincts et cohérents" se sont dessinés au fil des travaux, échanges et concertations. Elle vient d'organiser en ce début de semaine sa 2e conférence publique annuelle à Esch-Belval et a dévoilé dans la foulée trois scénarios qui devraient être ficelés d'ici fin mars 2023.
Il faut "toujours un scénario familier qui permet aux gens de se projeter", explique Pascale Junker: c'est le premier scénario, celui de la continuité. En résumé, il rallonge les courbes que nous connaissons actuellement ce qui signifie que "le taux de pauvreté au Luxembourg augmente encore, que les prix de l'énergie augmentent encore, qu'on s'accroche à notre niveau de vie monétaire et que cela aura des implication sur le bien-être".
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Ce scénario 1, projette un Luxembourg à 1,1 millions d'habitants qui attire "toujours plus de salariés, avec toutes les conséquences sur l'augmentation du trafic et une pression accrue sur le logement". Digitalisation et nouvelles technologies servent l'économie, la croissance quantitative se poursuit (+2% de PIB par an), l'empreinte carbone mais aussi écologique grimpent, le réchauffement dépasse les 2°C. Et le Luxembourg a gardé son fameux "modèle tripartite", si cher à Xavier Bettel, à l'époque.
Pour le scénario 2, celui de la responsabilité sociale et environnementale"il y a des sacrifices à faire, mais aussi des gains", résume Pascale Junker. Dans un Luxembourg de "seulement" 770.000 habitants en 2050, la population et l'économie ont cessé de croître: "Ce qui détend le trafic et la pression sur le logement, les systèmes de santé et d'éducation", mais fait aussi le plus grand bien à l'Environnement et à l'eau. Salaires et pensions stagnent. Digitalisation et technologies sont "au service du vivant". Réindustrialisation circulaire et économie du partage visent une croissance qualitative et le réchauffement ne passe pas les 2°C. La démocratie participative fonctionne dans une Union européenne "resserrée, à plusieurs vitesses".
Le scénario 3 dit "techno-optimiste" implique "des sacrifices à faire dans notre vie privée", prévient Pascale Junker. Dans un Luxembourg à 1,2 millions d'habitants, les marchés du logement et de l'emploi sont "très précarisés". L'enseignement "entièrement digitalisé". La croissance quantitative (+4,5% de PIB par an) permet de maintenir les caisses de pension et de la Sécurité sociale à flots "mais alimente aussi une concurrence mondiale effrénée pour l'accès aux ressources". Les nouvelles technologies servent la "grande électrification" et l'efficience. La "mondialisation est totale" et le réchauffement dépasse les +2°C.
LES CITOYENS ET PATRONS SERONT CONSULTÉS
Ces scénarios sont encore en construction. De prochains ateliers de travail vont être menés pour les compléter par des facteurs et des tendances qui n'ont pas encore été pris en compte, mais dont on sait bien qu'il vont influer sur l'avenir du Luxembourg. Comme par exemple, l'impact du changement climatique, la sortie progressive des énergies fossiles ou la raréfaction de ressources. Sans oublier de prendre en compte que la population luxembourgeoise vieillie indéniablement, que la société se digitalise à grande vitesse et que l'influence des réseaux sociaux est bien présente.
Ce qui fait dire au ministre de l'Economie, Franz Fayot qu'au bout du compte, "la réalité sera probablement un cumul de ces trois scénarios".
Les scénarios feront d'ailleurs l'objet d'une consultation publique fin 2022, pour impliquer tous les citoyens. "On va essayer de toucher le grand public via l'enquête que nous menons actuellement avec le LISER (L'Institut luxembourgeois de recherches socio-économiques)". L'étude lancée en août et baptisée "SOC2050" porte sur la désirabilité du changement sociétal, et doit répondre à la question: "Qu'est-ce que nous donnons pour y arriver ?", comme le résume Pascal Junker avant de citer les "citoyens, contribuables, parents, élèves".
Une seconde étude baptisée "RISK2050", réalisée avec l'Université du Luxembourg, cherche à savoir "des patrons et des acteurs économiques quels sont les risques physiques qui se profilent pour faire leur business ? Comment sont-ils impactés par les ruptures des chaînes d'approvisionnement ? Par l'explosion du prix du cuivre ? Si les forêts migrent vers le nord, une économie du bois régionale est-elle encore possible ? Quelle est la productivité s'il fait très chaud à cause du changement climatique?"
LES RISQUES EXISTENTIELS
Une mise en garde de l'OCDE a récemment pointé d'autres risques existentiels. Ce sont par exemple le "géo-engineering, c'est-à-dire qu'on a perdu tellement de temps pour s'adapter à l'Environnement qui change autour de nous, qu'on envoie des particules d'argent dans l'atmosphère ou qu'on redirige la radiation solaire dans l'espace", résume Pascale Junker.
D'autres risques existentiels sont les "pandémies fabriquées", "l'intelligence artificielle qui n'a plus de contrôle du tout" ou "le risque de perte complète de cohésion sociale".
Ces risques ont été pris en compte par les prospectivistes et contributeurs de tous horizons aux trois scénarios luxembourgeois: "Nous les avons traités sous forme de "signes noirs". Ce sont les risques extrêmes qui peuvent arriver et qu'il ne faut pas perdre du radar", glisse Pascale Junker. Car, rappelle-t-elle, "un dicton dit: ignorer les risques existentiels, ne les fait pas disparaître".