
Les chanteurs d'opéra Joyce DiDonato (à droite) et Ryan McKinny jouant les personnages principaux de "Dead Man Walking" qui ouvre le 26 septembre 2023 la saison du Metropolitan Opera de New York / © AFP
Un livre best-seller, un film oscarisé et maintenant un opéra: "Dead Man Walking", plaidoyer moral et émotionnel contre la peine de mort ouvre la saison du prestigieux Metropolitan Opera à New York.
Cet opéra contemporain, composé par Jake Heggie avec un livret de Terrence McNally, est tiré de la vie de la religieuse catholique abolitionniste Helen Prejean, 84 ans aujourd'hui, et de sa relation spirituelle avec un homme exécuté aux Etats-Unis en 1984.
L'histoire est adaptée des propres mémoires de la sœur, "Dead Man Walking" en 1993 ("La Dernière Marche: une expérience du couloir de la mort") et du film du même nom, couronné aux Oscars, réalisé en 1995 par Tim Robbins, avec Susan Sarandon et Sean Penn dans les rôles-titres.
"Je suis tout simplement si heureuse que le public puisse toucher du doigt la réalité" des exécutions capitales, a confié à l'AFP Helen Prejean, lors d'un intermède de la répétition générale avant la première de mardi qui ouvre la saison 2023-2024 du Met Opera.

Une scène avec le chanteur Ryan McKinny dans l'opéra "Dead Man Walking" qui ouvre le 26 septembre 2023 la saison du Metropolitan Opera de New York / © AFP
Le châtiment suprême -- toujours pratiqué dans plusieurs Etats américains, même si le président Joe Biden s'est engagé à l'abolir à l'échelon fédéral -- constitue "un rituel secret" dont peu de gens sont témoins, analyse l'octogénaire, rendue célèbre par son best-seller mondial et son combat contre la peine de mort aux Etats-Unis et à l'étranger.
"Ce que les yeux ne peuvent pas voir, le cœur ne peut pas le ressentir", souffle la sœur Helen en reprenant un proverbe latino-américain.
"Si bien que nous avons besoin de l'art pour lever le rideau sur une réalité dans laquelle les gens peuvent" s'immerger, explique cette sœur catholique née à Baton-Rouge en Louisiane et qui a consacré sa vie aux plus pauvres et aux condamnés à mort.
Dans l'opéra new-yorkais "Dead Man Walking" -- une première adaptation avait vu le jour en 2000 à l'Opéra de San Francisco -- la cantatrice mezzo-soprano Joyce DiDonato incarne Helen Prejean et le très athlétique baryton-basse Ryan McKinny joue le personnage de Joseph De Rocher inspiré du vrai Elmo Patrick Sonnier.
Ce jeune homme de Louisiane (sud) fut condamné à mort en 1978 -- son jeune frère Eddie James Sonnier à la perpétuité -- pour le double meurtre, précédé d'un viol, d'un couple d'adolescents de 18 et 17 ans, Loretta Bourque et David LeBlanc.
Elmo Sonnier fut exécuté sur la chaise électrique en 1984.

Joyce DiDonato joue la soeur Helen Prejean lors d'une répetition générale de l'opéra "Dead Man Walking" au Metropolitan Opera de New York qui ouvre sa saison le 26 septembre 2023 / © AFP
Helen Prejean a ainsi accompagné dans les années 1980 plusieurs hommes dans le couloir de la mort, devenant leur conseillère spirituelle jusqu'à leur dernier souffle, comme Elmo Sonnier et Robert Lee Willie, violeur et meurtrier d'une jeune fille en Louisiane à la même époque.
Après 40 ans de lutte abolitionniste, un livre, un film et deux opéras, la religieuse catholique espère que "les gens se réveilleront" face à une peine capitale qu'elle juge moralement mauvaise.
Le spectacle, monté et dirigé par Ivo van Hove, commence par un court-métrage dépeignant les crimes pour lesquels le personnage Joseph De Rocher est condamné.
Dans la scène suivante, Helen Prejean débute une correspondance épistolaire avec lui avant de faire sa connaissance au pénitencier de l'Etat de Louisiane.
Les deux artistes américains -- Joyce DiDonato et Ryan McKinny -- sont souvent ensemble sur une scène dépouillée et austère, transmettant au public un sentiment d'enfermement et de fortes émotions.
Certes, "c'est un opéra sur la peine de mort", constate auprès de l'AFP Ryan McKinny.
Mais il s'agit plutôt de "ce qu'on peut voir d'humanité en chacun de nous" et "si le pardon est possible", estime le chanteur qui incarne le condamné inspiré de Sonnier, qui dans le film de Tim Robbins reconnut sa responsabilité auprès de Helen Prejean et demanda le pardon.
Pour la sœur catholique, l’œuvre opératique "Dead Man Walking" permet aussi de comprendre ce qu'est la souffrance, pas uniquement celle des individus, mais aussi celle de toute une société. "Qu'avons-nous fait de mal?", s'interroge-t-elle.