
Quand un nouvel index tombe, les salariés se réjouissent, car leur salaire augmente de 2,5%. Mais en cas de déflation, les salaires pourraient-ils être réduits par un "index négatif"?
En période d'incertitude économique et de hausse des prix, les discussions s'enflamment toujours autour de l'index. Ainsi en 1982, quand, après des années d'inflation, déclenchées par deux chocs pétroliers, il y a quasiment eu une grève générale, après que le gouvernement de l'époque ait voulu abroger l'indexation des salaires.
Le mécanisme par lequel la perte de valeur des salaires doit être contrée et l'inflation compensée, existe depuis 1921 au Luxembourg, dans sa forme la plus rudimentaire. Initialement réservé aux fonctionnaires et aux cheminots, l'index a depuis été adapté en plusieurs étapes et étendu au grand public.
Aujourd'hui encore, après deux ans de pandémie et la flambée des prix de l'énergie dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'index est à nouveau à l'ordre du jour. En octobre 2021 et en avril 2022, les salaires ont été indexés de 2,5% à chaque fois. Un troisième index, qui serait probablement tombé en août 2022, est reporté au printemps 2023,
QU'EST-CE QUE L'INDEX ET COMMENT EST-IL COMPOSÉ?
Le principe est simple: si l'inflation cumulée depuis le dernier index dépasse la valeur de 2,5%, un nouvel index est déclenché. Et les salaires augmentent aussi de 2,5%. Le salaire est ainsi ajusté proportionnellement à l'inflation afin d'éviter une perte de pouvoir d'achat. Depuis 1985, 32 index ont été déclenchés, avec quelques années plus tranquilles entre 1995 et 2000 et entre 2013 et 2018.

C'est le STATEC qui surveille l'évolution des prix à la consommation et publie un rapport chaque mois. A l'aide d'un panier moyen de produits et de services, qui se compose de plus de 66.000 prix différents, les collaborateurs de l'Institut national de la statistique et des études économiques, comparent les prix mois après mois. C'est également le Statec qui signale l'échéance d'un nouvel index.
Le "panier de biens" se compose de 12 catégories principales et comprend, outre l'alimentation, les loyers, l'énergie, le transport, les services liés à l'entretien du logement et les loisirs, entre autres. Les prix d'achat des biens immobiliers ne sont pas inclus dans le panier.
Le panier est régulièrement adapté et repondéré en tenant compte du comportement de consommation réel des habitants. Ainsi les gens au Luxembourg ont moins dépensé d'argent pour voyager ces deux dernières années à cause de la pandémie. La pondération de ces positions a également été ajustée à la baisse en conséquence dans l'indice des prix pour cette période, comme l'avait expliqué Marc Ferring du STATEC dans l'émission de RTL Radio, l'"Invité de la rédaction".
UN INDEX NÉGATIF EST-IL POSSIBLE?
Mais que se passerait-il si les prix dans le panier du Statec baissaient au lieu d'augmenter? En cas de déflation, pourrait-il y avoir un index "négatif", avec lequel les salaires pourraient être diminués de 2,5%?
La réponse rapide est oui. L'index est établi dans l'article L. 223-1 du Code du Travail et se base sur l'article 11 d'une loi de 1963, qui réglemente les salaires des fonctionnaires. Il y figure: "L’augmentation ou la diminution de l’indice du coût de la vie par deux points et demi pour la période semestrielle écoulée se traduit par une hausse ou une baisse correspondante des traitements qui sont établis sur la base de l’indice pondéré du coût de la vie au premier janvier 1948."
Donc: tout comme un index est prévu en cas de hausse de 2,5% des prix à la consommation, il pourrait y avoir théoriquement aussi une baisse des salaires de 2,5%, en cas de baisse des prix du même taux.
QUELLE EST LA PROBABILITÉ D'UN INDEX NÉGATIF?
A ce jour, il n'y a jamais eu d'index négatif au Luxembourg. Alors qu'une faible inflation est courante et même souhaitée avec l'objectif de 2% de la Banque centrale européenne, une déflation soutenue à long terme est en effet un phénomène beaucoup plus rare. Au Luxembourg, le taux annuel d'inflation a seulement été négatif trois fois depuis 1949: en 1953 (-0,2%), en 1955 (-0,1%) et en 1987 (-0,1%).
Même entre 1983 et 1986, dans ces années où l'inflation, après des niveaux record les années précédentes, a fortement reculé, il n'y a pas eu d'index négatif. "Même dans ces années-là, il y a toujours une inflation positive. Elle est moins élevée que les années précédentes, mais nous n'étions pas sous le seuil de 0%", explique Marc Ferring, Chef d'unité du Service "Statistiques de Prix" du Statec.
Marc Ferring tient pour plutôt improbable qu'il puisse un jour y avoir un index négatif: "Il faudrait déjà avoir une longue phase de déflation, avant qu'un tel cas se produise." Il y aurait bien toujours eu des mois isolés au cours desquels l'inflation annuelle serait tombée dans le négatif. Mais ces périodes ne se sont jamais maintenues suffisamment longtemps pour qu'un index négatif puisse arriver à échéance.
QUEL SERAIT L'INTÉRÊT D'UN INDEX NÉGATIF EN CAS DE DÉFLATION, D'AILLEURS?
En cas de déflation, les prix baissent, souvent par le fait que la demande est inférieure à l'offre. Quel serait l'intérêt, à ce moment-là de baisser les salaires par un index négatif? Le Docteur Patrice Pieretti, professeur d'économie à l'Université du Luxembourg, nous a donné son appréciation sur le sujet.
"Au départ, l'index est une mesure politico-sociale. Economiquement, elle ne se justifie pas nécessairement." Ce ne serait donc pas au début un débat économique, même si l'index, en tant qu'instrument social, avait aussi des implications économiques. En cas de déflation, les prix baissent, alors que dans un premier temps, les salaires restent stables nominalement. Ce serait bon pour le pouvoir d'achat de la population, mais mauvais pour les entreprises, dont les coûts salariaux réels augmenteraient, explique le professeur Pieretti. S'il y avait alors un index négatif, ce serait donc "avant tout une mesure sociale pour les entreprises".
Lorsque la chute des prix est plus persistante que dans une déflation, on parle d'une désinflation. À ce moment-là, les attentes des consommateurs entreraient également en jeu, selon le professeur de l'Uni.lu. Si nous supposons que les prix vont continuer à baisser, nous freinerons à nouveau nos dépenses. Cela vaut aussi pour les entreprises, qui, pour leurs investissements, vont attendre que les prix reculent encore. "Cela a des conséquences dévastatrices sur l'économie." La production recule, les salariés sont licenciés et les prix chutent encore plus. Les salaires baissent aussi, parce qu'il y a alors plus de monde sur le marché du travail. "Dans ce cas, un index négatif pénaliserait doublement les ménages: une première fois par l'indexation négative et une deuxième fois par la désinflation en soi", explique le professeur Pieretti.
Une déflation peut avoir deux causes principales. Du côté positif, une déflation peut survenir si la productivité des producteurs augmente, par exemple grâce à des progrès techniques, et ainsi l'offre augmente pour une demande qui reste constante. Ce qui fait baisser les prix.
Du côté plus négatif, cependant, une déflation peut également résulter d'une chute de la demande. Une telle déflation est survenue au Japon dans les années 90, après l'éclatement d'une bulle spéculative, explique le professeur Pieretti. Elle a duré près de 10 ans. Au final, elle est passée, non pas grâce à un index négatif, mais au contraire grâce notamment à une revalorisation des salaires.
Fondamentalement, il serait plus facile de combattre une déflation qu'une inflation, notamment parce que les banques centrales pourraient prendre de meilleures contre-mesures. Par exemple, des crédits peuvent être rendus artificiellement moins chers et les dépenses publiques peuvent être augmentées, pour relancer l'économie. La conclusion du professeur Pieretti si une déflation devait se produire au Luxembourg: "Je laisserais de côté une indexation négative et je veillerais à me débarrasser de la déflation. Soutenir les dépenses, ce serait la bonne mesure."
