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De plus en plus de Néerlandais fuient les prix élevés en bus vers l'Allemagne et le Luxembourg. Rencontre avec ces chasseurs de bonnes affaires...
Marleen Naipal attrape un pot de crème pour le visage, jette un coup d'œil au prix sur l'étiquette et le met dans son cabas déjà rempli de produits cosmétiques.
Il ne s'agit pas d'une simple frénésie du shopping: elle a fait un aller-retour de 400 kilomètres en autocar vers l'Allemagne depuis les Pays-Bas, où le coût de la vie élevé est un sujet important à l'approche des élections du 29 octobre.
"Nous avons fait tout le trajet de Rotterdam à Bocholt (en Allemagne) pour une journée de courses, car c'est beaucoup moins cher qu'aux Pays-Bas", explique à l'AFP cette coiffeuse de 53 ans.
"Je pense que certains produits sont à moitié prix, l'excursion d'une journée en vaut vraiment la peine", ajoute cette Néerlandaise, qui a payé environ 40 euros son voyage en bus.
Nuitées au Luxembourg
Elle n'est pas la seule. Lorsque l'AFP s'est jointe à eux, des chasseurs de bonnes affaires néerlandais ont embarqué à Rotterdam, Amsterdam et Utrecht pour traverser la frontière allemande.
Plusieurs transporteurs proposent des voyages "shopping à prix abordables" au départ des Pays-Bas, avec même des nuitées au Luxembourg pour profiter des prix de l'alcool et du tabac.
Ali El-Abassi, le chauffeur du bus, comprend pourquoi les gens parcourent de si longues distances pour faire leurs courses à l'étranger.
"Je trouve vraiment triste le prix élevé des produits alimentaires aux Pays-Bas", confie cet homme de 45 ans à l'AFP.
"Je ne comprends tout simplement pas comment les produits peuvent être deux fois moins chers en Allemagne qu'aux Pays-Bas", ajoute-t-il.
Une enquête menée par l'association néerlandaise de consommateurs Consumentenbond a comparé plus de 130 produits populaires en France, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas.
Il a été constaté que les articles étaient en moyenne 15 % moins chers en Allemagne, les marques de meilleure qualité étant jusqu'à 25 % moins chères.
"Pensez notamment aux boissons non-alcoolisées, aux articles ménagers et aux articles de droguerie", indique le rapport de l'association.
"Aux Pays-Bas, ces articles sont souvent en promotion. Mais généralement, même les prix soldés ne sont pas compétitifs par rapport à ceux pratiqués en Allemagne", est-il écrit.
"Ainsi, aux Pays-Bas, avec une offre du type +un acheté, un offert+, on n'obtient en fait rien de gratuit", selon l'association.
"Les gens souffrent vraiment"
Le coût de la vie élevé figure régulièrement parmi les préoccupations majeures des électeurs dans les sondages et devrait peser lourd dans les esprits lorsque les Néerlandais se rendront aux urnes à la fin du mois.
Le dirigeant d'extrême droite Geert Wilders a glané une victoire retentissante aux élections de 2023 après avoir concentré la fin de sa campagne sur le pouvoir d'achat du Néerlandais lambda.
Selon Marcel Lubbers, expert en sciences politiques à l'Université d'Utrecht, de nombreux électeurs associent aussi la crise du coût de la vie à d'autres enjeux.
"Je pense que c'est toujours un sujet important pour beaucoup, mais ils le rattachent à d'autres sujets", comme le logement ou l'immigration, note M. Lubbers auprès de l'AFP.
L'Autorité néerlandaise des consommateurs et des marchés (ACM) a lancé le mois dernier une enquête sur les prix des denrées alimentaires dans les supermarchés.
L'ACM, un organisme gouvernemental, se penche sur les "contraintes territoriales d'approvisionnement", accusées de maintenir les prix élevés aux Pays-Bas.
Par exemple, la réglementation exigeant que toutes les étiquettes soient "faciles à comprendre" empêche les détaillants d'importer des produits en gros de l'étranger, car l'étiquetage n'est pas en néerlandais.
La TVA est également plus élevée aux Pays-Bas qu'en Allemagne : 9 % pour les produits alimentaires (contre 7 %) et 21 % pour les produits non alimentaires (19 % en Allemagne).
"Les prix sont devenus très élevés aux Pays-Bas en très peu de temps. Beaucoup de gens ont du mal à joindre les deux bouts avec un revenu moyen. Et c'est une question de politique", estime Mme Naipal, qui estime que le coût de la vie "influencera certainement nos votes".
"Nous espérons vraiment que les élections nous permettront d'avancer (...) car les gens souffrent vraiment", poursuit-elle.
La coiffeuse se reconcentre sur son shopping et montre fièrement son butin de cosmétiques allemands bon marché.
"J'achète juste ce dont j'ai besoin", précise-t-elle, avant d'esquisser un sourire : "Et peut-être un petit extra si je vois quelque chose de vraiment sympa".