Olivier Jacquin a jeté un pavé dans la mare. Le sénateur PS de Meurthe-et-Moselle a cosigné une tribune pour alerter sur la surrentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes en France. Il n'exclut pas une participation du Luxembourg pour faire baisser le prix du péage de la future A31bis.
Tout a commencé par un article du Canard Enchaîné, qui a publié un rapport de l'Inspection générale des finances sur les comptes au beau fixe des concessionnaires autoroutiers français. Le sénateur socialiste de Meurthe-et-Moselle, Olivier Jacquin, s'en est emparé pour cosigner une tribune avec Vincent Delahaye, sénateur centriste de l’Essonne, afin d'alerter l'opinion.
"Vous payez les péages beaucoup trop cher"
L'un des constats du rapport cité plus haut établit qu’il faudrait soit diminuer la durée des concessions de dix ans, soit réduire de moitié le prix des péages, soit enfin opérer un prélèvement de deux tiers sur l’excédent brut d’exploitation.
"L'État a cédé, a privatisé l'exploitation de ces autoroutes par la propriété, avance Olivier Jacquin, dans des conditions absolument défavorables pour la sphère publique et pour l'usager. C'est-à-dire qu'on se rend compte aujourd'hui - il y a une étude secrète qui a été faite et rendue publique par Le Canard Enchaîné - qu'on pourrait payer les péages beaucoup moins cher qu'ils ne le sont actuellement tant la rentabilité de ces concessions autoroutières est élevée. Quand on dit que la rentabilité est très élevée, ça veut dire que vous payez les péages beaucoup trop cher."
Après plusieurs auditions au Sénat, les défenseurs de la privatisation opérée en 2005, parmi lesquels Jean-François Copé de Les Républicains, ont avancé comme argument, au sujet de la rentabilité très élevée, la baisse des taux d’intérêts. Un argument recevable selon Olivier Jacquin. "Au moment où ces concessions ont été réalisées, personne ne pensait que les taux d'intérêt allaient baisser de cette manière-là, reconnaît-il. Et ça c'est vrai, et une bonne partie de l'excédent, de l'excès de rentabilité des concessions autoroutières, provient du différentiel de taux d'intérêt. On a travaillé avec des taux d'intérêt quasi négatifs alors qu'il était prévu qu'ils travaillent à des taux d'intérêt de plusieurs points."
Pour autant, ce n'est pas une raison pour ne rien faire, estime le sénateur socialiste : "Ce qui m'interroge, c'est pourquoi l'État ne profite pas de la situation pour dire : attendez on va rééquilibrer les choses maintenant. Il faut attendre des fuites du Canard Enchaîné pour que le ministre de l'Économie et le ministre des Transports réagissent et disent : ah oui tiens on avait un rapport en fait."
En réaction à cette affaire, le ministre de l'Économie, Bruno Lemaire, a évoqué un possible raccourcissement de la durée des contrats autoroutiers.
A31bis : "Je vais vous décevoir, je pense qu'il n'y a pas d'alternative au péage"
Nous en avons profité pour aborder avec le sénateur "justicier" la question de la future A31bis, dont le tronçon reliant Thionville au Luxembourg fera l'objet d'une concession dans l'état actuel du projet, donc d'un péage. "Alors là je vais vous décevoir, précise Olivier Jacquin. Je pense qu'il n'y a pas d'alternative au péage parce qu’il y a un principe sain que l'usager paye le service qu'il utilise. Celui qui est pressé, il prend l'autoroute, ça va plus vite en théorie et donc il paye une petite contribution. Le principe ne me semble pas mauvais du tout."
Le tronçon gratuit de l'A31 est une dépense annuelle pour l'État, alors que l'A4, qui croise l'A31 au niveau d'Hauconcourt est gérée par Sanef, la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France. Olivier Jacquin s'amuse à comparer les sociétés autoroutières aux "fermiers généraux qui, au 17e siècle, allaient percevoir l'impôt pour le roi."
Du fait du trafic très dense, la portion d'autoroute qui reliera Thionville au Grand-Duché sera forcément rentable pour la société qui en aura la gestion. Au détriment du portefeuille des usagers, dont de nombreux frontaliers pour lesquels ce sera la route du travail, à moins que le Luxembourg ne mette la main à la poche.
"Le grand bénéficiaire, c'est le Luxembourg, et le grand payeur, c'est la France, affirme Olivier Jacquin. Sur le ferroviaire, on arrive à faire payer le Luxembourg. On pourrait imaginer, pour cette partie de modernisation, que le Luxembourg soit aussi co-financeur de ce tronçon autoroutier, que ça fasse baisser les péages à due proportion. Je ne suis même pas sûr que la proposition leur a été faite."
Au même moment, le Conseil régional du Grand Est a demandé à l'État d'expérimenter la gestion autoroutière à partir de 2024, pour tous les autres tronçons, avec la mise en place d'une écotaxe pour les poids lourds. "Cela constitue une alternative à la concession, car, avec ce flux de recettes, le Conseil régional pourra aller emprunter sur les marchés l'argent nécessaire à l'entretien." Car l'état des autoroutes non concédées est un des autres grands chantiers du sénateur basé à Pont-à-Mousson.
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